Maghreb: le Makhzen, poison politique et trublion régional

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par Mahdi Boukhalfa*
Le 24 août 2021, l’Algérie annonce qu’elle rompt ses relations diplomatiques avec le Maroc, son voisin de l’ouest.
L’annonce du ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, n’a pas fait l’effet d’une bombe dans le paysage médiatique, diplomatique et politique international, tant la brouille persistante entre les deux pays était devenue en quelque sorte une constante tendancielle de leurs relations depuis plus d’un demi siècle. En particulier durant les dernières années du long règne d’Abdelaziz Bouteflika : A la veille des festivités nationales en 2013 du déclenchement de la révolution armée algérienne, le 31 octobre au soir, un jeune marocain est monté, excité et encouragé par une foule déchaînée lors d’une de ces récurrentes manifestations anti-algériennes, sur le toit du consulat d’Algérie à Casablanca et a enlevé de son socle le drapeau algérien. L’incident diplomatique, s’il en est, n’a pas trop formalisé Alger, juste une note de protestation. Les autorités algériennes étant habituées par ce genre d’actes hostiles de leur voisin, ont préféré se concentrer sur les festivités marquant le 59eme anniversaire du 1er novembre 1954.
A Rabat également, aucune réaction officielle ; on s’est tu, et aucun communiqué du gouvernement ou de la diplomatie marocaine, en d’autres occasions si prompte à bomber le torse, n’a été émis pour sanctionner cette grave atteinte contre l’honneur de l’Algérie, un pays ami et voisin. Le ‘’quidam », sans doute manipulé, n’a écopé que d’un mois de prison, avec sursis. 
Ailleurs, si l’incident s’était déroulé à Alger, cela aurait déclenché les plus vives protestations du Makhzen, le rappel de l’ambassadeur, et une large campagne médiatique contre l’Algérie. Mais, dans l’océan trouble des relations en dents de scie entre les deux pays, il y a eu pire, puisque c’est l’état marocain lui-même qui en est le responsable, sinon l’instigateur. 
En juin 2005, une délégation ministérielle algérienne de haut niveau conduite par le Premier ministre Ahmed Ouyahia, devait se rendre à Rabat pour discuter de plusieurs dossiers de la coopération bilatérale entre les deux pays, notamment les questions consulaires, politiques et économiques. Cette visite de travail devait également, in fine, ouvrir la voie à des discussions plus poussées pour la réouverture des frontières. Pourtant, à la veille de cette visite, Rabat se fend d’un communiqué de son ministère des Affaires étrangères et de la coopération pour inviter la délégation ministérielle algérienne à surseoir à son déplacement au Maroc.
A Alger, c’est la douche froide. Une volte-face dont le Maroc a habitué autant ses partenaires économiques, politiques que les organisations internationales, les Nations Unies au premier rang. Le Maroc est un état qui donne cette désagréable sensation que l’on a affaire à un enfant gâté ; si ses désirs ne sont pas satisfaits, il se met à crier et à tout casser, y compris tout ce qui le lie avec ses voisins, et même ses protecteurs. 
La seconde crise créée par Rabat cet été est celle des migrants subsahariens, qu’il a encouragés à envahir l’enclave espagnole de Melilla, ainsi que celle où plus de 6000 Marocains avaient gagné à la nage en mai 2021 l’autre enclave espagnole, Ceuta. Ces manquements aux accords de Rabat avec l’UE en matière de gestion des flux migratoires sont interprétés comme une sorte de chantage du Makhzen contre Madrid, Paris et Bruxelles pour entériner définitivement son annexion du Sahara Occidental. 
Cette nouvelle phase dans le bras de fer que veut mener le Maroc avec ses partenaires européens s’explique en fait par le deal entre Washington, Mohamed VI et l’entité sioniste en décembre 2020, alors que Donald Trump, battu aux présidentielles, avait engagé els USA sur une mauvaise pente.
