«Albahrou ouara akoum oua al ‘adou amamakoum» (Paroles attribuées à Tarek Ibn Zyad lors de son arrivée en Espagne en 711)
Ça y est! Ce que l’on craignait est arrivé, les prix du pétrole ont plongé à moins de 30 dollars (29,09 $ le baril le 15 janvier 2016 pour le Brent et 2,13 le million de BTU pour le gaz naturel coté au Nymex). Une nouvelle baisse des prix «ne peut être exclue», a déclaré Carsten Fritsch, analyste de Commerzbank à Reuters Forum Global Oil. Il a averti que 25 $ le baril «est tout à fait possible, mais pas beaucoup plus bas que cela». La production américaine s’établissait à 9,227 millions de barils avec une quantité de raffinage de 16, 423 millions de barils/jour au 8/01/2016. (1)
La différence étant importée ce qui amène interrogation: d’un côté, le Congrès autorise les Etats-Unis à exporter, de l’autre, ce pays importe 7,196 millions de baril/jour! La seule certitude est que les stocks de sécurité sont pleins à 482 millions de barils soit 60 jours d’importation et plus de 100 millions de barils/jour par rapport à la même période de 2015. Cela veut dire que la recommandation de l’AIE aux pays de l’Ocde leur permet indirectement de manipuler les prix et absorber des chocs en déstockant. Adam Smith et sa main invisible sont une vue de l’esprit à moins d’admettre qu’Adam Smith nous a bernés et qu’en fait il est manchot.
Un chaos mondial
Par ailleurs, les Bourses ne sont pas épargnées, il y a une sorte de sauve-qui-peut. «Depuis le début du mois en effet, lit-on dans un éditorial du journal Le Monde, les Bourses de Chine ont chuté de 20%, tandis que, à New York, Wall Street a reculé de plus de 8%. Cette baisse brutale est le reflet d’une triple crise – chinoise, pétrolière, américaine -, qui menace l’économie mondiale.(…) Le système[chinois] ne s’effondre pas, mais la deuxième économie du monde connaît des soubresauts dangereux pour ses partenaires. A commencer par la baisse du yuan. Pour l’instant, Pékin se bat contre les marchés pour freiner la dévaluation de sa devise – ses réserves monétaires ont fondu de plus de 100 milliards de dollars en décembre -, mais combien de temps sera-t-il possible de résister à la spéculation?» (2)
Le baril de brut est passé sous les 30 dollars, en recul de plus de 15% depuis le début de l’année. Au plus bas depuis douze ans, il entraîne avec lui l’ensemble des matières premières. Pour mémoire, l’or noir s’échangeait encore à 115 dollars il y a dix-huit mois. N’en déplaise aux automobilistes, ce prix est beaucoup trop bas. Jusqu’à 70 dollars, un pétrole bon marché est favorable à la croissance mondiale. En deçà, il a des effets récessifs: les pays producteurs sont obligés de réduire leurs importations et leurs investissements, ils se trouvent exposés à de graves risques politiques et sociaux, tandis que les compagnies pétrolières sabrent dans les investissements. Ce double choc se répercute sur les Etats-Unis. Les entreprises sont chahutées en Bourse. Contre-choc pétrolier oblige, le secteur de l’énergie est en chute libre, et les faillites qui se multiplient affectent, par ricochet, les valeurs bancaires (…) Mais l’activité de l’industrie s’est contractée ces derniers mois, pour retomber à son plus bas niveau depuis 2009, et la consommation marque des signes d’essoufflement. Bref, l’Amérique freine dangereusement, alors que la Réserve fédérale vient tout juste de remonter ses taux d’intérêt après des années d’argent facile.»(2)
Comment les prix du pétrole pourraient augmenter?
