Cinquantenaire et Françafrique

ANALYSE - Le cauchemar français en Afrique - II : Nouveau colonialisme«Des centaines de milliards détournés en 50 ans »
Le pire est à venir
Les pays d’Afrique francophone regardent, depuis peu, dans le rétroviseur des indépendances acquises dans les années 1960 ou, plutôt, octroyées sur un plateau d’argent tout de même ensanglanté après la seconde grande Guerre mondiale qui a vu la défaite militaire des puissances coloniales au premier rang desquelles se trouvent la France du Maréchal PETAIN et l’Angleterre du Winston CHURCHILL. C’est d’ailleurs ce dernier qui a négocié avec le président américain, ROOSEVELT, la fameuse Charte de l’Atlantique qui oblige les empires coloniaux à libérer les peuples jadis sous leur domination. C’est ce message que Charles De GAULE a été chargé par CHURCHILL de venir faire passer auprès des gouverneurs coloniaux d’Afrique, à Brazzaville, en 1944 : après la guerre, plus rien ne sera jamais comme avant ; il faut donc se préparer à une nouvelle forme de relation avec les pays et les peuples d’Afrique.
Mais, contrairement à l’Angleterre, la France n’a pas joué franc jeu : elle est partie en 1960 pour mieux rester 50 ans plus tard par le biais de la Françafrique dont le mode opératoire est un paternalisme de mauvaise saison sous le couvert d’un humanisme éclairé qui vise toujours à exploiter, de manière plus sournoise, les Etats africains avec la complicité bienveillante des élites locales abonnées à la courbette et au béni-oui-oui. Les rares dirigeants ou chefs d’Etat récalcitrants étant écrasés comme des punaises qui empêchaient ou qui empêchent encore de tourner en rond.
Aussi, célébrer le cinquantenaire de ces pseudo-indépendances est-il une grave insulte aux peuples africains dignes et fiers de leur histoire et de leur être profond dont l’aspiration à l’autodétermination ne s’est jamais démentie au fil du temps, y compris sous la domination coloniale, à travers le combat multiforme des fils d’Afrique qui ne sont jamais sortis de l’Histoire malgré la réécriture de celle-ci par le président SARKOZY qui se prend à Dakar pour le Hegel des temps modernes.
Mais, pour que les 50 prochaines années ne ressemblent pas au folklore du cinquantenaire passé, il faudrait couper le cordon ombilical d’avec la Françafrique et toutes les autres formes de néocolonialisme pour forger un nouveau type de relations d’Etat à Etat et de peuples à peuples, dans une logique de partenariat fécond dans tous les secteurs de la vie où la règle est le gagnant-gagnant dans le respect de l’autre et la dignité d’être humain. Le préalable à cette renaissance africaine étant la critique et l’autocritique des Africains eux-mêmes. 
C’est du moins l’analyse froide et sans complaisance d’un Malien de la diaspora, M. Fatogoma OUATTARA, que nous vous proposons ci-dessous : 
La nouvelle Françafrique : j’enrage.
(Le néocolonialisme français)
Les indépendances de la plupart des ex-colonies de la métropole française furent un « magnifique lever de soleil » (expression hégélienne sous ma plume) fêté solennellement par tous les africains de tous âges dans un enthousiasme délirant, une émotion sublime, une ferveur lyrique.
Les âmes avisées ne sont pas sans savoir que ce pan de l’histoire, pas plus que l’Histoire elle même n’est pas le fruit du hasard mais obéit à un dessein déterminé par des contingences particulières.
La France très affaiblie au sortir de la deuxième guerre mondiale, les vastes mouvements de décolonisation dans le tiers-monde et leur radicalisation , les mouvements de reconnaissance des cultures indigènes pilotées par la négritude, le désir de liberté et d’égalité portés par les élites africaines formées en Europe, la naissance du nationalisme, et la brutalité et l’injustice inhérentes à la nature même de la colonisation , la démystification de l’invincibilité des puissances coloniales, la Charte de l’Atlantique -pionnière de l’ONU – exprimant le droit de chaque peuple de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre, la sympathie viscérale des Américains et des Soviétiques aux idées de liberté et d’indépendance se sont conjugués et ont achevé d’asséner un coup de massue mortel à la colonisation. En clair, nos indépendances « négociées » ou « acquises au prix de guerres meurtrières» ne furent pas un cadeau du Général de Gaulle.
