A Ceuta, l’Espagne et le Maroc jouent avec la vie de milliers de migrants

La crise migratoire à Ceuta masque l’intention du Maroc de faire pression sur Madrid pour obtenir la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara Occidental.

Selon les autorités espagnoles c’est « historique » : en 24 heures près de 8 000 migrants, dont 2 700 mineurs, sont rentrés, par voie terrestre mais aussi à la nage, sur le territoire de l’enclave coloniale espagnole de Ceuta, au nord du Maroc. Le gouvernement espagnol du PSOE, Podemos et Izquierda Unida, a dépêché aussitôt l’armée pour expulser immédiatement près de la moitié des arrivants. Les images sont terribles, des femmes, des enfants et même des bébés sous le choc, fatigués, tremblant de froid et de peur, sont réprimés et poursuivis par les forces de sécurité espagnoles.

Le gouvernement espagnol, qui se targuait d’être le « gouvernement le plus progressiste l’histoire » du pays, a décidé d’expulser les majeurs entrés illégalement dans son territoire colonial d’Afrique et d’accueillir une partie des mineurs dans le territoire espagnol de la péninsule. Ce qui commence déjà à créer de sérieux remous politiques et des oppositions xénophobes.

Il faut savoir que les frontières des enclaves coloniales espagnoles en Afrique, Ceuta et Melilla, sont parmi les frontières les plus sévèrement gardées. Comme l’affirme Le Monde, « pour empêcher les traversées clandestines, les huit kilomètres de frontière entre le royaume chérifien et la ville de Ceuta sont surveillés par des miradors et des caméras vidéo et fermés depuis le début des années 2000 par une double clôture, dont la hauteur a été rehaussée, passant de trois à six mètres en 2005. En 2020, les autorités espagnoles ont annoncé de nouveaux travaux destinés à porter sa hauteur à dix mètres par endroits. Le point de passage à Melilla est tout aussi surveillé, avec une triple clôture d’une longueur d’environ douze kilomètres ». A cela il faut ajouter des accords passés avec la réactionnaire monarchie marocaine qui en échange d’une « assistance » économique se charge de surveiller la frontière de son côté et ainsi devient le « sous-traitant » de l’Europe forteresse.

Autrement dit, la traversée de ces frontières par des milliers de personnes en quelques heures n’est possible que s’il y a une décision délibérée de les laisser passer. Le nombre de migrants arrivés à Ceuta en 24h a été plus important que les arrivées cumulées dans les enclaves espagnoles en 2018 et 2019.

Il est évident que les autorités marocaines ont « libéré la zone » pendant quelques heures pour envoyer « un message » à l’Espagne. Mais pourquoi ? En avril dernier le chef du Front Polisario, Brahim Gali, qui se bat pour l’indépendance du Sahara Occidental, a été accepté dans un hôpital à Logroño en Espagne pour se faire soigner du Covid-19. Il y a été accepté sous un faux nom. Cela a envenimé les relations entre l’Espagne et le Maroc car le royaume prétend annexer le Sahara Occidental. Le gouvernement espagnol a déclaré qu’il s’agissait d’une décision relevant d’une question « humanitaire », à la demande de l’Algérie qui soutient le Front Polisario et est en même temps un partenaire stratégique de Madrid puisque l’Algérie est le principal exportateur de gaz vers l’Espagne.

Le Maroc, à l’instar de ce que fait régulièrement la Turquie, a décidé « d’ouvrir » ses frontières aux migrants pour faire pression sur l’Espagne. Beaucoup à Madrid et dans les capitales européennes dénoncent un « chantage inhumain ». Or, c’est précisément l’Union Européenne qui a donné ce pouvoir au Maroc en sous-traitant la « protection » de ses frontières. L’Espagne et l’UE peuvent crier hypocritement au scandale, ils continueront à financer le Maroc pour qu’il garde leurs frontières.

En ce sens, le journal espagnol El Pais écrit dans un éditorial : « face à ce scénario, l’Espagne et l’UE feraient bien de faire comprendre par les canaux appropriés que des épisodes de ce genre ne feront pas avancer les intérêts marocains d’un millimètre, ni sur la question sahraouie ni sur la question de l’aide économique ». Mais le jour même on apprenait que la justice espagnole convoquait le leader du Front Polisario dans le cadre de procès qui pèsent sur lui au Maroc, dont un l’accusant notamment de crime contre l’humanité. Il s’agit d’une manœuvre qui vise clairement à apaiser les relations avec le Maroc.

Avec cette affaire, nous voyons comment le drame des migrants qui mettent en danger leur vie en tentant d’arriver sur le sol européen à la recherche de meilleures conditions de vies est utilisé comme une monnaie de marchandage par ces Etats réactionnaires. L’Espagne et l’UE offrent des faveurs économiques au Maroc en échange de la protection de leurs frontières et du contrôle du flux migratoire. Le Maroc, lui, profite de ce levier offert par les impérialistes pour négocier non seulement des faveurs économiques mais également géopolitiques.

Mais cette attitude néfaste du royaume n’est pas étonnante. En novembre dernier le Maroc a négocié avec les Etats-Unis la « normalisation » de ses relations avec l’Etat colonialiste d’Israël en échange de la reconnaissance par Washington de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental. De cette façon Rabat non seulement avançait dans son projet colonisateur au Sahara mais par la même occasion abandonnait la cause de la libération nationale palestinienne. Le Maroc rejoignait ainsi tout un groupe de monarchies et dictatures arabes ennemies de la Palestine.

Les puissances impérialistes, à commencer par la France, même si elles sont plus précautionneuses sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental, voient cette normalisation des relations avec Israël d’un très bon œil. La France de son côté a intérêt à une reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental étant donné ses projets de faire du pays un point d’appui pour la création de corridors commerciaux depuis la Méditerranée jusqu’en Afrique de l’Ouest.

Tous ces éléments donnent des ailes au Maroc pour faire pression sur l’Espagne et sur l’UE afin qu’ils reconnaissent sa souveraineté. C’est pour cela que dans les pays impérialistes le mouvement ouvrier doit rejeter avec force les discours xénophobes et réactionnaires, se battre pour mettre fin à « l’Europe forteresse » et imposer l’ouverture des frontières et un accueil décent pour les migrants fuyant la misère, les guerres ou les dérèglements climatiques provoquées par les puissances impérialistes elles-mêmes.

NPA, 19 mai 2021

Etiquettes : Maroc, Espagne, Ceuta, migrants,

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