Le Maroc, début 2021, pense ainsi être bien protégé par le parapluie américain, après avoir accepté un accord de dupes avec le président sortant Donald Trump, qui avait proposé au Palais royal de normaliser ses relations diplomatiques avec l’entité sioniste, pour la réintroduire dans la sous-région maghrébine, en échange d’une reconnaissance par Washington de ‘’la souveraineté » marocaine au Sahara Occidental. 
Cette proposition faite par Trump le 10 décembre 2020 a donc été bien évidemment acceptée par Rabat. Dopé par l’appui US à ses revendications territoriales illégitimes, le royaume du Maroc a donc tout naturellement ressorti l’arme du chantage migratoire, en ouvrant deux fronts de tension avec Madrid et Berlin, deux Etats importants de l’Union européenne. Cela correspond à l’invasion en mai 2021 des marocains de l’enclave espagnole de Ceuta, sous l’œil complice de la police et les ‘’M’khaznias », la police communale, ainsi appelée au Maroc. La raison de cette incartade diplomatique de Rabat : Madrid avait accepté pour des raisons humanitaires l’hospitalisation sur son sol du président de la RASD Brahim Ghali. 
Avec Berlin, Rabat est allé plus loin en rappelant son ambassadeur pour consultation, après avoir ouvertement accusé le gouvernement allemand ‘’d’actes hostiles ». Ces ‘’actes hostiles » se résument en réalité à la position de l’Allemagne qui n’a pas ajouté un quelconque crédit à la ‘’reconnaissance de Washington », sous le règne finissant de Trump, de la souveraineté marocaine au Sahara Occidental. L’Allemagne d’Angela Merkel avait ‘’pris ses distances » avec la proposition de Trump en demandant une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara occidental, un territoire occupé depuis 1975 par le Maroc. 
Berlin, fidèle aux résolutions onusiennes, n’avait fait que rappeler le respect du droit international, en vertu de la résolution sur la tenue d’un référendum d’autodétermination que le Maroc a toujours refusé et repoussé sans cesse ‘’aux calendes grecques ». Pour autant, la crise de Ceuta a davantage malmené l’image déjà terne du royaume chérifien auprès des gouvernements européens. 
Les révélations en juillet par les médias internationaux de l’utilisation par le Maroc contre la France ou l’Algérie du logiciel espion Pegasus, fourni par la société israélienne NSO, ont encore enfoncé le Maroc. Dans le cas par ailleurs de Bruxelles, Rabat exerce sur l’union européenne le chantage économique à travers l’accord de pêche en vertu duquel la flotte espagnole surtout, mais également française, pille les richesses halieutiques des eaux extrêmement poissonneuses du Sahara Occidental. Et, sur ce chapitre, le Maroc a toujours joué pour faire monter la pression politique, et la tension économique à Madrid, en traînant des pieds pour ratifier un accord de pêche de toute façon illégal ; et qu’on a toujours dénoncé à Strasbourg. Le cas français, par contre, est encore plus symptomatique des manœuvres de chantages et d’atermoiements du Maroc pour obtenir gain de cause, en dépit de la légalité et les lois internationales, auprès de certains de ses partenaires politiques.
Il en est ainsi de l’affaire Hammouchi, Abdellatif de son prénom, qui a défrayé la chronique judiciaire et diplomatique entre Paris et Rabat entre 2014 et 2016. Le Maroc, cela est connu dans toutes les chancelleries, traîne beaucoup de casseroles, dont celle qui voudrait que le pays souffle le chaud et le froid dans ses relations diplomatiques, qu’il n’inspire pas tellement confiance quant au respect de se ses engagements internationaux. Il en est ainsi de l’affaire de justice, qui avait éclaté en février 2014, à la suite du dépôt d’une première plainte en mai 2013 d’une association française de lutte contre la torture visant le patron du contre–espionnage marocain Abdellatif Hammouchi.
