Dépénalisez l’avortement au Maroc

Etiquettes : Maroc, femmes, avortement, viol, droits des femmes, relations sexuelles en dehors du mariage,

Au Maroc, les femmes et les filles encourent des peines d’emprisonnement si elles tentent de mettre un terme à leur grossesse. L’avortement est érigé en infraction dans presque toutes les circonstances, même lorsque la grossesse est le résultat d’un viol. Les femmes et les filles enceintes sont contraintes de recourir à des avortements clandestins et non sécurisés, qui entrainent souvent des blessures, voire la mort. En outre, les femmes et les filles cherchant à obtenir un avortement illégal risquent d’être arrêtées et poursuivies pour relations sexuelles en dehors du mariage. Ces lois et politiques punitives privent les femmes et les filles d’accès à des soins de santé sexuelle et reproductive essentiels et bafouent leurs droits humains.

Signez la pétition et appelez les autorités marocaines à dépénaliser pleinement l’avortement et à fournir des services d’avortement accessibles, sûrs et de bonne qualité à toute personne en ayant besoin. Appelez les autorités marocaines à respecter, protéger et réaliser les droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles.

Quel est le problème ?

La criminalisation de l’avortement au Maroc a des conséquences dévastatrices pour les femmes et les filles, les forçant à recourir à des méthodes clandestines et dangereuses pour mettre un terme à leur grossesse, même lorsque celle-ci est le résultat d’un viol. L’« effet dissuasif » des lois pénales et autres mesures punitives empêche également les femmes et les filles de chercher à obtenir des soins post-avortement en cas de complications ou lorsque l’avortement échoue.

Dans un pays où les relations sexuelles en dehors du mariage sont interdites, ces femmes et ces filles s’exposent à une arrestation et des poursuites judiciaires si elles cherchent à obtenir un avortement illégal et sont donc souvent forcées de mener à terme la grossesse, ce qui les expose à des violences liées au genre, à l’exclusion et à la pauvreté, ainsi qu’aux conséquences douloureuses des tentatives d’avortement ratées.

J’aurais aimé qu’il existe des endroits où avorter gratuitement, en toute sécurité et de façon confidentielle. Nadia, qui a subi un viol et a été forcée à avorter par ses propres moyens

L’inaction du Maroc en vue d’assurer un accès sûr et légal à l’avortement et à des soins post-avortement entraine des atteintes aux droits des femmes à la vie, à la santé, à la dignité, à l’autonomie corporelle, à l’égalité et à la non-discrimination, ainsi qu’à leur droit de ne pas subir de torture ou d’autres mauvais traitements.

Ce que vous pouvez faire

Signez la pétition et appelez les autorités marocaines à dépénaliser pleinement l’avortement et à fournir des services d’avortement accessibles, sûrs et de bonne qualité à toute personne en ayant besoin et à respecter, protéger et réaliser le droit des femmes et des filles de prendre des décisions de manière autonome, libre et éclairée quant à leur santé sexuelle et reproductive et à leur vie. 

La société est impitoyable…

J’ai perdu ma santé à cause de tentatives d’avortement, d’emprisonnement et d’accouchements dans des conditions difficiles… Si j’avais pu avorter, ma vie ne serait pas un enfer. Je n’ai pas ma santé, ni un emploi, ni le respect des autres, même pas de mes enfants, rien.

Ouiam, une femme de 28 ans qui, incapable d’obtenir un avortement, a été contrainte de mener une grossesse à terme, puis condamnée à trois mois de prison pour des relations sexuelles hors mariage.

La criminalisation de l’avortement au Maroc a des conséquences dévastatrices pour les femmes et les filles. La menace d’emprisonnement crée un climat de peur, poussant les femmes et les filles à recourir à des méthodes dangereuses pour mettre fin à des grossesses non désirées, y compris celles résultant de viols. Ces méthodes, qui traumatise et mutilent souvent les femmes et les filles, échouent fréquemment. Dans un pays où les relations sexuelles hors mariage sont également criminalisées, ces femmes et ces filles sont effectivement contraintes de mener leur grossesse à terme, les exposant à des poursuites, à l’ostracisme et à la misère tout en endurant les conséquences douloureuses des tentatives d’avortement ratées.

