Algérie: cohésion pour faire face aux tensions géostratégiques

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Les impacts de l’épidémie du coronavirus, le réchauffement climatique et les enjeux aux frontières de l’Algérie préfigurent d’importantes reconfigurations géopolitiques et géoéconomiques mondiales et régionales. C’est que cette région connait d’importants trafics qui alimentent le terrorisme risquant de déstabiliser toute la région. L’Algérie est une des pièces maitresses de la stabilité de la région, méditerranéenne et africaine. D’où l’importance d’une coordination internationale pour à la fois favoriser le co-développement et juguler ce fléau qui a des incidences sur toute l’Afrique et l’Europe à travers les flux migratoires.

Par Dr Abderrahmane MEBTOUL

Selon différents experts trois facteurs permettent de comprendre les liens entre trafic et terrorisme : premièrement, l’existence de mouvements communautaires, ethniques et religieux, qui permettent une collaboration entre terroristes et criminels, sur la base de valeurs partagées et de confiance mutuelle. Deuxièmement, la survenance d’un conflit armé. Troisièmement, les contraintes qui jouent lors d’échanges transnationaux complexes de marchandises illégales ; des échanges qui impliquent souvent d’autres parties intermédiaires et de certains segments de l’administration corruptibles.

Les récentes investigations dans le cadre de la lutte antiterroriste menées par les services de renseignements révèlent de nouvelles données au niveau de la région sahélienne inséparable des conflits au Moyen Orient et dans certaines contrées d’Afrique. La Libye n’est plus la seule menace potentielle, le Mali qui gagne du temps pour appliquer les accords d’Alger. Au Sahel, les groupes armés ont proliféré, accru leur capacité de nuisance, se sont diversifiés en terroristes, insurgés, criminels et milices, selon des variables complexes. Désormais, une coopération et une convergence rassemblent ces groupes. L’exemple le plus évident de ce type de coopération-convergence, c’est le narco-terrorisme, dont le commerce de la drogue illégale sape les efforts pour poursuivre les réformes politiques et le développement nécessaires pour endiguer la radicalisation et la montée des groupes terroristes. Pour lutter contre le terrorisme et trafiquants en tous genres, il s’agit de mettre l’accent avant tout sur l’échange de renseignements qui doit se faire de manière instantanée, pratiquement en temps réel et harmoniser des politiques de lutte contre le terrorisme car sans sécurité point de développement.

Le Sahel est également une zone de transit pour les passeurs. 50 à 60% de ceux qui traversent la Libye vers l’Europe passent par la région. C’est pourquoi il y a lieu d’accorder une attention particulière aux tensions au niveau du Sahel où la ceinture sahélienne recouvre, entièrement ou en partie, les pays suivants : l’Algérie (à l’extrême sud) ; le Sénégal ; la Mauritanie (au sud) ; le Mali ; le Burkina Faso (au nord) ; le Niger ; le Nigeria (à l’extrême nord) ; le Tchad (au centre). Le Sahel est un espace sous-administré et souffrant d’une mauvaise gouvernance chronique et sa vulnérabilité est amplifiée par une forte croissance démographique. Le Sahel devrait doubler sa population d’ici 25 ans, et compte plus de 100 millions d’habitants en 2020. Cette croissance affectera certainement la sécurité humaine et notamment alimentaire de la région dans son ensemble. A cela se greffent d’importantes inégalités tant internes aux pays développés qu’entre le Nord et le Sud l’intensification de la radicalisation qui est le fruit d’une conjonction de facteurs liés à l’individu, ses relations, sa communauté et son rapport à la société.

Identifier un processus de radicalisation ne se fait pas sur la base d’un seul indice mais d’un faisceau d’indicateurs. Ces indicateurs n’ont, par ailleurs, pas tous la même valeur et seule la combinaison de plusieurs d’entre eux permet d’établir un constat. Mais existent des enjeux économiques, le Sahel étant un espace recelant d’importantes ressources minières d’où les ingérences étrangères manipulant différents acteurs afin de se positionner au sein de ce couloir stratégique et de prendre le contrôle des nombreuses richesses. L’arc sahélien est riche en ressources : après le sel et l’or, pétrole et gaz, fer, phosphate, cuivre, étain et uranium sont autant de richesses nourrissant les convoitises de puissances désirant s’en assurer le contrôle. Le commerce des stupéfiants, par exemple, a le potentiel de fournir aux groupes terroristes un bonus supplémentaire : les recrues et les sympathisants parmi les agriculteurs appauvris, négligés et isolés, et qui non seulement peuvent cultiver pour le compte des trafiquants, mais aussi populariser et renforcer les mouvements anti-gouvernementaux.