Un demi siècle après, pendant que bon nombre de pays africains s’apprêtent à solenniser le cinquantenaire de leur accession à « l’indépendance» avec , comble de l’ironie, l’onction pateline des épigones du Général de Gaulle, nous en sommes à nous poser la question sur le rôle et l’attitude des plus perfides du maître Patelin (référence à l’hypocrisie insinuante de la France avocaillon des peuples africains brimées) d’hier et d’aujourd’hui dans le jeu de méli-mélo politique qui est celui de notre Afrique francophone au sud du Sahara.
Nous nous attellerons , souffrez-en mes chers lecteurs, dans un souci d’efficacité pédagogique, à entreprendre une tentative de définition de la Françafrique qui est un système machiavélique de dépendance radicale habilement mis en place par la France pour exploiter les ressources humaines, minières, énergétiques et naturelles de l’Afrique avec la complicité de certains africains .
La fortune et la beauté sémantique du vocable apparaissent avec François –Xavier Verschave, qui a consacré une somme impressionnante de documents sur le sujet, et qui définit ex cathedra la Françafrique comme « un iceberg ». Vous avez la face de dessus, la partie émergée de l’iceberg : la France meilleure amie de l’Afrique, patrie des droits de l’homme, etc. Et puis ensuite, vous avez 90% de la relation qui est immergée : l’ensemble des mécanismes de maintien de la domination française en Afrique avec des alliés africains [… .] une infime minorité des français qui, aidés au plus haut niveau de l’état, pillent les richesses des ex-colonies françaises en Afrique, en utilisant l’argent public et ce au mépris de millions de vies humaines.
C’est le plus long scandale de la République française. De nombreux politiciens et partis politiques, de hauts cadres et actionnaires de multinationales françaises (TotalFinaElf, Bolloré, Bouygues…), certains militaires, les dictateurs et leur entourage, les marchands d’armes : en bref, ce sont des réseaux bien organisés qui disposent de nombreux relais dans les medias. Des centaines de milliards détournés en 50 ans. »

En somme, l’objet de notre entreprise consiste à toucher du doigt le caractère moralement répugnant et machiavélique de la relation française d’avec l’Afrique et la perpétuation inacceptable de cette même politique grossière saupoudrée de sournoiserie par les héritiers de De Gaulle.

Après un demi siècle « d’indépendance » pour les pays jadis sous tutelle française, force est de constater avec tristesse que la cellule africaine de l’Elysée, ingénieuse trouvaille de Jacques Foccart fonctionne très à ravir, et a de beaux jours devant elle. Au-delà du paternalisme, de la compassion voire de la fourberie françaises, c’est toute notre capacité réelle à nous assumer et à nous gouverner qui se trouve être mise en question.
Le courage et la témérité des apôtres de la négritude et autres chantres des mouvements culturels leur auraient permis de greffer le combat culturel et politique autour de la revendication de l’héritage noir en vue de résoudre l’équation thématique de la dimension culturelle qui, associée au paradigme politique devaient inéluctablement conduire à notre vrai développement , notre vrai indépendance. Au regard du comportement de certains leaders politiques à s’acoquiner avec la France, on est en droit de se demander si l’Afrique a pu véritablement se défaire de ce complexe d’infériorité qu’elle a intériorisé depuis des lustres.
Le développement des peuples d’Afrique ne saurait exclusivement se mesurer à l’aune de leurs réalisations matérielles mais à leurs capacités de réalisation de leurs «conscience-en -soi et de leur raison».
Nous, africains continuerons à être à la traîne si nous échouons à l’accomplissement de notre conscience d’hommes libres et égaux des autres dont l’aspiration est un combat de quête de dignité , de liberté, d’indépendance , de justice, et de mieux vivre. C’est un impératif catégorique et hypothétique –pour parler un langage purement kantien-pour les africains du XXIème siècle de cesser de se comporter en enfants de chœur à qui on raconte des histoires de fées et de lutins.
Le rapport France-Afrique n’est pas l’expression d’un quelconque altruisme défendant la démocratie et les peuples brimés mais une espèce de «monstre froid» au service des intérêts égoïstes de la France. Mieux, un abominable système monté pour inféoder les africains et les offrir pieds et poings liés à la France.