La recherche d’Amnesty International montre que les autorités marocaines violent un large éventail de droits humains des femmes et des filles en criminalisant l’avortement ainsi que les relations sexuelles hors mariage ; en leur refusant des services de santé sexuelle et reproductive et des informations, ainsi que leur autonomie reproductive ; et en perpétuant des stéréotypes nuisibles, des violences sexistes et des discriminations à l’encontre des femmes.

La Constitution marocaine garantit les droits à la vie, à la santé, à la vie privée, à la liberté de la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi qu’à l’égalité entre les hommes et les femmes – tous violés au Maroc en raison de la criminalisation de l’avortement et des relations sexuelles hors mariage.

Aujourd’hui, les autorités marocaines ont une occasion historique de garantir le droit des femmes à la prise de décision autonome en dépénalisant l’avortement et les relations sexuelles hors mariage alors qu’elles avancent vers une révision complète du Code pénal et de la révision en cours du Code de la famille.

Cela n’a jamais été aussi urgent que décrit dans ce rapport, qui documente les violations dévastatrices des droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles au Maroc, ainsi que d’autres droits humains, mis en évidence par les témoignages de femmes qui ont courageusement partagé leurs expériences avec les chercheurs d’Amnesty International. Sur les 33 femmes qui ont cherché un avortement interrogées par Amnesty International, seules 14 ont pu en obtenir un ; les 19 autres ont été contraintes de mener leur grossesse à terme. Dix des femmes interrogées sont tombées enceintes à la suite d’un viol. Sept femmes ont fini par placer leurs enfants dans un orphelinat ou les ont abandonnés pour la kafala. Cinq femmes ont déclaré à Amnesty qu’elles avaient envisagé ou tenté de se suicider. Trois femmes ont été condamnées par un tribunal pénal pour des relations sexuelles hors mariage.

Vingt-huit des 33 femmes interrogées ont déclaré avoir été victimes de violences sous une forme ou une autre, de la part de leur partenaire intime, de membres de leur famille, de praticiens de santé et/ou de membres de leur communauté.

Ce rapport est basé sur des entretiens menés entre mai 2022 et mars 2023 avec 77 personnes, parmi lesquelles 33 femmes qui avaient cherché un avortement, dans différentes parties du pays. L’organisation a également interrogé deux médecins généralistes et deux gynécologues, un travailleur social hospitalier, trois avocats, un juge et des représentants de 15 ONG marocaines travaillant sur les droits des femmes, les droits des personnes handicapées et les droits civils. Amnesty International a examiné les lois et la jurisprudence marocaines pertinentes ainsi que les informations officielles limitées disponibles sur les directives sectorielles en matière de justice et de santé et les données relatives à l’avortement. Cela comprenait les décrets, les lignes directrices, les statistiques, les études et les rapports disponibles sur les sites Web officiels des ministères de la Santé, de la Justice et de la Solidarité, de l’intégration sociale et de la famille, ainsi que de la Présidence du Procureur public, du Haut-Commissariat au Plan et du Parlement marocain. Le 23 mars 2023 et le 24 novembre, Amnesty International a écrit au Chef du gouvernement, au Ministre de la Santé, au Ministre de la Justice et à la Présidence du Procureur public pour demander des réunions avec les chercheurs de l’organisation et des informations spécifiques sur les politiques et réglementations en matière d’avortement et les statistiques connexes. Le 10 janvier 2024, l’organisation a envoyé une troisième communication aux autorités pour partager les principales conclusions du rapport et demander leur réponse à inclure dans ce rapport. Aucune réponse à aucune de ces lettres n’avait été reçue au moment de la publication.