« La combinaison de ces divers éléments selon des schémas extrêmement complexes, induit un climat d’insécurité croissant propice à la déstabilisation des Etats sahéliens, faute d’une bonne gouvernance »

Les différents trafics sont liés à l’importance de la sphère informelle, produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat, en fait de la gouvernance, du poids de la bureaucratie qui entretient des relations diffuses avec cette sphère et des distorsions des taux de change, représentant en Afrique sahélienne plus de 80% de l’emploi et plus de 50% du produit intérieur brut. Le terrorisme international profite des dysfonctionnements de régulation des Etats et a au moins cinq caractéristiques en commun.

Premièrement, largement sur des réseaux souvent établis dans de vastes zones géographiques où les personnes, les biens et l’argent circulent. Deuxièmement, le contrôle par le commandement et la communication. Troisièmement, leur besoin de traiter de grandes quantités d’argent, de les blanchir et les transférer à travers les pays et les continents. Quatrièmement, criminels et terroristes ont tendance à se doter d’armées privées, d’où un besoin de formation, des camps et du matériel militaire. Cinquièmement, terroristes et criminels de la zone sahélienne partagent les caractéristiques communes : pratique fréquente d’opérations clandestines cherchant la légitimité dans le soutien des populations avec usage de guérillas durables pour pouvoir contrôler un territoire et des populations. Enfin, ces guérillas créent des cellules spécialisées dans l’usage des médias et d’internet pour diffuser leur propagande et leurs revendications. Ainsi, nous avons différentes formes de criminalité transnationale organisée qui forme une industrie en constante évolution, qui s’adapte aux marchés et crée de nouvelles formes de délinquance, s’agissant d’un commerce illicite qui transcende les frontières culturelles, sociales, linguistiques et géographiques. La combinaison de ces divers éléments selon des schémas extrêmement complexes, induit un climat d’insécurité croissant propice à la déstabilisation des Etats sahéliens, faute d’une bonne gouvernance.

« La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne a des implications sur toute l’Afrique du Nord »

Je rappelle les différents éléments de trafics liés à la compréhension de la sphère informelle que j’ai développée longuement par ailleurs. Premièrement, nous avons le trafic de marchandises. Pour l’Algérie, existent des trafics de différentes marchandises subventionnées comme le lait et la farine achetés en devises fortes, le trafic de carburant représenterait un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars pour le Trésor public, c’est énorme. Cela est lié globalement à la politique des subventions généralisées sans ciblage et à la distorsion des taux de change par rapport aux pays voisins. Deuxièmement, nous avons le trafic d’armes. Le marché « noir » des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché « blanc » puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d’armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d’armes s’effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics.

Troisièmement, nous avons le trafic de drogue. La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne a des implications sur toute l’Afrique du Nord où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement. Le trafic de drogue assure une marge de bénéfice très élevée : Un gramme de coca, qui coûte 1 $ à la production, est vendu de 200 à 300 dollars. Quatrièmement, nous avons la traite des êtres humains. C’est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l’exploitation sexuelle ou à l’exploitation par le travail. Nous avons le trafic de migrants qui est une activité bien organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels, des groupes et des itinéraires. Cinquièmement, nous avons le trafic de ressources naturelles qui inclut la contrebande de matières premières telles que diamants et métaux rares (provenant souvent de zones de conflit) et la vente de médicaments frauduleux potentiellement mortelle pour les consommateurs. Sixièmement, nous avons la cybercriminalité. Elle est liée à la révolution dans le domaine des systèmes d’information et peut déstabiliser tout un pays tant sur le plan militaire, sécuritaire qu’économique. Il englobe plusieurs domaines exploitant notamment de plus en plus internet pour dérober des données privées, accéder à des comptes bancaires et obtenir frauduleusement parfois des données stratégiques pour le pays. Le numérique a transformé à peu près tous les aspects de notre vie, notamment la notion de risque et la criminalité, de sorte que l’activité criminelle est plus efficace, moins risquée, plus rentable et plus facile que jamais. Septièmement, nous avons le blanchiment d’argent C’est un processus durant lequel l’argent gagné par un crime ou par un acte illégal est lavé. Il s’agit en fait de voiler l’origine de l’argent pour s’en servir après légalement. Les multiples paradis fiscaux, des sociétés de clearing (aussi Offshore) permettent de cacher l’origine de l’argent.

