Saint-Michel-de-Bannières – Samedi 8 décembre 2018, 19h
En communion avec la béatification des 19 martyrs d’Algérie, ce même jour à Oran
Homélie de Monseigneur Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors
La fête de l’Immaculée Conception est à plus d’un titre la date idéale pour béatifier dix-neuf martyrs ayant donné leur vie en Algérie, pays musulman, par amour pour ce Peuple au milieu duquel ils avaient choisi de vivre pour partager ses épreuves (on parle de 200 000 algériens morts assassinés par les djihadistes et on commémore en ce jour les 114 imams tués pour avoir condamné la violence).
Premièrement, Marie est l’Immaculée : cela signifie que l’image de Dieu est réalisée dans une personne humaine, celle qui, la première depuis la faute originelle, reflète la bonté de Dieu car elle est « comblée de grâce », selon l’expression de l’ange Gabriel. En commun avec les musulmans nous avons cette conviction que l’homme coupé de Dieu n’a pas sa pleine dimension. Il est créé pour se tourner vers Dieu, sans lequel il ne peut atteindre sa perfection.
De plus, les musulmans vénèrent Marie, la mère de Jésus. Marie, par les premiers mots du Magnificat dit : « Magnifique est le Seigneur » ; ce qui n’est pas différent de « Allah est grand », acte de foi fondamental de l’Islam, malheureusement dévoyé quand des extrémistes en font un cri de guerre.
Une fête de la Vierge Marie est donc un moment idéal pour béatifier des personnes qui ont donné leur vie à Dieu dans un pays musulman.
La seconde raison pour laquelle cette fête convient à cet événement est que la liturgie nous fait relire aujourd’hui l’évangile de l’Annonciation. Cela nous rappelle que la conception de Jésus se fait sous la forme d’un dialogue entre l’ange Gabriel et la sainte Vierge. C’est le dialogue du salut : Dieu offre à l’humanité la chance d’accueillir le Sauveur.
Le martyre de Pierre Claverie et ses dix-huit compagnons est le témoignage du don de leur vie par dix-neuf chrétiens habités par cette culture du dialogue inspiré de l’Evangile. Et, dans l’Evangile, le texte du récit de l’Annonciation est un grand modèle de dialogue. Nous voyons dans ce récit comment Dieu dialogue avec l’humanité, dans Son projet de la conduire au Salut. Cela doit inspirer notre attitude spirituelle dans tout type de dialogue et, en particulier, dans ce champ si délicat du dialogue avec nos amis musulmans. Les enjeu de l’apprentissage du dialogue et d’une culture du dialogue sont énormes. Nous le voyons aujourd’hui de façon terrible chez nous en France à travers le phénomène des gilets jaunes, révélateur d’un déficit de dialogue et des dangers d’une culture de l’affrontement. Quand Dieu vient dialoguer avec l’humanité, Il n’hésite pas à s’abaisser pour la rencontrer de l’intérieur.
L’Ange Gabriel a rejoint Marie là où elle était, dans sa ville, son pays, sa culture, à un moment précis de l’histoire. Ce n’est pas une rencontre « générique », hors sol, mais incarnée. Le texte donne de nombreuses précisions : « une ville de Galilée », à Nazareth ; la Vierge est fiancée à Joseph, elle s’appelle Marie. Dialoguer suppose de reconnaître l’autre pour ce qu’il est. Ainsi ont fait les martyrs béatifiés aujourd’hui : ils ont vécu parmi le peuple Algérien, ils se sont intéressés à sa culture, à sa religion majoritaire et, sans renier en rien leur propre foi, ils ont appris à aimer toutes les facettes de ce peuple et à dialoguer jusqu’à s’incarner dans ce peuple, à se reconnaître pleinement membres du peuple Algérien.
L’Ange salue Marie « comblée de grâce ». Le cœur du dialogue, c’est de chercher à reconnaître l’action de Dieu dans le cœur de l’autre. C’est ainsi que le Seigneur fait avec nous : Il sait mieux que quiconque de quelle façon Il nous habite déjà avec ses bénédictions depuis qu’Il nous a créés et par l’offre du salut (cf. Ep 1,4).
Le dialogue de l’ange Gabriel avec Marie est très riche et mériterait d’être médité pas à pas, pour y apprendre une véritable pédagogie du dialogue. Remarquons simplement qu’en fin de compte, Marie s’en est remise totalement au Seigneur et qu’elle a répondu librement : « Qu’il me soit fait selon ta Parole ». Le dialogue du salut a favorisé une réponse libre. Comme le soulignait saint Paul VI dans Ecclesiam suam, « Le dialogue du salut ne contraignit physiquement personne à l’accueillir ; il fut une formidable demande d’amour, qui, s’il constitua une redoutable responsabilité pour ceux à qui il était adressé, les laissa toutefois libres d’y correspondre ou de le refuser ; il adapta même aux exigences et aux dispositions spirituelles de ses auditeurs la quantité et la force démonstrative des signes, afin de leur faciliter le libre consentement à la révélation divine, sans toutefois leur ôter le mérite de ce consentement » (n° 77).
Pour revenir aux dix-neuf bienheureux d’aujourd’hui, nous pouvons encore repérer une troisième dimension de leur vie qui les relie à l’Immaculée conception : leur sainteté au quotidien. Marie a une vie simple, ordinaire : une maman qui a élevé son Fils avec amour, qui l’a aidé à grandir, s’est fait du souci pour Lui quand Il s’est attardé au Temple de Jérusalem, etc.
Les dix-neuf martyrs d’Algérie ont partagé la vie ordinaire du peuple Algérien. Le premier lieu de leur dialogue était le « dialogue de la vie ». Jésus, Dieu incarné a passé trente ans, tout simplement, à partager avec toute l’humanité une vie ordinaire et sans histoire. Comme Jésus, Pierre Claverie et ses compagnons ont habité ce pays, participé à des tâches d’éducation, de soin, d’amitié, à la vie de tous les jours.
Christian de Chergé a écrit : « J’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. » Mgr Desfarges, actuel archevêque d’Alger, écrit à propos de ce don pour Dieu et le pays : « La vie de nos bienheureux est une fidélité quotidienne à ce don et ils en appellent à notre fidélité d’aujourd’hui ». Chacun de nous peut se demander : et moi, suis-je fidèle au don de moi-même dans ma vie quotidienne ?
Laisser Dieu sanctifier notre vie, Lui qui a su préserver l’Immaculée ; apprendre à travers la méditation du dialogue du salut à dialoguer avec chacun de nos frères quel que soit sa situation sociale, sa culture et sa religion ; laisser notre vie quotidienne s’imprégner peu à peu de la sainteté de Dieu : voilà des leçons de la fête de l’Immaculée conception qui sont également des leçons des dix-neuf béatifiés d’aujourd’hui.
Prions spécialement en ce jour pour que nous sachions accueillir la lumière de Dieu dans notre société malade, dans notre monde où les tensions sont nombreuses, dans notre vie quotidienne où le Seigneur nous attend pour faire rayonner la sainteté de son Amour.
Amen.
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