Un double besoin pressant de passer au bistouri les imperfections de cet odieux système et de couper tout lien ombilical avec cette France, qui n’est pas celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui n’est pas celle du Siècle des lumières s’impose.
Disons non à cette France-marionnettiste qui manœuvrerait des Présidents pantins à partir de l’Elysée pour nous offrir une Afrique de la pauvreté, de la famine, de la malnutrition, de la misère, de la dette, des guerres incessantes, des coups d’Etat, des assassinats politiques, de génocide qu’elle regarderait avec commisération, qu’elle aiderait avec générosité.
Comme la réponse du berger à la bergère, disons à cette France qui dit ne pouvoir accueillir toute les misères du monde que l’Afrique n’en est pas sa vache laitière. Faisons de ce siècle celui de la lumière de notre maturité, de notre volonté farouche à refuser le monde noir, crasseux et verruqueux que la France, néocolonialiste, veut nous dicter.
Il est inadmissible que le commerce de la France d’avec l’Afrique soit un rapport figé de conquérant, de triomphateur face aux vaincus, aux lésés en ce XXIème siècle.
Qu’on ne se méprenne pas sur le sens du ballet diplomatique exécuté par Jacques Toubon et Bernard Kouchner un peu partout sur le continent.
J’enrage devant l’outrecuidance des propos de Jacques Toubon, chef d’orchestre de «l’année de l’Afrique en France» qui a eu le toupet de déclarer à Lomé que «Les anciennes colonies françaises d’Afrique sont devenues indépendantes grâce aux mouvements de décolonisation décidés par le général de Gaulle».
J’enrage devant ces propos d’une fourberie révoltante d’Houphouët Boigny qui déclarait en 1959 : « Il y’a en Afrique et à Madagascar des peuples colonisés qui ont préféré l’indépendance dans la coopération , dans l’amitié et dans la fraternité à l’indépendance dans la haine qu’ont choisi bien d’autres» .
J’enrage devant cet autre boniment non moins hypocrite de Léopold Sédar Senghor : « Le Général est un bon père de famille c’est pourquoi il a accepté l’accession du Mali (entendez la Fédération du Mali) à l’indépendance. Et notre voie est différente de celle de la Guinée, nous aurions pu au terme de l’article 86 de la Constitution procéder à un référendum et sortir de la Communauté. Le geste n’a pas été très amical vis à vis de la France…»
J’enrage de voir le Burkina Faso devenir un funeste sanctuaire de la Françafrique. Blaise Compaoré, arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat, se trouve être aujourd’hui curieusement le chouchou de la France, supposée parangon des droits de l’homme et de la démocratie, qui s’ingénie à lui forger un visage angélique. Arrivé au pouvoir à la suite d’une impardonnable fratricide opérée le 15 Octobre 1987, nous ne l’avons pas oublié. Blaise Compaoré affublé du titre de «médiateur doublé de sage», affiche tristement à son tableau de chasse la liquidation de ses opposants politiques, des journalistes «turbulents», de collaborateurs suspicieux, d’étudiants trépidants. En sus, absence de bruit autour de son rôle dans les abominables guerres civiles libérienne et Sierra léonaise. Au regard du profil de l’homme, je souffre d’une douleur aiguë de le voir, sous l’impulsion de la France, jouer les médiateurs dans les crises togolaise, ivoirienne, guinéenne …. J’enrage de voir la France appliquer le système de deux poids, deux mesures en Afrique selon ses intérêts.
Autant les déclarations incendiaires de Thomas Sankara à l’endroit du néocolonialisme français ont dérangé l’Elysée, autant les envolées pétroleuses (référence à ces femmes énergiques de la Commune de Paris en 1871) de Dadis Camara ont empêché la France de sombrer dans un sommeil hanté par le spectre d’un trublion qu’il fallait ostraciser à tout prix. Loin de moi l’idée de soutenir que Dadis était un saint. Seulement le désir de mettre en exergue l’importance de la Guinée en tant qu’enjeu d’un véritable combat géopolitique entre les puissances –courtisans sous-tend mon argumentation. Que Dieu préserve la Guinée et ses richesses fabuleuses des rapaces néo-colonialistes!
