Maroc : Craintes géopolitiques

Suite à votre courrier Nº614, j’ai l’honneur de porter à votre connaissance les appréciations et les suggestions suivantes :

A la lumière des événements internationaux, il semblerait que la diplomatie marocaine soit confrontée, dans un avenir, plus ou moins proche, à des contraintes objectives qui seront autant de menaces directes pour le rayonnement du Royaume dans ses zones traditionnelles d’influence.

Plusieurs éléments seront indispensables à analyser de manière à permettre une réponse adaptée et un réajustement de nos objectifs.

Il conviendra de se pencher sur les aspects suivants :

1) Plus que la réintégration de l’Iran et la fin de son isolement sur la scène internationale, il faudra prendre note du nouveau rôle qui lui semble être dévolu par les Etats-Unis de devenir le nouveau gendarme des pays Arabes et musulmans de la région ;

2 ) La gestion en conséquence (notamment pour notre question nationale) du déclin de l’Arabie Saoudite dont la marge de manœuvre est appelée à se réduire de plus en plus ;

3) L gestion du conflit israélo-palestinien pour ce qui concerne la réduction des risques, des actions et du discours extrémistes notamment à l’égard des juifs marocains ;

4) La montée en puissance de l’Egypte qui se positionne, d’ores et déjà, comme l’interlocuteur solide des américains, d’Israël et des occidentaux pour ce qui concerne le Proche et Moyen Orient ;

5) Le rapprochement sans précédent qui semble se dessiner entre l’Algérie et l’Egypte. Ledit rapprochement envisage une stratégie conjointe pour amplifier leur influence aussi bien vis-à-vis des américains qu’à l’égard du continent africain ;

6) Ce rapprochement présenterait également un réel danger pour ce qui concerne l’éventuelle réactivation de l’UMA avec la possibilité d’une Egypte qui, cette fois-ci, deviendrait officiellement membre à part entière de l’Union ;

7) Pour l’Algérie et l’Egypte, le Maroc représente d’autant plus un danger qu’il est désormais l’unique pays arabe à avoir un Chef de gouvernement islamiste. De même que le Maroc est à combattre en raison du système de sa gouvernance et de ses institutions démocratiques ;

8) Pour ces deux raisons majeures, il faudra s’attendre à une coordination et à une synchronisation de ces deux Etats pour affaiblir le Royaume en s’attaquant particulièrement à la question nationale (sur le plan intérieur et international) ;

9) De même, l’éclatement possible (parfois de fait) de certains pays arabes risque de poser la problématique de l’accès à l’indépendance de certaines entités (Kurdistan ou autres) ;

10) On se rappelle que lorsque le président Obama avait accédé au pouvoir, il ne parlait que de droits de l’homme, démocratie etc… Idem pour le président Hollande, par exemple. Aujourd’hui, confrontés aux menaces intérieures, ce discours est dépassé voire même dérangeant. Désormais, les priorités ne sont plus d’ordre démocratique mais sécuritaire.

Compte tenu de ces quelques éléments soulevés, je me permets de suggérer ce qui suit :

1- Il est plus nécessaire que jamais, pour les raisons évoquées, ci-dessus, que le Royaume revoir la structure de son appareil diplomatique pour renforcer et dynamiser sa stratégie en vue de faire face aux multiples défis qui l’attendent ;

2- Sur le plan culturel, une stratégie globale doit être établie à l’égard de la jeunesse marocaine qui réside à l’étranger et qui est appelée tôt ou tard à retourner au Maroc. Cette jeunesse « handicapée sur le plan culturel et éducatif » est confrontée à la perte (extrêmement dangereuse) de son identité marocaine ;

3- Au vu du contexte international difficile et de l’évolution négative de certains dossiers (Palestine/Israël notamment) et aux fins d’éviter tout dérapage, la sensibilisation et la mobilisation de notre colonie à l’étranger s’impose. Ceci est d’autant plus nécessaire que le Royaume est à la veille d’élections municipales.

4- Notre stratégie devrait également reposer sur une coordination étroite entre les Ambassades et les Consulats ;

5- Pour ce qui concerne la question nationale, plusieurs actions peuvent être engagées, à savoir :

-Renforcement de la présence du Maroc au sein des organisation internationales (ONU, CDH, CICR, UNESCO etc). Il s’agira, entre autres,d’identifier les postes disponibles à pourvoir et d’établir un fichier actualisé de personnalités et compétences à placer.

-Au niveau du Conseil de Sécurité : il s’agira, d’une part, de renforcer notre coopération aussi bien avec la Chine que la Russie pour équilibrer le rapport de force au sein des P5 et d’autre part, et dès à présent, cibler et pousser les pays amis à présenter leur candidature au Conseil de Sécurité.

-Pour ce qui concerne le poste de Secrétaire Général des Nations Unies, il s’agira, dès à présent, « d’encadrer » tous les candidats (déclarés ou non) à ce poste.

-Au niveau du Département : assurer des briefings réguliers aux Ambassadeurs accrédités de façon qu’ils communiquent à leurs capitales des informations obtenues à la source. De la même manière, informer notre appareil diplomatique de la teneur des comptes et des questions posées.

6 – Pour ce qui concerne la région Arabe et l’Afrique, les circonstances actuelles nous interpellent quant à l’envoi programmé et régulier de délégations de hauts responsables de notre Département pour assurer un contact permanent et sur place en vue du renforcement de notre présence sur le terrain et pour permettre aussi bien l’évaluation de l’état de notre coopération que celui de l’évolution politique du pays ciblé ;

7 – Enfin, et pour ce qui concerne la formation des futurs diplômés de notre Académie diplomatique, il serait intéressant que, dans leur cursus, soient intégrés – et avant l’obtention de leurs diplômes- des stages auprès nos postes diplomatiques et consulaires à l’étranger .

Zohour Alaoui
Ambassadeur déléguée permanente

Tags : Maroc, diplomatie, Egypte, Frères musulmans, Arabie Saoudite, Iran,

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