Criminalisation de l’avortement

Le Code pénal du Maroc criminalise l’avortement au Maroc sauf s’il est pratiqué par un médecin ou un chirurgien, est nécessaire pour sauver la vie ou la santé de la femme et est autorisé par son mari ou un médecin-chef, ou un médecin-chef a été informé si la vie de la mère est en danger.

Ces dispositions très restrictives, combinées à l’absence au Maroc de tout cadre publiquement accessible sur les services d’avortement légal ou de directives par les autorités, ainsi qu’au stigmate et aux menaces liés à l’avortement, signifient qu’il n’y a pas de voie légale et sûre vers l’avortement pour la plupart des femmes au Maroc.

En dehors des exceptions légales étroites, les femmes qui ont ou tentent d’avoir un avortement encourent le risque d’être poursuivies et condamnées à des peines pouvant aller de six mois à deux ans de prison et à une amende. Toute personne qui procure ou tente de procurer un avortement encourt une peine de un à cinq ans de prison.

Les professionnels de la santé qui facilitent ou pratiquent un avortement peuvent être exclus de leur profession, et s’ils ont connaissance d’avortements dans l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, sont tenus de témoigner s’ils sont cités à comparaître devant un tribunal et ne peuvent donc pas protéger la confidentialité des patients. « Inciter à l’avortement », notamment par des discours publics ou la distribution de documents sur l’avortement, est punissable de jusqu’à deux ans de prison et/ou d’une amende.

Comme l’a dit un médecin interrogé par Amnesty, « Que pouvons-nous faire en tant que médecins ? Rien. Nous ne pouvons pas aider les femmes. Nos mains sont liées. Nous sommes frustrés car nous ne pouvons pas offrir aux femmes l’aide qu’elles veulent. Il n’y a aucun cadre réglementaire pour nous protéger. Nous sommes surveillés. »

De plus, le Code pénal punit toute relation sexuelle entre personnes non mariées d’un mois à un an de prison, et l' »adultère » (relations sexuelles avec quelqu’un d’autre que son conjoint légal) d’un à deux ans de prison, les femmes étant souvent punies plus sévèrement que les hommes tant sur le plan légal que social. Cela a des implications profondes sur la capacité des femmes à accéder à des informations, services et biens de santé sexuelle et reproductive, et alimente la violence et la discrimination sexistes.

Trois femmes interrogées par Amnesty International ont été condamnées pour des relations sexuelles hors mariage directement à la suite de leur incapacité à obtenir un avortement et à devoir mener la grossesse à terme. Les femmes non mariées enceintes contraintes de mener leur grossesse à terme attirent souvent l’attention des autorités lorsqu’elles sollicitent une assistance des services publics, comme c’est leur droit, principalement si elles déposent une plainte de violence contre un partenaire ou se rendent dans un hôpital public pour accoucher.

Comme ailleurs dans le monde, la criminalisation de l’avortement au Maroc n’empêche pas les femmes de chercher un avortement, mais les oblige plutôt à recourir à des méthodes clandestines, non réglementées, dangereuses et souvent coûteuses d’avortement. La criminalisation viole également un éventail de droits humains, notamment les droits à la vie ; le plus haut niveau de santé physique et mentale, y compris la santé sexuelle et reproductive ; l’égalité et la non-discrimination ; la vie privée ; la protection égale en vertu de la loi ; et la liberté de la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants.

Violence et discrimination à l’égard des femmes

L’incapacité des autorités marocaines à lutter efficacement contre les formes croisées de violence et de discrimination sexistes impacte chaque étape de l’expérience des femmes, de la promotion de grossesses non intentionnelles ou non désirées, à l’influence sur la prise de décision des femmes concernant leurs grossesses, et à la détermination des conditions dans lesquelles elles obtiennent des avortements (généralement dangereux) ou sont contraintes de poursuivre des grossesses non désirées.