En février 2014, se rendant compte que le chef de la DGST du Maroc faisait partie de la délégation officielle menée alors par le ministre de l’Intérieur Mohamed Hassad, ancien wali de Tanger, l’Acat réactive sa plainte pour torture contre le chef de la DGST. Et donc, juste après que l’information sur la présence sur le sol français d’Abdellatif Hammouchi a fuité, Atac réactive sa plainte et le parquet parisien envoie sept policiers à Neully-sur-Seine, lieu de la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris, pour notifier au chef du contre-espionnage marocain une convocation émanant d’un juge d’instruction. A Rabat, on s’indigne et on crie au crime de ‘’lèse majesté ». L’ambassadeur de France, Charles Fries, est convoqué par le ministère des Affaires étrangères marocain ‘’pour lui signifier la protestation vigoureuse du royaume ». 
Dans la foulée, les marocains suspendent sine die leur coopération judiciaire avec la France, au plus fort de la radicalisation de ressortissants français d’origine marocaine notamment et déposent une plainte pour ‘’dénonciations calomnieuse ». La justice française statuera de son côté en juillet 2016 dans cette affaire, classant ‘’sans suite » autant la plainte de l’Acat que celle des autorités marocaines. Mais, la suspension par le Maroc de sa coopération judiciaire, en particulier le volet de la lutte antiterroriste avec Paris avait provoqué une véritable panique au sein des services de sécurité de l’Hexagone. 
La France passe donc l’éponge, Rabat rétablit sa coopération judiciaire avec Paris, qui, pour accompagner ce geste, récompense un tortionnaire, selon les ONG de défense des droits de l’homme à Rabat, au rang de ‘’Chevalier de la Légion d’Honneur ». Ce sera Bernard Caseneuve, ministre de l’Intérieur à l’époque, qui va s’exécuter et remettre samedi 14 février 2015 à Rabat, en personne et en tant que premier policier Français, la décoration à son controversé récipiendaire.
C’était une offrande des socialistes français. ‘’ La France avait déjà eu l’occasion de distinguer monsieur Hammouchi en 2011 en lui attribuant le titre de Chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur. Elle saura prochainement lui témoigner à nouveau son estime en lui remettant cette fois les insignes d’Officier », avait déclaré à Rabat Bernard Caseneuve. Cette affaire résume tristement le comportement d’un pays, qui exerce autant le chantage que la provocation dans ses rapports avec la communauté internationale. Et celle de la France officielle qui, pour maintenir son influence dans la région, est capable des pires compromissions.
Pour les autorités algériennes, ce comportement est symptomatique des nombreuses fuites en avant du Maroc et de la France devant leurs responsabilités internationales. Et, surtout, que l’on doit se méfier de toute ouverture qui viendrait à contre courant de la conjoncture internationale, ou régionale qui émanerait du Makhzen. Et donc la réaction outrée d’une Algérie fatiguée de supporter les incartades diplomatiques de son voisin de l’est, n’a pas surpris les capitales arabes et occidentales. Officiellement, l’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc après une série d’ ‘’actes hostiles » répétés de ce dernier. La réaction de la diplomatie algérienne est en fait l’annonce de la décision prise quelques jours plus tôt par le Haut conseil de sécurité (HCS) algérien à l’issue d’une réunion extraordinaire, qui a souligné que la répétition des actes hostiles du Maroc avait ‘’nécessité la révision des relations entre les deux pays ‘’. 
Parmi les actes hostiles dont fait mention le HCS algérien, l’appel du Maroc aux pays Non Alignées, mi-août 2021, à soutenir un mouvement séparatiste algérien, classé par Alger comme organisation terroriste. Un appel à la sédition dans une Algérie alors en lutte sur un double front : contre une forte propagation de la pandémie du Covid-19, et d’impressionnants feux de forêts d’est en ouest du pays, qui ont causé des dizaines de morts, entre familles entières, de jeunes éléments de l’ANP et des citoyens des régions touchées par cette catastrophe naturelle. 
C’est dans ces pénibles circonstances, dramatiques même, que le Maroc, le voisin de l’ouest, a lancé une ‘’énième » attaque frontale, peu glorieuse, contre Alger pour exiger des pays Non Alignés qu’ils entérinent la partition de l’Algérie en soutenant le MAK (mouvement pour l’autonomie de la Kabylie), une organisation interdite, classée comme terroriste, dont les principaux responsables sont en France. 
