Maître Olfa Ouled, une avocate française basée à Paris qui représente 18 des prisonniers politiques sahraouis connus sous le nom de Groupe Gdeim Izik, est depuis 2016 particulièrement préoccupée par le sort de ses clients face à la pandémie.
Le cas du Groupe Gdeim Izik est un exemple des multiples violations de la loi par les autorités marocaines dans les territoires occupés du Sahara occidental, où la détention arbitraire est la norme et non l’exception, lorsqu’elle est appliquée à la population sahraouie et aux activistes des droits de l’homme.
Ce groupe d’hommes a été enlevé, détenu et torturé pendant et après le démantèlement du camp de Gdeim Izik.
Après un procès militaire et un procès civil, 8 d’entre eux sont condamnés à perpétuité et les 11 autres à des peines allant de 20 à 30 ans.
Dans la note d’information publiée le 16 mars 2020 par «Penal Reform International», on peut lire: «Bien que des mesures légitimes soient nécessaires en période d’urgence pour prévenir de nouvelles flambées de COVID-19 dans les prisons, les autorités doivent garantir le respec les droits de l’homme. En période d’anxiété, il est encore plus pertinent que les gens ne soient pas isolés du monde extérieur, ne se retrouvent pas en isolement cellulaire et, surtout, aient accès à des informations et à des soins médicaux adéquats, tout comme ceux disponibles dans la communauté ».
– Maître Ouled, êtes-vous particulièrement préoccupée par ces prisonniers dans le contexte de la pandémie de Covid 19 et par les conditions de leur détention?
La pandémie actuelle suscite la crainte d’une aggravation de la situation de tous les prisonniers politiques sahraouis et, en particulier, des prisonniers que je représente. Ils ont tous des problèmes de santé en raison des tortures qu’ils ont subies et n’ont pas accès à des médecins, ce qui les expose à un risque accru lié au Covid 19.
La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a appelé «les gouvernements à libérer toute personne détenue sans base légale suffisante, y compris les prisonniers politiques et détenus simplement pour avoir exprimé des opinions critiques ou dissidentes. Une fois libérées, ces personnes devraient subir un examen médical et des mesures devraient être prises pour s’assurer qu’elles reçoivent les soins et le suivi nécessaires, y compris un suivi médical. »
Cette demande a également été transmise par l’Observatoire pénitentiaire marocain, qui a demandé à l’administration pénitentiaire de libérer les prisonniers d’opinion et les militants jugés pacifiques.
Un « manque flagrant d’infrastructures et de personnel médical » peut en fait entraîner la propagation généralisée du COVID-19 dans les prisons marocaines.
Les conditions dans les prisons marocaines où sont détenus mes clients manquent des mesures d’hygiène les plus élémentaires.
Les prisons sont surpeuplées, tel que souligné par l’Observatoire marocain des prisons, ce qui, selon l’Organisation mondiale de la santé, est également un facteur de risque.
Je pense que ces prisonniers devraient être libérés et recevoir les soins médicaux nécessaires et adéquats qui leur ont été refusés depuis leur arrestation.
– Certains prisonniers de Gdeim Izik sont en isolement prolongé depuis plusieurs années, est-ce que cela aggrave la situation?
Les placer en isolement cellulaire prolongé dans le contexte particulier du Covid-19 constitue un traitement encore plus cruel et fait craindre une détérioration immédiate et irréversible de l’état de santé déjà fragile des détenus.
Les autorités marocaines ont le devoir de protéger la santé physique et mentale des détenus, conformément à l’Eensemble de règles minima pour le traitement des détenus (également connu sous le nom de Règles Nelson Mandela).
Nous sommes confrontés à deux situations inquiétantes dans les prisons AitMelloul2 et Tiflet2. Depuis plusieurs années, mes clients ne sont pas autorisés à sortir plus d’une heure par jour, malgré toutes les plaintes que j’ai faites et aussi les plaintes déposées directement par les familles.
L’administration pénitentiaire a mis en place des mesures pour arrêter la propagation du COVID-19, tandis que des cas positifs sont découverts chaque jour. Le nombre de visiteurs est désormais limité à un par détenu et ils ont droit à un maximum d’une visite par mois. Cependant, les détenus de Tiflet et d’Ait Melloul sont privés de contact régulier.
En effet, les mesures prises par le Maroc dans le cadre de la pandémie de coronavirus n’ont profité à aucun de mes clients. Les appels de mes clients sont encore très irréguliers, pendant les mesures prises par le Covid 19, ils devraient leur permettre d’appeler quotidiennement leur famille car ils ne peuvent pas leur rendre visite.
Enfin, dans le contexte carcéral, les sentiments créés par un isolement médical prolongé, tels que les sentiments de colère, de peur, de culpabilité, de dépression et les pensées et tendances suicidaires chez les patients peuvent être amplifiés. Le Covid 19 mettra l’accent sur ce sentiment.
– Le Maroc a libéré plus de 5.000 prisonniers, mais il existe plusieurs prisons avec des cas d’infection. Hier, l’administration pénitentiaire marocaine a nié l’existence de cas dans la prison de Kenitra où plusieurs de ses clients sont détenus.
J’ai été empêchée de rendre visite à mes clients et, dans la situation actuelle, les familles ne peuvent pas non plus leur rendre visite. Même avant la pandémie, les visites étaient irrégulières, brèves et parfois gênées par les administrations pénitentiaires.
En ce moment, le gouvernement a même cessé de recevoir des plaintes de l’étranger. Par conséquent, il est impossible de savoir clairement l’état de santé des prisonniers et, en ce qui concerne l’épidémie de Covid, nous sommes obligés de faire confiance aux informations officielles.
– Maître Ouled, pouvez-vous nous dire à quelle étape se trouve la procédure judiciaire de ce groupe?
Après le procès devant un tribunal civil en 2017, il est nécessaire que la Cour suprême marocaine confirme que le manque de preuves du procès militaire a été surmonté devant ce tribunal civil. Les condamnations du premier procès ont été remises en cause par la Cour suprême, car elles n’étaient fondées que sur des documents et des preuves produits par la police. La Cour suprême a ensuite renvoyé l’affaire devant le tribunal civil pour remédier à ce manque de preuves. La condamnation a été prononcée en juillet 2017, mais jusqu’à présent, la Cour suprême n’a pas rendu son avis final.
Et surtout, après 10 ans, aucune enquête officielle sur les tortures subies n’a été ouverte. L’expérience médicale demandée par le tribunal n’était pas une enquête officielle, ni indépendante (une enquête officielle impliquerait l’enregistrement des plaintes par le ministère public).
– Outre l’action internationale que vous avez et continuez de mener, avez-vous également contacté les autorités marocaines?
L’affaire n’est pas close et j’ai continué à représenter mes clients, même si les autorités marocaines m’empêc
hent de les voir.
Je contacte régulièrement les autorités marocaines à différents niveaux, concernant les violations commises à l’encontre de mes clients dans les différentes prisons où ils sont détenus, en relation, entre autres, avec leur état de santé, négligence médicale, isolement et droit à continuer leurs études.
Le dernier rapport de torture et de mauvais traitements a été envoyé au procureur d’Inzegane et reçu le 25 février, mais jusqu’à présent je n’ai reçu aucune réponse.
Le Comité contre la torture (Nations Unies) surveille également les représailles contre les détenus après les communications de mes clients à ce Comité.
Source : Por un Sahara libre, 25 abril 2020
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