« L’Algérie fournit des efforts de guerre sans être en guerre, avec d’importants coûts financiers, le contexte des crises libyenne et malienne, la sécurité aux frontières étant devenue une préoccupation majeure des autorités algériennes »

Face à cette situation complexe et en perpétuelle mutation, la stratégie diplomatique et militaire de l’Algérie est guidée par des principes fondamentaux : la mise en place d’un dispositif de sécurité aux frontières et la restructuration des forces armées et de sécurité ; l’amorce de processus bilatéraux de coopération avec les pays voisins ; le développement d’un processus multilatéral à travers l’initiative des pays de Cham ; la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats et en cas exceptionnel prévu dans la constitution adoptée le 01 novembre 2020, l’ article 91 consacre, que le chef de l’état « chef suprême les forces armées de le république » et « responsable de le défense nationale peut décider « l’envoi d’unités de l’armée nationale populaire à l’étranger ».

Mais cette décision est subordonnée à l’approbation à la majorité les deux tiers de parlement, tout en déterminant le cadre de participation des forces militaires algériennes en dehors les frontières. Selon la nouvelle constitution, dans le cadre du respect de la souveraineté des Etats, « l’Algérie peut, dans le cadre les Nations unies, de l’Union africaine et de le Ligue des Etats arabes participer au maintien de la paix dans la région dans le cadre d’accords bilatéraux de pays concernés ». La justification de cet amendement est que cela est pleinement conforme à la politique étrangère de l’Algérie qui repose sur les principes « fermes et immuables », à savoir « le rejet du recours à la guerre et prôner la paix, le non-ingérence dans les affaires internes des états ainsi que la résolution des conflits et des différends internationaux par les voies pacifiques, conformément à la légalité internationale représentée par les instances internationales et régionales. Car dans le cadre de ces turbulences régionales, l’Algérie fournit des efforts de guerre sans être en guerre, avec d’importants coûts financiers, le contexte des crises libyenne et malienne, la sécurité aux frontières étant devenue une préoccupation majeure des autorités algériennes.

Car, la sécurité de l’Algérie est posée à ses frontières. Celle avec le Mali est de 1376 km ; la frontière entre l’Algérie et la Libye de 982 km ; la frontière Algérie Niger de 956 km et la frontière Algérie Tunisie est de 965 km… Toutes à surveiller. Aussi, malgré la situation budgétaire difficile l’Algérie a déployé une véritable task-force pour sécuriser ses frontières pour faire face à l’instabilité chronique de l’autre côté des frontières et dont les événements récents confirment la continuelle aggravation. Espérons pour atténuer certaines tensions, préjudiciables à la sécurité de la région, que le conflit du Sahara occidental trouve une issue rapide dans le cadre de la résolution des Nations unies, afin de pouvoir consolider l’intégration maghrébine, pont entre l’Europe et l’Afrique, la non-intégration faisant perdre à l’UMA plus de 3% de taux de croissance soit au PIB 2019 environ 15 milliards de dollars/an sans compter les effets positifs indirects.

« La stabilité de l’Algérie et la reconquête de notre cohésion nationale passe par la construction d’un front intérieur solide et durable »

En conclusion, la lutte contre les trafics et le terrorisme implique, outre une coopération internationale pour unifier le renseignement sans lequel l’action opérationnelle risque d’être inefficiente, et une nouvelle gouvernance afin de mettre fin à cette inégalité tant planétaire qu’au sein des Etats où une minorité s’accapare une fraction croissante du revenu national enfantant la misère et donc le terrorisme, renvoyant à la moralité de ceux qui dirigent la Cité. Pour l’Algérie, l’objectif stratégique est de traduire en termes concrets ses potentialités, pour être en mesure de relever avec succès les défis innombrables qui nous sont lancés par le monde moderne étant à l’aube de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur les nouvelles technologies et les défis de la transition numérique et énergétique. Je suis persuadé, en fonction de son histoire mouvementée depuis des siècles et de ses potentialités actuelles, notre peuple trouvera sans nul doute les ressources morales et psychologiques qui lui permettront, comme il l’a fait maintes fois face à l’adversité, de transcender avec dignité et honneur les rancunes et les haines tenaces.

C’est pourquoi, je tiens à considérer que la stabilité de l’Algérie et la reconquête de notre cohésion nationale passe par la construction d’un front intérieur solide et durable en faveur des réformes. Il s’agit là de l’unique voie que doivent emprunter les Algériens afin de transcender leurs différends, à vaincre la haine et les peurs qui les habitent, et à trouver les raisons de vivre harmonieusement ensemble et de construire, toujours ensemble, le destin exceptionnel que de glorieux aînés de la génération du 1er novembre 1954 ont voulu désespérément pour eux.

*Professeur des universités, docteur d’Etat 1974- expert international -Membre du conseil scientifique de l’organisation panafricaine Cafrad/Unesco et du Forum Mondial du Développement Durable

ANA

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