ÉLECTIONS LÉGISLATIVES ANTICIPÉES : L’enjeu d’un scrutin singulier
Par Mohamed MOULOUDJ
Le taux de participation, le risque islamiste, le sort de l’ex-parti unique et du RND et le mystère des “indépendants” planent sur le scrutin législatif de l’après-demain.
S’il n’est pas d’une portée stratégique en mesure de bouleverser profondément le paysage politique et remodeler les rapports de force, le scrutin législatif de samedi prochain comporte tout de même des enjeux aussi sérieux que contradictoires. D’abord, la sempiternelle problématique de participation. La bataille des chiffres penchera-t-elle du côté des participants à l’élection ou de celui des partisans du boycott ? Au sein du bloc “participationniste”, l’on s’interroge également sur la nature des couleurs politiques qui sortiront victorieuses de cette consultation qui se déroule dans un climat bien singulier. Les partis politiques redoutent un raz-de-marée des “indépendants”. Les formations politiques traditionnelles y voient en ces derniers des “objets politique non identifiés” qui risquent de rafler la mise, parce qu’ils bénéficient d’un traitement spécifique.
Pour les partis de la mouvance islamiste, le jour de victoire et de gloire est arrivé. Ils se préparent déjà à gouverner. Le rendez-vous du 12 juin a une valeur-test pour mesurer le poids électoral de ce courant souvent exagéré par les analystes. L’autre enjeu réside dans le sort qui sera réservé aux partis qui ont longtemps accompagné le règne d’Abdelaziz Bouteflika, à commencer par l’ex-parti unique et de son “fils” légitime le Rassemblement national et démocratique (RND). Disqualifiés et discrédités, leurs principaux chefs sont derrière es barreaux, ils n’ont pas pu redorer leur blason et ce malgré la rhétorique de leurs nouveaux patrons qui consiste à affirmé vainement qu’un “vent nouveau a soufflé et les anciennes pratiques ont disparu avec la disparition de leurs anciens leaders”. Les discours de Baadji et de Zitouni n’ont pas convaincu durant la campagne. Quand au parti TAJ fondé par Amar Ghoul et au MPA, ils sont comme sous l’éteignoir. Il reste, l’outsider Jil Jadid de Sofiance Djilali, qui tente de se frayer un chemin au milieu de ce chaos politique. S’il part confiant, il risque de se réveiller le 13 avec une gueule de bois. Partant de ce constat, il serait ardu pour le chef de l’Exécutif de former son équipe gouvernementale. Quelle couleur lui donnera-t-il ? Le vrai enjeu se situe justement à ce niveau là. Avec quel gouvernement affrontera-t-il les grands défis et faire face aux crises économique et sociale qui pointent le nez ?
À la profonde crise politique qui tend à se perpétuer, sans réponse appropriée pour l’heure, se sont greffées d’autres difficultés et pas des moindres. À commencer par la crise économique, conséquence de dysfonctionnements structurels, de la chute des prix des hydrocarbures et aggravée par la pandémie de coronavirus qui a impacté toute l’activité économique. Même si les répercussions sont, pour l’heure, pas toutes visibles, elles risquent cependant de plomber tout effort et perspective de redressement. Il y a également la question du mouvement populaire. Surpris par son retour en février dernier après une suspension des manifestations durant une année pour cause de pandémie, le pouvoir a, dès le début de la campagne électorale, opté pour une gestion plus musclée de ce mouvement : interdiction de manifestations, emprisonnement d’activistes, procès en cascade et propagande médiatique autour de prétendues infiltrations qui l’ont détourné de son caractère “authentique” et “béni”.
Une attitude motivée sans doute par le souci de faire passer l’élection et de poursuivre la “feuille de route” visant la normalisation institutionnelle. Au-delà de cet enjeu, le pouvoir entend visiblement se donner une légitimité qu’il n’a pas réussi à obtenir lors des deux derniers scrutins. “Avec ces élections, il (le pouvoir) compte procéder à un ravalement de façade démocratique”, expliquait dans un entretien à Liberté, le politologue Mansour Kedidir. Et qu’importe le taux de participation puisque comme l’avait rappelé récemment Abdelmadjid Tebboune, il n’y a pas de seuil de participation exigé pour valider l’élection. Cependant qu’en est-il du mouvement populaire ? “Dans la logique du mouvement, la future Assemblée s’inscrit dans un simulacre de projet démocratique.
Dans la perception des hirakistes, il s’agit d’une farce électorale dont la dénonciation leur permettra de consolider leur légitimité. (…) le Hirak finira par acter une duperie électorale. La future Assemblée lui fournira les moyens de justification de son combat”, soutient M. Kedidir. Sans leader, sans organisation, ayant fonctionné dès son irruption de façon horizontale, exposé à des attaques en règle, le Hirak, aujourd’hui étouffé, pourrait sans doute peser sur l’élection par la désaffection. Mais face au fait accompli, il est appelé à s’inventer d’autres formes de lutte.
“Le fait que le système va au bout de sa logique, cela est négatif pour le Hirak”, estime le politologue, Mohamed Hennad lequel, à son avis, “doit inventer des formes de lutte autres que celles actuelles”, même s’il n’exclut pas, pour autant “un retour spontané des manifestations”. “La mission du Hirak après ce scrutin sera d’autant plus difficile car le pouvoir va appeler à des élections locales prochainement”, a ajouté M. Hennad, estimant que “le Hirak en tant qu’idée est toujours là”, surtout avec la persistance “du combat au sein de la diaspora” qu’il qualifie “de porte-parole” du mouvement à l’étranger. Une autre incertitude concerne le vote en Kabylie qui risque de rééditer le scénario des scrutins précédents. Et quelle sera l’attitude du pouvoir face à cette perspective ? Autant dire, tous les enjeux qui entourent un scrutin pas comme les autres.
Liberté, 10 juin 2021
Etiquettes : Algérie, élections législatives, scrutin, vote, assemblée, chambre des représentants, députés, partis islamistes,
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