Pire, Rabat a été une rampe de lancement pour une attaque frontale de l’entité sioniste contre l’Algérie, critiquant les relations d’Alger avec l’Iran ; une réaction explicite et à chaud d’Israël après le refus de l’Union africaine de l’accepter comme ‘’membre observateur » à l’issue d’une intense campagne algérienne contre la présence de l’entité sioniste au sein de l’Union. 
Le Maroc hypothèque en permanence l’avenir d’un ensemble maghrébin dont les pères fondateurs avaient voulu qu’il soit un bel espace d’entente, d’union et de prospérité, solide sur ses assises historiques, bien intégré entre l’Afrique et l’Europe, entre ses différents peuples, qui parlent la même langue, ont de profondes relations familiales, et ont combattu ensemble la colonisation française.
Fatalement, pour l’hiver prochain et probablement les années qui s’annoncent, si les relations ne sont pas rétablies d’ici là entre les deux pays, c’est bien le Maroc qui va sentir la moutarde algérienne lui monter au nez, après la fin du contrat sur le Gazoduc Maghreb Europe (GME), qui alimentait en gaz naturel algérien plusieurs centrales électriques marocaines. Après l’épisode douloureux de l’agression militaire du Maroc d’octobre 1963, lorsqu’Hassan II avait voulu annexer de force Tindouf et une partie de la région de Béchar, l’arrivée de Houari Boumediène en juin 1965 au pouvoir à Alger a calmé la situation, et refréné les appétits territoriaux d’Hassan II.
Il y a eu dans la foulée de cette « lune de miel » de la fin des années 1960, le Traité d’Ifrane sur la mise en place d’une nouvelle relation de coopération entre les deux Etats.
A Rabat, le jeudi 15 juin 1972, les deux chefs d’état, après s’être entendus sur le tracé définitif de leurs frontières, avaient dans un communiqué commun souligné officiellement que ‘’la qualité des relations de fraternité qui existent entre l’Algérie et le Maroc ne saurait ériger la frontière en obstacle, mais en faire au contraire un lieu d’interpénétration des sentiments et des intérêts «. Le même communiqué ajoute que les deux chefs d’Etat entendent, ‘’par la conclusion et la signature de la convention définissant la frontière algéro-marocaine et la convention de coopération pour la mise en valeur de la mine de Gara-Djebilet, établir une paix permanente pour les siècles à venir «. Un vœu pieu, car quelques années après, Hassan II confirme en 1975 toute l’inconstance et la versatilité souvent puérile de la diplomatie marocaine : il annexe le Sahara Occidental et ouvre un front de tension avec l’Algérie, et, dans la foulée, ferme les frontières communes.
Aujourd’hui, le Maroc devra avoir le courage politique pour effacer toutes ses erreurs passées, ses fuites en avant, ses multiples agressions, politiques et militaires contre son voisin de l’est, ses coups de boutoir contre un pays plus que patient ; plus que tolérant, à l’image du grand frère qui ne se formalise pas trop devant les idioties et les imbécilités de son cadet. Oui ; mais la patience a ses limites, n’est-ce pas ? En attendant des jours meilleurs, c’est la construction du Maghreb des peuples, qui est ainsi retardée, hypothéquée par le Maroc, qui s’obstine à imposer à la communauté internationale des prétentions politiques sur un territoire qu’un simple référendum d’autodétermination au Sahara Occidental aurait résolu depuis longtemps.
*(Auteur ; journaliste)
Ancien collaborateur du Quotidien d’Oran, Mahdi Boukhalfa a notamment écrit « La révolution du 22 février, de la contestation à la chute des Bouteflika » (Chihab Editions, Alger Oct.2019), ‘’La Cantera », il était une fois Bab El Oued », Editions El Qobia, Alger juillet 2021, ‘’Pavillon Covid-19, sept jours en enfer », Editions El Qobia, Alger, Mars 2021 ; ‘’La marche d’un peuple, les raisons de la colère », Editions du Net, Paris, Août 2020.
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