Le ministre marocain des Affaires étrangères revient sur sa haine de l’Algérie et signe dans une émission de télévision d’un canal étranger une nouvelle frasque de politologie sordide à propos de la question sahraouie, où il réinvente encore une fois l’implication des responsables officiels algériens dans la banqueroute de sa diplomatie
Par Nadir Bacha
C’est un homme d’affaires notoire, dans d’énormes secteurs d’activité de commerce et de négoce – il est, entre autres, président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement, qui lui permet d’entretenir, au niveau supérieur de la hiérarchie, les affaires les plus juteuses dans les opérations de joint-venture avec les sociétés étrangères venant s’établir dans son pays dans le cadre des investissements sous la formule de la délocalisation. Un échappatoire de finance entrepreneuriale transnationale, qui fait renflouer les caisses des grandes firmes mondiales en économisant dans les misérables salaires des pays d’accueil, dont le Maroc qui rémunère bien en-deçà du salaire minimum officiel, que seule la Fonction publique peut honorer. Autrement dit, la plupart des entreprises agréées dans le royaume, pour ne pas dire toutes, payent leurs salariés selon des grilles quasiment esclavagistes, dans le revenu desquelles les travailleurs vivent en permanence sur le seuil de la pauvreté, et au fur et à mesure de la crise qui se creuse d’année en année, ce seuil est tiré vers le bas.
Docteur en science économique de l’université de Grenoble, M. Salaheddine Mezouar, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été longtemps dans le département de l’économie et des finances de son pays pour ne pas ignorer que plus des deux tiers de la population du Maroc vivent une situation sociale des plus précaires, qui risque, du jour au lendemain, d’ouvrir sur une séquence de révolte sans précédent. Les sujets marocains ne se cachent pas entre eux le secret des faramineuses dépenses pour le budget de l’armée et le soutien «administratif» à la machine de guerre pour l’accaparement définitif du Sahara occidental. Des régions entières dans le Maroc profond, jusqu’aux périmètres des grandes villes, sont laissées à l’abandon, si ce n’est, ici et là, des investissements sporadiques pour le compte de la «petite famille» royale et des proches du Makhzen. La presse écrite et les médias lourds, à la solde de l’administration monarchique, fait, de temps à autre, état de projets créateurs de confort social et d’emplois permanents, pour le simple objectif de «décibler» des alertes de révoltes et d’émeutes, mais surtout de ne pas laisser paniquer le secteur touristique, un volet d’activité d’une grande sensibilité économique et financière.
M. Salaheddine Mezouar, l’économiste de formation, depuis une dizaine d’années en tant que ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Economie, aura participé de la crise tous azimuts déstabilisant les équilibres du royaume ; à son arrivée, la dette était de l’ordre de 11 milliards de dollars, il l’a hissé à 14 milliards, et les réserves de change, qui étaient de 26 milliards sont descendues à moins de 14 milliards, sans omettre de faire hausser le chômage, de 7% à son arrivée en 2004 à plus de 20% à son départ de l’Economie, l’année passée, en laissant le pouvoir d’achat des sujets dans l’acceptation décente des plus ahurissantes, de la façon factice où il existe dans le royaume une proportion de presque 2 banques pour 10 000 habitants, situées pour l’essentiel dans les réseaux urbains et 95 000 petites et moyennes entreprises, dont les bénéfices exonérés de tout impôt ne se reconvertissent pas dans l’intérêt des travailleurs, mais dans l’usufruit mutuel du patronat et des organismes bancaires et financiers. Bref, avant de se faire désigner comme ministre des Affaires étrangères, il a géré l’économie de son pays dans le double intérêt du capital de la classe la plus favorisée, les proches de la famille royale, du Makhzen et des étrangers associés, en maintenant le gros des populations aux prises avec la misère de la vie courante, sans perspective d’avenir.
La hantise du Rif
Dans les contrées du Rif, surtout. Le Rif, oui. Dont ce ministre de l’à peu près diplomatique et de la diffamation sur pays tiers souverain et partenaire dans l’édification d’une destinée commune régionale, sait que c’est la bête noire du régime qu’il sert et qu’il fait tout pour conforter. Cette vaste et glorieuse patrie, qui fait peur au Makhzen, en maintenant la hantise permanente dans les palais, totalement ignorée dans les projets d’humanité et qui a donné à la nation marocaine sa première épopée de gloire – et la dernière en date – en s’insurgeant contre les occupants espagnols et infligeant à sa puissante armée une défaite légendaire, sous le commandement d’Abdelkrim El Khatibi. Cette formidable contrée, que les décideurs du royaume se résolvent à mettre sous l’éteignoir et dans les ténèbres, au profit d’une conquête sahraouie – sur laquelle ils n’ont aucun droit, selon tous les principes du monde – au détriment de sa population, réduite à cultiver le poison pour la race humaine et pour l’environnement et commettre tous les trafics criminels avec les voisins, pour vivre – par voisin il y a aussi les enclaves ibères de Ceuta et Melilla, sur lesquelles le calomniateur de l’Algérie fait silence. Ce diplomate de l’espèce du commérage, malin dans le sens initial du terme, ne semble pas trouver d’histoire cohérente à raconter, sinon de laisser libre cours à ses instincts d’impuissance devant la rationalité des choses de l’existence civilisée, qui sont les résolutions des instances mondiales légitimes et compétentes, pendant que des enfants se font déchiqueter à Ghaza, les Irakiens et les Libyens s’entredéchirent dans leurs pays respectifs, et tandis que l’Algérie entière tente de faire quelque chose pour aider à sauver de ces malheurs.
À moins que ce pitre des relations internationales soit désespérément acculé dans son inconsistance sevrée d’argumentations professionnelles, au point de se confondre dans les niveaux de plaisanterie, le menant à dire n’importe quoi, et qui ne risque en tout qu’une réponse à la fois, très en verve dans la tradition langagière maghrébine : «Va jouer, loin !»
N. B.
La Tribune d’Algérie, 09/08/2014
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