Les rentiers de l’Opep ne savent pas que la perte occasionnée par un dumping qui met les prix au plancher est de loin plus importante qu’une réduction de quota. Un petit calcul montre qu’une réduction de 10% de la production de l’Opep soit 3,1 millions de barils à répartir d’une façon équilibrée en réduisant la part de l’Arabie saoudite qui a pris les quotas de l’Iran du fait des sanctions et de l’Irak, permettrait de faire remonter les prix jusqu’à 60, voire 70 $. Les pays industrialisés, notamment pétroliers, américains ne verraient pas cela d’un mauvais œil. Pour l’Algérie passer de 1 million de barils/j à 30 dollars, voire moins à 800.000 barils /jour à 60 dollars le gain est évident. Mais qui va faire entendre raison aux rentiers du Golfe? Seule alors une injonction américaine leur fera entendre raison. Cela ne se fera pas car les Américains ont pour objectif de terrasser économiquement la Russie. Les producteurs américains ont des moyens de rebondir le moment venu.
L’équation iranienne
Nous savons que l’Opep est à la fois clouée au sol par les problèmes de parts de marché imposées par les Saoudiens, mais aussi par la rivalité entre ces deux pays. Alors que le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite continue, un renforcement des liens entre les acteurs improbables pourrait être en cours.Israël et l’Arabie saoudite ont trouvé un terrain d’entente dans leurs efforts pour combattre l’influence iranienne dans la région, selon le Wall Street Journal. Alors que ces deux pays n’ont pas de relations diplomatiques formelles.
Les sanctions internationales contre l’Iran ont été levées. Selon l’Aiea Téhéran a respecté ses engagements. C’est un bon jour pour le peuple iranien puisque les sanctions vont être levées», a déclaré Mohammad Javad Zarif, cité par l’agence de presse Isna. Téhéran va revenir en force sur le marché pétrolier. «Elle va cibler l’Inde, et envisage d’augmenter les exportations de 500.000 barils par jour (bpj). L’Iran dispose de 22 très grands transporteurs de brut (Tgtb) flottant au large de ses côtes, avec 13 entièrement ou presque entièrement.» (3)
Les énergies propres: Embellie durable
Dans toutes ces incertitudes, le développement des énergies renouvelables ne connaît pas de ralentissement, au contraire! 2015 a été une bonne année pour l’installation de capacité d’énergie renouvelable, avec 64GW pour l’éolien et 57GW pour l’énergie solaire photovoltaïque soit une augmentation de près de 30% par rapport à 2014. Les investissements dans l’énergie propre ont bondi en Chine, en Afrique, aux Etats-Unis, en Amérique latine et en Inde en 2015. Les investissements ont atteint 328.9milliards de $, en hausse de 4% par rapport à 2 014. Parmi les pays émergents citons le Mexique (4,2 milliards $, en hausse de 114%), le Chili (3,5 milliards $, en hausse de 157%), l’Afrique du Sud (4,5 milliards $, en hausse de 329%) et le Maroc (2 milliards $, partant de zéro en 2014). Ceci est dû à la baisse du coût de l’énergie solaire photovoltaïque, ce qui signifie que plus de capacité pourrait être installée pour le même prix. Au cours des 18 mois à la fin de 2015, le prix du Brent a plongé de 67% à partir de 112,36 $ à 37,28 $ le baril. Le gaz naturel aux États-Unis a chuté de 48% sur l’indice Henry Hub de 4,42 $ à 2,31 $ par million de British Thermal Units.» (4)
« Michael Liebreich, président du conseil consultatif à Bloomberg New Energy Finance, a déclaré: «Ces chiffres sont une riposte magnifique à tous ceux qui attendaient l’investissement de l’énergie propre à caler sur la chute des prix du pétrole et du gaz. «Le vent et l’énergie solaire sont actuellement adoptées dans de nombreux pays en développement comme une partie naturelle et importante du mix de production: le plus grand financement dans l’éolien terrestre était pour 1.6GW Nafin Mexique, $ 2,2 milliards environ. Le solaire thermique ou CSP développé par NOORo au Maroc, à 350 MW de 1,8 milliard $.»(4)
«La Chine a de nouveau été de loin le plus grand investisseur dans les énergies propres en 2015, augmentant sa domination de 17% à 110.5 milliards $. Les États-Unis ont investi 56 milliards $, en hausse de 8% sur l’année précédente L’Europe vit de nouveau la baisse des investissements en 2015, à 58.5 milliards $, en baisse de 18% sur 2014 et son chiffre le plus faible depuis 2006. Le Royaume-Uni est de loin le marché le plus fort, avec des investissements en hausse de 24% à 23.4 milliards de $. L’Allemagne a investi 10,6 milliards $, la France a connu encore une plus grande chute de l’investissement, de 53% à 2,9 milliards $. L’Afrique et le Moyen-Orient sont deux régions avec un grand potentiel pour l’énergie propre, compte tenu de leurs populations croissantes, ressources solaires et éoliennes abondantes. En 2015, ces régions combinées ont vu l’investissement de 13,4 milliards $, en hausse de 54% sur l’année précédente.» (4)
Qu’en est-il du gaz de schiste?