Il est grandement temps pour l’Afrique de sortir de sa torpeur et de faire preuve de maturité en prenant notre destin en main. La carte mondiale est entrain de se dessiner sensiblement sous nos yeux, et la présence de l’Afrique dans le gotha des grands pays du monde s’accommoderait mal de sa naïveté angélique à se laisser emmailloter par la France ou n’importe quel autre pays néo-colonialiste des temps nouveaux. Et particulièrement de la France, cette ancienne puissance en quête de prospérité et de paradis perdus, une puissance coloniale qui a échoué en l’espace de plus d’un demi siècle à faire sa prise de conscience et dépasser l’image de la France sans empire. Et Hegel ne s’était pas trop trompé en disant que les peuples inférieurs sont ceux-là qui échouent à la réalisation de la conscience de soi. La France faisant malheureusement partie de ceux- là, veut compenser sa petitesse en exploitant l’Afrique dont la richesse réside dans sa population qui avoisinera les 4 milliards d’habitants d’ici la fin de ce siècle (foi de démographe) et ses ressources naturelles et minières.
C’est ajouter l’insulte grave à l’injure que d’associer cette même France à la célébration des cinquantenaires. Peut être le pire est à venir.
Subirons-nous l’affront d’entendre les louanges dithyrambiques à l’endroit de la France lors des discours de nos chefs d’Etat-troubadours ? Qu’ils se souviennent de ce que disait Corneille dans le Cid : « Les affronts à l’honneur ne se réparent point ». Qu’on veuille bien nous laisser notre honneur qui est étymologiquement ce dont nous pouvons être légitimement fiers et qui constitue notre dignité d’homme.
Allons-nous assister au spectacle insultant d’une procession des troupes africaines sur les Champs- Elysées le 14 juillet de cette année ? J’en éprouve de l’irritation et je m’insurge.
J’enrage de voir cette France dévergondée qui, me semble-t-il, ressemble étrangement à un déprédateur sexuel qui, après avoir satisfait sa libido, reste sur les lieux de son crime pour violer sa victime de plus belle.
Cette France, « bienfaisante », « commissionnaire » de la morale chrétienne, qui a peiné à justifier son rôle on ne peut plus brumeux dans le meurtre politique de Sylvanus Olympio , premier président élu du Togo, de Félix Mounié, opposant camerounais ; les fraudes électorales avec l’avénénement de la démocratie dans les années 1990; le soutien et le financement de régimes crapuleux au Congo Brazza de Denis Sassou Nguesso, au Gabon de Bongo, au Tchad de Diby, au Cameroun de Biya, en Côte d’ivoire de Boigny, au Burkina de Compaoré, en Mauritanie de Maaouya Ould Taya, en Centrafrique du fameux Jean Bedel Bokassa……. , le génocide rwandais (la France a soutenu les génocidaires sur toute la ligne )…
La responsabilité de Bob Denard, de l’ambassade de France, des réseaux d’influence et des services secrets français dans les coups fourrés auxquelles il a été donné à notre continent de voir pendant plus de quatre décades ne sont pas de nature à disculper la France de son complexe de culpabilité.
L’histoire de l’Afrique ne saurait se faire sans les africains. Aucun changement du statuquo ne saurait être le fruit d’une génération spontanée mais d’un investissement actif de nos consciences, de nos volontés incompressibles de nous extraire des mailles du filet savamment tissé par nos maîtres d’hier en vue de bâtir un monde nouveau, à l’avenant de nos rêves, nos espérances et aspirations profondes pour une Afrique libre, indépendante et prospère. Notre combat éternel de refus à l’ingérence dans nos affaires, à l’exploitation de nos ressources minières et énergétiques, à la division, à régler nos différends, à nous imposer une façon de faire la politique, ne saurait et ne devrait s’apparenter au mythe de Sisyphe, expression défaitiste de nos efforts.
L’histoire de notre continent a, le plus souvent été écrite par les vainqueurs d’hier bien que Nicolas Sarkozy qui a un sens certain de l’excentricité ait affirmé dans son fameux discours de Dakar que : « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire». Il nous appartient, mieux c’est un devoir catégorique de la réécrire, de lui imprimer une nouvelle direction –le sens du progrès-, une force motrice, une nouvelle dynamique à la mesure de nos aspirations profondes et réelles. Nous entendons dans ce siècle, affronter les autres nations en inter pares et non en éternels assistés.
M. Fatogoma OUATTARA
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