Les Frères marocains après le "printemps", par Ahmed Halfaoui

A l’origine, un calme souverain régnait, les recettes du Fonds monétaire international (FMI) et la doctrine ultralibérale étaient au chevet de peuples soumis au triple effet du sous-développement, de l’échange inégal et de la crise économique du capitalisme mondial. Sans préjudice des inégalités qui rejettent le plus grand nombre dans l’exclusion et la misère. Mais pour les faiseurs d’opinion tout allait bien, surtout dans les pays où on obéissait au doigt et à l’œil aux maîtres de la finance internationale et du marché. Puis, l’une des vitrines de la réussite, la Tunisie, dont tous les clignotants étaient au vert a explosé. 
L’Egypte, à son tour, s’ébroue. Immédiatement, les «spécialistes», les «analystes», les reporters de la presse mondialisée se sont mobilisés. Leur diagnostic était formel, les Arabes et assimilés devaient subitement vivre un «printemps» qui était inscrit dans les gènes de leurs sociétés, indifférenciées pour les besoins et le confort de la propagande. On sait ce qu’il en a été pour la Libye, livrée aux supplétifs de l’OTAN et ce qui se déroule en Syrie. Mais le «printemps» a eu lieu, quand même, au Maroc par exemple, qui a connu un «printemps» à nul autre pareil, qui a fait désigner le Makhzen comme pilote, en la matière, dans la région. Les certificateurs ont dit qu’il était bien parti, puisque il avait de «bons fondamentaux». Comprendre, par-là, que les droits de douane ont été réduits, qu’il y a eu la signature d’accords de libre-échange avec l’Union européenne et les Etats-Unis, des accords sur la protection des investissements et une mise en place de plans sectoriels pour le développement de l’offre exportable du pays. D’ailleurs, durant les premiers mois du «printemps», le Maroc est resté plus stable que les autres pays «concernés» et les Frères musulmans, qui sont devenus l’expression, même, du «printemps», ont pu s’installer au pouvoir sans violence, quoique formellement il faille le préciser. 
Cinq mois après, les travailleurs, les chômeurs, les laissés-pour-compte, qui, eux, ne fonctionnent pas selon le schéma des promoteurs du syndrome printanier, se rappellent au bon souvenir du roi, qui doit certainement se réjouir que ce sont les Frères qui feront face au peuple. En attendant qu’il trouve la parade à la grogne sociale. Les Frères, quant à eux, sont bien obligés d’aller au feu. Leur économiste, Lahcen Daoudi, peut crier à qui il veut que «le Maroc est au bord de la faillite», le Parti justice et développement (PJD) doit répondre des promesses qu’il a faites, de surcroît sous le label de la religion. 
Ils étaient des dizaines de milliers à lui demander des comptes, dans une situation qui est loin des satisfecit officiels. Les prévisions de croissance sont passées de 5%, à 4,2% puis à 3%, selon la Banque centrale du Maroc. Ce n’est pas de la faute des Frères, qui se sont engouffrés dans le piège, qui ont utilisé le drame des Marocains pour flirter avec les délices d’un pouvoir illusoire, qui les oblige à assumer. Le drame est que la seule réponse qui leur est offerte par les règles du marché est de «réformer» le mode d’intervention de l’Etat, c’est-à-dire plus de désengagement, et de pratiquer un «ciblage» des politiques publiques. Pas de quoi contenter la demande populaire. 
Par Ahmed Halfaoui
Les Débats, 30/05/2012
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