Son retour aux affaires se fait alors qu’il traîne de plus en plus de casseroles : Un cousin de Kadhafi accuse Sarkozy
« Le colonel Kadhafi m’a dit : « Nous devons aider Nicolas Sarkozy à devenir président. » Il était prêt à engager tous les moyens pour qu’il soit élu en 2007. » Ainsi parle Ahmed Kadhaf al-Dam, ancien dignitaire du régime libyen et cousin de feu Muammar Kadhafi.
Interrogé dès juillet dernier sur ces accusations, l’entourage de Nicolas Sarkozy livrait par SMS la réponse suivante : « Il s’agit, une fois de plus, d’un témoignage fantaisiste, sans aucune crédibilité. » L’entretien « une fois de plus » fait référence aux précédents témoignages recueillis dans cette affaire. L’ancien président a toujours contesté avoir bénéficié de fonds libyens.
« Tous les moyens », dans la bouche de cet homme de 62 ans exilé au Caire, en Egypte, cela veut surtout dire avec de l’argent, « des dizaines de millions d’euros », indique-t-il dans l’entretien que L’Express publie dans son numéro de mercredi. Ces accusations, contestées par l’entourage de l’ancien président de la République, (à lire dans L’Express à paraître) n’apportent pas la preuve d’un financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy : de telles preuves, si elles existent, ne sont pas encore accessibles. Les propos d’Ahmed Kadhaf al-Dam, avec lequel le colonel Kadhafi entretenait une relation privilégiée, viennent néanmoins rejoindre d’autres témoignages, plus ou moins précis, recueillis depuis deux ans dans cette affaire.
La ressemblance de Kadhaf al-Dam avec le dictateur mort en 2011 est frappante : mêmes cheveux noirs bouclés, même allure en tenue d’apparat… A-t-il pour autant pris part aux violations des droits de l’homme reprochées à son cousin ? Le Conseil de l’Union européenne en semble convaincu, puisqu’il a inscrit son nom, en février 2011, sur une liste de Libyens interdits d’entrée sur le sol européen au motif qu’il aurait « participé à la planification d’opérations dirigées contre des dissidents libyens à l’étranger » et « pris part directement à des activités terroristes ». Mais, lorsqu’on demande au Conseil des précisions sur ces faits, une diplomate nous répond, de Bruxelles, que le sujet est frappé de « confidentialité ».
L’intéressé, lui, nie avoir commis de telles exactions. A Paris, l’ambassade de Libye va dans son sens, en affirmant qu’aucun crime de sang lié au régime déchu ne lui est reproché. Si Tripoli a délivré à son encontre un mandat d’arrêt international, c’est pour « détournement de fonds publics ». Un avocat français, ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, Hervé de Charette, assure sa défense dans cette affaire. Après avoir lu le dossier, il s’étonne : « Le mandat d’arrêt mentionne des détournements d’argent mais ne fournit aucune précision. Tout ce que l’on a réussi à savoir, c’est que l’accusation repose sur des dénonciations orales, obtenues par des interrogatoires de police. »
Ahmed Kadhaf al-Dam a servi ce régime pendant quarante-cinq ans. Au sein de l’armée, il assure un temps le commandement de la garde rapprochée de Kadhafi, une unité de 22 000 soldats d’élite. Il est surtout son diplomate attitré, à la fois conseiller spécial et émissaire particulier. D’une capitale à l’autre, il porte alors les messages du colonel, s’efforce de rétablir les liens avec l’Egypte, l’Arabie saoudite ou l’Occident… Le Français Christian Graeff, chercheur associé sur le monde arabe au CNRS, ambassadeur à Tripoli de 1982 à 1985, l’a toujours vu, habillé par les soins d’un tailleur londonien, à la droite du colonel. « Il avait un statut hors cadre, se souvient-il.
Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères du temps de François Mitterrand, confirme son importance : « Chaque fois que je rencontrais Kadhafi, son cousin était là. Il avait en lui une confiance absolue pour toutes les affaires. » Jusqu’aux plus sensibles… Ainsi, quand la France accuse la Libye de l’attentat contre le DC 10 d’UTA, en 1989, il débarque secrètement à Paris pour déminer le dossier avec Mitterrand.
Ahmed Kadhaf al-Dam assure avoir alors incité son cousin à ouvrir le dialogue. Mais celui-ci a refusé. Voyant derrière ces contestations la menace d’islamistes armés et de nations hostiles, il envoie son fils Khamis, commandant d’une brigade d’élite, réprimer les manifestants. Des insurgés prennent une caserne, volent les armes, le pays plonge dans la guerre civile. Le 24 février, Ahmed Kadhaf al-Dam file au Caire. En rupture avec son cousin, il déclare à la presse locale : « Je démissionne de toutes mes fonctions, en protestation contre la façon dont la crise a été gérée. »
Au bord du Nil, il emménage dans un luxueux appartement, sous la protection de gardes du corps. Libre, il reprend son bâton de diplomate et noue contact avec de jeunes rebelles de Benghazi. « Je me rends compte qu’ils ont été débordés par les islamistes, armés par le Qatar et par la France. » Quand les Rafale français passent à l’attaque, le 19 mars, il appelle Kadhafi, se réconcilie avec lui et décroche son feu vert pour prévenir les Français et leurs alliés que Tripoli veut négocier. « Kadhafi acceptait, si l’Occident arrêtait les bombardements, de se retirer du pouvoir, de discuter avec les rebelles et de garantir aux Libyens le libre choix de leur régime. Mais les Occidentaux n’ont rien voulu savoir. »
Ultime essai, il écrit au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon : « Je lui signale que les bombardements violent le mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, limité à l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne, et l’avertis que le fait de détruire les forces aériennes, navales et terrestres du pays ouvre la route au gouvernement des gangsters et des milices. » Rien ne stoppe les avions de l’Otan. Sept mois plus tard, une escadrille de Mirage français bombarde le convoi de Kadhafi.
Ce dernier est lynché sur le bord d’une route, le pays passe aux mains des milices.
Au Caire, tous les jours, des compatriotes frappent à la porte de l’ancien émissaire du colonel. Il les reçoit dans le grand salon meublé, en habit brodé de Bédouin. Au menu de ces rencontres, l’aide aux exilés et un agenda personnel ambitieux : la construction d’une nouvelle force politique dans son pays. Un troisième camp, qui s’ajouterait à ceux des libéraux et des islamistes. La plupart de ces visiteurs sont des chefs de tribu, très influents en Libye. Avec eux, Ahmed Kadhaf al-Dam entend proposer un nouveau cadre politique, dans lequel lui-même et d’anciens kadhafistes joueraient un rôle. « Nous ne voulons pas d’une Libye gouvernée par des islamistes, prévient-il, mais nous rejetons aussi toute idée d’un retour au passé. »
Ce passé, il l’étale en partie dans le salon voisin. Le visiteur y découvre une série de photos où il apparaît en costume-cravate avec diverses personnalités : Blair, Juppé, Aznar, Berlusconi, Moubarak, Bachar el-Assad, Mohammed VI, Kofi Annan… Nicolas Sarkozy manque à l’appel. Ahmed Kadhaf al-Dam, qui l’a rencontré à Tripoli en 2005, puis à Paris en 2007, lui reproche d’avoir détruit son pays et ouvert les portes du Sahel au djihadisme. Surtout, il l’accuse d’avoir bénéficié du soutien financier du colonel dans son ascension vers l’Elysée. Ces accusations, rejetées par l’ancien président français, viennent compléter un dossier qui n’a sans doute pas fini de peser sur son retour en politique.
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