L’Espagne entre deux feux nord-africains

L’Espagne entre deux feux nord-africains – Maroc, Algérie, Sahara Occidental, gaz,

Soetkin Van Muylem

Alger menace d’arrêter ses exportations de gaz vers l’Espagne en raison d’un potentiel accord énergétique entre Madrid et le Maroc.

Le Maroc et l’Algérie sont engagés dans un différend sur le Sahara occidental depuis des décennies. Cette ancienne colonie espagnole a été annexée par le Maroc en 1975, contrairement à un arrêt de la Cour internationale de justice. Le territoire occupé est riche en phosphates et les eaux côtières regorgent de poissons. Un pilier important de la politique étrangère du Maroc tente d’obtenir un soutien international pour l’acceptation de sa souveraineté sur la région.

Malgré les résolutions répétées du Conseil de sécurité de l’ONU réaffirmant le droit à l’autodétermination et à un référendum sur l’indépendance des Sahraouis (les premiers habitants du Sahara occidental), le Maroc a annoncé son plan d’autonomie pour le Sahara occidental en 2007. Ce plan ferait de la zone une région semi-autonome sous souveraineté marocaine. Le plan a depuis obtenu le soutien des États-Unis et de la France, mais de nombreux observateurs s’interrogent sur la réelle volonté et même la capacité du Maroc à accorder une autonomie limitée compte tenu du régime autoritaire que maintient le roi Mohammed VI. Les protestations citoyennes des minorités pour plus de droits politiques, sociaux et culturels sont sévèrement réprimées au Maroc, comme cela a été illustré il y a quelques années dans le Rif.

De nombreux Sahraouis qui ont fui les conquérants marocains en 1975-1976 vivent dans des camps de réfugiés en Algérie.

Le Front Polisario, le mouvement indépendantiste pour le Sahara Occidental, rejette le plan marocain d’autonomie et exige un référendum sur l’indépendance comme l’envisage la Mission de l’ONU pour le Sahara Occidental. Elle peut compter sur le soutien vocal de l’Algérie, qui soutient le mouvement de libération depuis sa création. De nombreux Sahraouis qui ont fui les conquérants marocains en 1975-1976, par exemple, vivent depuis lors dans des camps de réfugiés rudimentaires en Algérie.

La souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a été rejetée par les Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne, la Cour internationale de justice et la Cour de justice de l’Union européenne. Officiellement, le Sahara occidental est considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU, mais depuis que les États-Unis l’ont reconnu comme territoire marocain en 2020, le royaume s’est donné pour priorité d’étendre davantage cette reconnaissance, notamment en Europe.

Problèmes de gaz

Ces efforts diplomatiques accrus ont récemment porté leurs fruits lorsque l’Espagne a annoncé le mois dernier qu’elle était derrière le plan marocain d’autonomie. Cependant, cette décision n’a pas été bien accueillie à Alger, qui avait déjà coupé toutes les relations diplomatiques avec Rabat en août dernier. Mécontente du soutien espagnol au plan marocain, l’Algérie a immédiatement rappelé son ambassadeur à Madrid . Dans un communiqué, les autorités algériennes ont condamné le « revirement brutal » de l’attitude de l’Espagne dans le conflit qui dure depuis des décennies.

Cette semaine, Alger a également menacé d’arrêter ses exportations de gaz vers l’Espagne. Dans un contexte de flambée des prix du gaz, propulsée par la guerre en Ukraine, cela pourrait s’avérer problématique pour Madrid. Le déclencheur direct de la menace algérienne est les pourparlers entre l’Espagne et le Maroc pour aider à augmenter les réserves de gaz du royaume d’Afrique du Nord, qui est aux prises avec une pénurie.

L’Algérie a fermé en août dernier – en même temps qu’elle gelait ses relations diplomatiques avec le Maroc voisin – un gazoduc qui traverse leur frontière commune jusqu’à Rabat. Par ailleurs, fin octobre, l’Algérie a refusé de renouveler un contrat de distribution de gaz avec le Maroc, qui assurait 10 % de la production d’électricité du royaume. Le contrat de 25 ans qui venait alors à expiration garantissait que Rabat recevait une petite partie de l’approvisionnement en gaz naturel de l’Algérie vers l’Espagne via un gazoduc qui traversait le Maroc.

Le gaz algérien est aujourd’hui exporté vers l’Espagne via un autre gazoduc direct à travers la Méditerranée vers la ville côtière du sud-est d’Almería, ainsi que sous forme liquide par pétrolier. Avec la possible coopération énergétique entre l’Espagne et le Maroc, Alger menace désormais de tourner complètement le robinet du gaz vers la péninsule ibérique.

L’Espagne dépend de l’Algérie pour plus d’un tiers de sa consommation de gaz naturel.

Alors que l’Espagne dépend de l’Algérie pour plus d’un tiers de sa consommation de gaz naturel, cette menace sème la panique à Madrid. Le ministre espagnol de l’énergie s’est empressé de déclarer qu' »en aucun cas le gaz acquis par le Maroc ne proviendrait d’Algérie ». L’idée est que le Maroc pourrait faire acheter sur le marché international du GNL transformé en gaz naturel dans ses installations sur le continent espagnol. après quoi il serait exporté vers le royaume d’Afrique du Nord via le gazoduc qui a acheminé le gaz algérien vers l’Espagne jusqu’en octobre dernier, mais Alger n’est pas satisfait de ce projet.

L’Espagne est donc dans une position très inconfortable. Elle a été abordée par le Maroc qui, privé de gaz de son voisin nord-africain, cherche désespérément d’autres sources pour assurer sa sécurité énergétique. Puisque Rabat est un partenaire important pour l’Espagne – et par extension pour l’UE – pour tenter de freiner l’immigration en provenance d’Afrique, Madrid pouvait difficilement refuser d’aider à trouver une solution à la pénurie de gaz marocain. Dans le même temps, l’Espagne ne peut pas se permettre de perdre son approvisionnement en gaz algérien, en particulier dans le contexte plus large de la crise internationale des prix et de l’approvisionnement du gaz résultant de la guerre en Ukraine.

En réponse aux sanctions occidentales imposées à la Russie pour son invasion de l’Ukraine, la société d’État russe Gazprom a annoncé cette semaine qu’elle couperait l’approvisionnement en gaz de la Pologne et de la Bulgarie. Le gaz algérien a pris une importance énorme dans la recherche des pays européens d’alternatives au gaz russe. Par exemple, l’Italie a signé un accord avec l’Algérie au début du mois pour augmenter l’approvisionnement en gaz de ce pays de 40 %.

Madrid devra effectuer un délicat exercice d’équilibre diplomatique pour maintenir les fraises nord-africaines en bons termes.

Vrede.be, 30/04/2022

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