Plombée par des prix du pétrole bas, l’industrie des gaz de schiste a mangé son pain blanc. Il semble que de graves problèmes commencent à être visibles, à la gabegie d’eau douce utilisée, aux centaines de produits chimiques ajoutés, au non-traitement correct des eaux récupérées avec toutes les conséquences en termes de nuisances et de détérioration de la santé, il faut ajouter un phénomène dangereux celui des tremblements de terre. Une publication récente montre le sort peu enviable des habitants de l’Oklahoma: «Pour les habitants de l’Oklahoma, c’est presque devenu une routine. La terre tremble régulièrement. Le 6 janvier, deux séismes d’une magnitude de 4,7 et 4,8 ont secoué la région septentrionale de cet Etat du centre des Etats-Unis. En 2015, l’Oklahoma a recensé plus de 900 tremblements de terre d’une magnitude proche de 3, soit deux et demi par jour. Pour 2016, les prédictions ne sont pas meilleures ».(5)
« Selon le National Earthquake Information Center de Golden, dans le Colorado, la barre des mille séismes devrait être franchie. La région centrale du pays n’avait enregistré que 21 séismes de magnitude 3 et plus entre 1973 et 2008. L’Oklahoma n’est pas le seul Etat touché par des séismes induits par l’activité pétrolière et gazière. La Californie, le Dakota du Nord ainsi que le Texas connaissent le même type de phénomène. Dans certaines régions du Texas, des pétitions demandant l’arrêt du ‘fracking » ont été signées.» (5)
Outre ces anomalies, les gens ont du méthane et autres produits toxiques dans leurs eaux. Ils ont même mis en place des systèmes de ravitaillement en eau potable parce qu’ils développaient des maladies à force de consommer celle du robinet.
Que devons-nous faire dans le pays?
70% de la consommation énergétique nationale sont consacrés aux ménages, au transport et autres consommations sans production de valeur ajoutée, et seulement 30% dans l’industrie, cette tendance va dangereusement perdurer à moins d’une politique énergétique destinée à la réduire, à diversifier sa nature. Cela ne peut pas se faire sans une vision d’ensemble et la transition énergétique n’est pas de la responsabilité unique du ministère de l’Energie, mais de tous les autres secteurs. Nous devons aller vers le développement durable en mettant à profit d’une façon rationnelle les ressources de la rente pétrolière et gazière pour mettre en oeuvre la transition énergétique du pays.
Cette transition énergétique, qui nécessite l’adhésion de la société entière pour sa réussite, doit aussi se traduire par une sobriété énergétique et une utilisation pondérée des énergies fossiles». L’objectif étant de sortir définitivement de la rente d’une façon intelligente et, en même temps, laisser un viatique aux générations futures. En un mot, l’économie algérienne ne doit pas lier son avenir aux convulsions erratiques d’un baril de pétrole. Pour les experts, la réalisation de cette transition énergétique, une sorte de «plan Marshall», est nécessaire, englobant un modèle de consommation allant jusqu’à 2050.
Ce «plan Marshall» doit également revoir la question du soutien aux prix de l’énergie, qui est anormal car profitant aussi aux classes aisées. Les économies d’énergie, qui vont mettre fin à une consommation débridée, ne peuvent être opérationnelles que si un juste prix est pratiqué, Savons-nous que le prix du gaz naturel est facturé en Algérie 20 fois moins cher que son prix à l’international et que celui du gasoil est facturé 5 fois moins cher que dans les pays voisins?