Deux enquêtes nationales de la Haute Commission de Planification sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes (2009, 2019), et des années de documentation par des groupes de défense des droits des femmes au Maroc ont montré que la violence à l’égard des femmes et des filles est répandue et que la réponse de l’État reste insuffisante. Le Code pénal et le Code de procédure pénale du Maroc présentent de nombreuses lacunes et insuffisances, notamment l’absence de mesures de protection efficaces ou de directives spécifiques pour le signalement, l’enquête et la poursuite des violences sexistes. Le viol est toujours défini comme un acte commis contre la volonté d’une femme, impliquant l’utilisation de la force ou de la menace et des blessures physiques pour que cela soit considéré comme un viol, et le viol conjugal n’est pas criminalisé.

En raison de l’incapacité des autorités judiciaires à enquêter et à poursuivre de manière adéquate les crimes de violence à l’égard des femmes, peu de cas vont jamais en procès, sapant la perception des survivantes de leur capacité à obtenir une réparation/à rechercher la justice. En conséquence, et comme le démontre l’enquête nationale de 2019, seuls 10,4 % des femmes ayant subi des violences physiques ou sexuelles au cours de l’année précédente avaient déposé une plainte. Cela crée un climat d’impunité pour les violeurs.

Les rapports annuels de la Haute Commission de Planification compilant les statistiques ministérielles montrent que les femmes souffrent de niveaux beaucoup plus élevés d’analphabétisme, de pauvreté et de chômage que les hommes, et que celles qui trouvent un emploi sont souvent employées dans des emplois mal rémunérés, précaires et informels. Les femmes sont donc contraintes de prendre des décisions concernant leur santé sexuelle et reproductive dans un contexte d’insécurité, d’exclusion sociale et de privation économique.

Droits sexuels et reproductifs

En vertu du droit international des droits de l’homme, et en tant qu’extension de leur droit à l’égalité et à la non-discrimination, les femmes ont le droit de prendre des décisions autonomes et éclairées concernant leur santé sexuelle et reproductive, y compris le droit de décider si et quand devenir enceintes. Cependant, la discrimination systémique entre les sexes au Maroc crée de multiples obstacles à l’exercice de ces droits par les femmes et favorise les grossesses non intentionnelles et non désirées.

Ces obstacles incluent des niveaux élevés de violence basée sur le genre commise en toute impunité. Dix des 33 femmes interrogées par Amnesty International étaient tombées enceintes à la suite d’un viol. La violence domestique a fait que deux des femmes sont restées avec des partenaires violents pendant des années et ont été contraintes de mener plusieurs grossesses à terme. Amnesty International a également documenté quatre cas de grossesses non intentionnelles ou non désirées résultant de harcèlement sexuel et d’abus sur le lieu de travail ou dans des établissements d’enseignement.

L’accès à la contraception fait également partie du droit à la santé, et un accès inadéquat à la contraception affecte de manière disproportionnée les femmes qui ne peuvent pas se le permettre. De plus, des réglementations peu claires et incohérentes et la criminalisation des relations sexuelles hors mariage semblent entraver la capacité des femmes non mariées à accéder à la contraception. Une femme a dit à Amnesty International que l’établissement de santé publique local lui avait refusé des pilules contraceptives parce qu’elle n’était pas mariée et, incapable de les acheter elle-même, elle est tombée enceinte.

La discrimination entre les sexes dans les domaines social et économique laisse également les femmes plus exposées au risque de grossesses non intentionnelles ou non désirées. Les taux élevés de chômage ont poussé trois femmes interrogées par Amnesty International à migrer vers d’autres régions du pays pour trouver du travail. Là, isolées de leurs familles, elles ont cherché une protection sociale auprès d’un homme, ce qui a entraîné des grossesses non intentionnelles ou non désirées.

Amnesty International, 14 mai 2024

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