Le téléphone portable de David Haigh, militant des droits de l’homme, a été espionné. Il faisait récemment campagne pour la libération de la princesse Latifa. La Britannique soupçonne son père, le cheikh de Dubaï, d’être à l’origine de cette attaque informatique.
Par Frederik Obermaier
Les surveillants ont attaqué quand David Haigh était à l’hôpital. Grâce à un message envoyé sur son téléphone portable, ils ont installé le logiciel d’espionnage Pegasus le 3 août 2020 et, à partir de ce moment-là, ils ont probablement pu écouter et lire tout ce que l’avocat et militant des droits de l’homme disait ou écrivait. C’est le résultat d’une analyse médico-légale de l’iPhone du Britannique effectuée par le laboratoire de sécurité d’Amnesty International. Haigh rejoint ainsi une longue liste de journalistes, de politiciens et de militants des droits de l’homme qui ont été surveillés à l’aide du célèbre logiciel de la société NSO Group. Son cas est particulièrement piquant car les experts soupçonnent l’un des hommes les plus riches et les plus puissants du monde d’être à l’origine de cet espionnage : le cheikh de Dubaï, Mohammed bin Raschid al-Maktum.
David Haigh n’est pas seulement un avocat et l’ex-manager du club de football Leeds United. Par-dessus tout, il est un critique féroce du régime autocratique de Dubaï. Après avoir été reconnu coupable par un tribunal en 2015 d’avoir détourné de l’argent de son ancien employeur – une infraction que Haigh nie – il a passé 22 mois en prison à Dubaï, où il dit avoir été torturé et violé.
Après sa libération, il s’est engagé dans l’organisation non gouvernementale « Detained International » et a notamment fait campagne pour Latifa bint Muhammed al-Maktum, la fille du dirigeant de Dubaï. Elle avait tenté de fuir l’émirat à plusieurs reprises. Sa dernière évasion a échoué en 2018 lorsque des soldats ont pris d’assaut un yacht sur lequel elle tentait de s’enfuir au Sri Lanka avec un ami et un ex-agent de renseignement français.
Quelques jours avant que son téléphone portable 2020 ne soit attaqué par la technologie de Pégasus, Haigh avait communiqué avec la princesse Latifa. Elle lui avait envoyé des messages de désespoir via un téléphone portable que ses assistants avaient introduit clandestinement dans la villa où elle disait être détenue depuis son évasion ratée. Entre autres choses, rapporte Haigh, elle avait enregistré une vidéo qui a ensuite été diffusée par la BBC. « Je suis une otage », s’y lamente Latifa bint Muhammed al-Maktum. Elle craignait pour sa vie.
Un Britannique demande des sanctions contre Dubaï
Le 21 juillet 2020, la communication s’est interrompue, selon une capture d’écran obtenue par le Süddeutsche Zeitung. La princesse Latifa ne répond plus. Il est possible que ses gardes aient trouvé le téléphone portable cachée.
Deux semaines plus tard, l’iPhone de David Haigh a été espionné. L’enquête médico-légale menée par Amnesty International dans le cadre des recherches du projet Pegasus, auquel ont participé la SZ, le NDR, le WDR et Die Zeit en Allemagne, ne permet pas de déterminer qui en est à l’origine. Haigh soupçonne les autorités de Dubaï d’être derrière tout ça. Il s’agit d’une « attaque contre les droits de l’homme par un régime despotique ». Il exige des sanctions de la part du gouvernement britannique.
Les autorités de Dubaï n’ont pas répondu à une demande d’information. Le cheikh Mohammed bin Rashid al-Maktum s’est également refusé à tout commentaire. Il a toujours nié les allégations de piratage. Le fabricant du logiciel Pegasus, le groupe israélien NSO, a récemment annoncé qu’il ne répondrait plus aux demandes de la presse. Selon des sources proches de la société, un contrat avec les autorités de Dubaï a été résilié l’année dernière en raison de craintes de violation des droits de l’homme.
Cela augmente la pression sur le Sheikh de Dubaï. Les critiques dénoncent régulièrement les violations des droits de l’homme dans son royaume. Dans le cadre d’un litige sur la garde des enfants devant un tribunal londonien, l’ex-femme d’Al-Maktum, Haya bint al-Hussein, l’a récemment accusé d’avoir enlevé deux de ses filles, ce que le cheikh nie. Selon son ex-femme, il voulait marier une autre fille – Jalila, alors âgée de onze ans – au prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed bin Salman, l’homme qui serait à l’origine du meurtre du journaliste Jamal Kashoggi.
Un numéro de téléphone portable de l’ex-femme d’Al-Maktum figure également sur une liste de cibles potentielles d’espionnage de Pegasus. Il en va de même pour le numéro de son entraîneur de chevaux, de son assistant, de plusieurs agents de sécurité – et celui de l’un de ses avocats. Le cheikh al-Maktum a déclaré qu’il n’avait pas essayé de pirater les téléphones et qu’il ne l’avait pas ordonné.
C’est peut-être ici que se referme la boucle vers David Haigh. Haigh était en contact avec les avocats de l’ex-femme du cheikh au moment où son téléphone a été piraté.
Suddeutshe Zeitung, 02/08/2021
Etiquettes : Pegasus, Espionnage, Dubaï, Emirats Arabes Unis, Cheikh Mohammed bin Raschid al-Maktum, Chekha Latifa, David Haigh, #Pegasus #Espionnage #NSOGroup