La transition énergétique vers le Développement humain durable (il faut s’efforcer de ne laisser personne sur le bord de la route) que nous appelons de nos voeux doit aussi tenir compte de plusieurs paramètres, un large recours aux énergies renouvelables, la protection de l’environnement et surtout la rationalité dans la consommation. Il faut savoir en effet, que notre plus grand gisement d’énergie est celui des économies d’énergies évalué entre 10 et 20%. Cela veut dire que près de 5 à 10 millions de tonnes pourraient être épargnées et laissées aux générations futures.
Le solaire et l’éolien sont largement rentables dans tous les pays sauf, curieusement dit-on en Algérie! Pourquoi? Est-ce que la main-d’oeuvre est chère? Alors qu’elle est au moins trois fois moins chère! Est-ce que parce que le gisement solaire n’est pas assez incitatif, alors que l’on sait qu’il est presque trois fois plus important que celui de l’Allemagne en intensité et dix fois en surface! Est-ce que parce que nous n’avons pas de matière première (le silicium, alors qu’on nous annonce la découverte d’ un gisement de 6 millions de tonnes). Est-ce que parce que nous n’avons pas les compétences? Nous produisons bon an mal an 150 000 diplômés! Que font-ils sinon verser dans l’informel! Est-ce qu’il n’y a pas d’entreprises qui s’y sont lancées dans le solaire malgré toutes les entraves bureaucratiques? non, rien de tout cela!
La raison est que les pouvoirs publics sans vision d’ensemble qui toucherait tout les départements ministériels,- c’est cela la transition énergétique vers le Développement humain durable que nous appelons de nos voeux – veulent tout faire et ne laissent pas l’initiative aux entreprises privées de se lancer moyennant des dispositifs d’accompagnement dans la production de panneaux solaires et de participation à cette stratégie d’ensemble dans le cadre d’une transition énergétique à expliquer aux citoyens et faire en sorte que chacun prenne sa part de responsabilité.
Une utopie mobilisatrice serait de décider dans les faits, pas dans le verbe, du développement du Sahara (un véritable Snat); Création de villes nouvelles adossées à des périmètres développés pour l’agroalimentaire avec la disponibilité d’eau d’électricité renouvelables. Si seulement 10% des 300.000 logements étaient dédiées aux villes nouvelles, ce sera une sorte de conquête intelligente du Sud. Plus globalement s’il est demandé aux citoyens de rationaliser leurs dépenses, notamment d’énergie, d’eau, alimentaires, ils le feront quand ils auront acquis la certitude qu’il y a une stratégie d’ensemble qui touche les faibles comme les puissants à des degrés divers.
Le citoyen lambda est prêt à faire des sacrifices si le fardeau de ces mesures d’ajustement est réparti d’une façon appropriée. A commencer par le train de vie de l’Etat qui peut et qui doit être réduit d’au moins 20%. Une mesure spectaculaire serait par exemple que la flotte de véhicules de l’administration se mette au sirghaz, que les véhicules importés possèdent la double carburation (avec le sirghaz) et que les dépenses de prestige sans valeurs ajoutées soient supprimées. Vive la crise si elle nous permet de nous réveiller ! Ce plan Marshall est encore finançable. «Albahrou ouara akoum oua al adou amamakoum» se serait exclamé Tarik Ibn Zyad lors de son arrivée en Espagne en 711. Mutatis Mutandis nous sommes dans la même situation. Le moment est venu de donner une utopie mobilisatrice à cette jeunesse en panne d’espérance.
1. http://oilprice.com/newsletters/free/opintel15012016
2. Le retour des tempêtes financières. Le Monde du 17 janvier 2016
3. http://www.reuters.com/article/us-iran-oil-exports-idUSKCN0UT098
4. http://about.bnef.com/press-releases/clean-energy-defies-fossil-fuel-price-crash-to-attract-record-329bn-global-investment-in-2015/
5.Stéphane Bussard http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/01/15/dans-l-oklahoma-le-gaz-de-schiste-provoque-des-seismes-arepetition_4847904_3244.html#l51Fs3YAXOSKZbwO.99
Article de référence : http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur _chitour/233549-il-faut-un-plan-marshall-du-developpement-durable.html
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Tags : Algérie, pétrole, prix,
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