Pourquoi le règlement de la question libyenne est-il si complexe ?

Sept ans après l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye vit une situation de chaos politique et sécuritaire. Le pays peine à retrouver la stabilité et à refonder un pouvoir central légitime, capable d’imposer son autorité sur l’ensemble du territoire et de reconstruire le pays au plan économique, social et sécuritaire. Où en est précisément la situation libyenne aujourd’hui, alors que vient de se tenir une conférence internationale sur la Libye à Palerme ? Des élections sont prévues en décembre, mais sont-elles plausibles au vu du contexte actuel ? Quelles rivalités de pouvoir régionales et internationales s’opèrent sur le territoire libyen ? Le point de vue de Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS. 

Quelle est la situation actuelle en Libye ? Quels sont les divers acteurs et à quels objectifs répondent-ils ?

La situation en Libye est toujours chaotique en raison des divisions de l’élite politique et des rivalités entre les milices armées sur fond de guerre civile. Le pays est divisé entre deux factions rivales qui se disputent le pouvoir central. À Tripoli siège le Gouvernement d’union nationale (GNA)[1] que dirige Fayez al-Sarraj. Il est issu de l’accord inter-libyen à Skhirat (Maroc) signé en décembre 2015 sous l’égide de l’ONU qui le reconnaît comme seul gouvernement légitime de la Libye. Le second a été formé par les députés dissidents du Parlement (Chambre des représentants), installé à Tobrouk et présidé par Aguila Salah. Les deux autres acteurs sont Khaled al-Mechri, président du Conseil d’État qui siège à Tripoli au côté du GNA, et le maréchal Khalifa Haftar qui domine l’Est du pays avec son « armée nationale libyenne » (ANL) et soutient le Parlement. Le GNA est protégé par une coalition de milices dénommée « Fajr Libya » (Aube de Libye).

Depuis l’accord de Paris, conclu à l’Élysée en mai dernier entre les protagonistes de la crise libyenne, la diplomatie française fait notamment pression sur les différents acteurs pour la tenue d’élections, le 10 décembre 2018, pour un référendum constitutionnel. Les conditions en Libye permettent-elles le bon déroulement de ces élections ? Quels sont les éléments et les modalités à mettre en place pour que des élections puissent se dérouler sereinement ?

Certes, il est urgent de régler la crise libyenne, en raison de la crise migratoire et de la menace terroriste qui en découlent et dont les conséquences s’étendent à toute la région et au-delà. En revanche, la volonté de Paris d’organiser des élections en décembre prochain offre peu de chances pour une sortie de crise, en l’absence d’un consensus national et régional et d’un minimum de stabilité garantissant la pérennisation et l’efficacité de la nouvelle formation politique qui en découlera. La situation sécuritaire est très dégradée en raison des affrontements entre les milices de Haftar et celles de Tripoli, aggravée par la présence de plusieurs autres milices qui ne sont contrôlées par aucune des factions politiques reconnues. En outre, le Maréchal Haftar s’oppose farouchement à toute tendance islamiste, même modérée, raison pour laquelle il refuse de reconnaître le GNA, accusant les Frères musulmans d’en avoir le monopole. Al-Sarraj est d’ailleurs critique envers le maintien d’élections prochaines qui risquent d’être en faveur de Haftar.

Sur le plan diplomatique, certains acteurs régionaux et le Conseil de sécurité de l’ONU montrent peu d’enthousiasme pour la tenue d’élections prochaines. Cela risque d’isoler Paris dans la gestion de la crise libyenne dans un contexte de lutte d’influence entre différents pays de la région.

Que doit-on retenir de la conférence de Palerme sur la Libye qui vient de se tenir ? Entre rivalités politiques entre la France et l’Italie, départ précipité de la Turquie, pourquoi le règlement de la question libyenne est-il aussi sensible ?

Hormis une portée symbolique qui place Rome comme acteur dans la gestion de la crise libyenne, la conférence de Palerme a tourné au fiasco et s’est conclue sans avancées concrètes et n’ a pas permis le rapprochement entre les différentes parties rivales, notamment Haftar et al-Sarraj. Les déclarations de plusieurs représentants d’Etats ayant participé à cette conférence montre peu de satisfaction et guère d’enthousiasme.

C’est dans un contexte de luttes d’influence que Rome a organisé la conférence de Palerme, un moyen de contrer l’activisme français sur la crise libyenne qu’elle considère comme une menace et une ingérence dans son ancienne colonie. Rome tente de défendre ses intérêts économiques et stratégiques en Libye qui possède, entre autres, la première réserve pétrolière d’Afrique et dans lequel il est le premier investisseur. La proximité géographique fait de l’Italie le premier pays européen concerné par la crise migratoire et sécuritaire qui découle du conflit libyen.

Ce qui rend la crise libyenne encore plus complexe, c’est la confrontation entre différents acteurs régionaux. D’une part, l’Égypte et les Émirats arabes unis – ennemis jurés des Frères musulmans – soutiennent militairement et diplomatiquement l’armée de Haftar ; d’autre part, la Turquie et le Qatar soutiennent al-Sarraj et le GNA. Cela explique les tensions qui ont eu lieu lors de la conférence de Palerme et le départ précipité de la Turquie.

En somme, la lutte d’influence entre Paris et Rome, d’une part, et les différents acteurs régionaux que je viens de citer d’autre part, risquent d’accentuer plus encore les tensions sur le terrain et de prolonger ainsi la crise libyenne et les souffrances des populations.

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[1] L’acronyme GNU vient de l’anglais « Government of National Accord ».

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