Si par sa démonstration de force de samedi dans Tunis, le but d’Ennahdha était de faire céder le président Kaïs Saïed, dans le bras de fer qui les oppose depuis maintenant plus d’un mois, la réaction à chaud de ce dernier à l’événement n’est pas de nature à la conforter dans ce sentiment. Alors qu’elle-même faisait battre le pavé à ses troupes, lui était sur le terrain dans le gouvernorat de Kairouan, occupé à se rendre compte par lui-même des préparatifs d’un important complexe sanitaire, dont le lancement est imminent.
Invité à donner son avis sur ce qui se passait à Tunis, il a eu cette réponse sibylline, où il a été question de faillite politique, mais sans que l’on sache ce qu’il avait exactement en vue en employant ce mot : la marche elle-même, celle-là même qui se déroulait à ce moment précis, où la démarche même d’Ennahdha dans le contexte de crise actuel, c’est-à-dire sa tactique pour la résoudre à son avantage exclusif. Dans un cas comme dans l’autre, cela dit bien ce que cela veut dire, à savoir qu’il n’était pas impressionné par si peu, et que tel était déjà en grande difficulté qui croyait le forcer à battre en retraite. Peut-être que le plus remarquable dans la crise en train de se développer pour l’heure en Tunisie, c’est qu’elle est aussi artificielle par sa cause immédiate qu’inévitable au regard de ses ressorts véritables.
Ce n’est pas le président Saïed qui l’a déclenchée, mais le Chef du gouvernement Hichem Mechichi, qui en concertation avec Ennahdha et ses alliés au sein de l’Assemblée l’a provoquée en procédant à un large remaniement ministériel sans en référer le moins du monde à lui. Il aurait pu agir de façon moins cavalière. Il y était même tenu quelles que soient leurs prérogatives respectives en cette matière. Il aurait voulu afficher son dédain pour le président de la République, auquel d’ailleurs il doit d’être à sa place, qu’il ne se serait pas comporté autrement. Il était clair qu’en fait de remaniement, il s’agissait surtout pour lui et ses alliés dans cette agression caractérisée, de ravaler Saïed à sa juste dimension au regard de la Constitution de 2014, ou plus exactement de la lecture qu’ils en faisaient.
Dans cette affaire, Mechichi a agi en déstabilisateur de service. Pourtant, même après cela, il pouvait encore rattraper sa faute, désamorcer la crise, au lieu de l’exacerber, et du même coup lui faire passer le point de non-retour. Mais pour cela il aurait fallu qu’il soit indépendant d’Ennahdha, dont son sort cependant dépendait. Il lui suffisait pour cela d’enlever de sa liste les quatre noms sur la vertu desquels le président Saïed avait des doutes. Ce n’est pas le choix qu’il a fait, mais celui d’affirmer sa prééminence, lui que personne n’a élu. Après cela, que reste-t-il aux véritables protagonistes, dont il n’est pas, sinon de commencer à faire étalage de leur force ? Il est revenu à Ennahdha d’ouvrir le bal, en y allant d’une marche soi-disant pour défendre les institutions et l’unité du pays, tout en appelant au dialogue, en réalité pour montrer que la grande masse est avec elle, dans l’idée que comme Saïed est un sans-parti, une démonstration de force de cette nature n’est pas dans ses cordes. C’est oublier qu’il a des électeurs et des alliés, du côté des partis, des travailleurs comme des institutions. Il serait à craindre pour elle qu’ils s’y mettent ensemble pour faire descendre dans la rue une foule bien plus imposante que celle qu’elle a fait défiler samedi dernier.
Le Jour d’Algérie, 28 fév 2021
Tags : Tunisie, Kaïes Saïed, Mechichi, Ennahdha,
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