les Algériens moins heureux que les Libyens, selon un récent sondage commandé par l’ONU

Comment mesurer le bonheur d’un individu ? Aucun psychologue, psychiatre ou philosophe ne pourra répondre à cette question. Toutefois, à l’échelle d’un pays, il existe une série de critères qui peuvent indiquer si une communauté, une société, un peuple, vivent bien ou non. Cette année, un rapport attribue à l’Algérie une place peu reluisante dans le concert des nations.

L’Algérie occupe la 109e place dans le classement du Rapport mondial du bonheur, loin derrière la Libye qui y occupe le 80e rang, en dépit de 10 ans de guerre civile, le Maroc (97e) et devant la Tunisie (122e) ainsi que la Mauritanie (134e).

Sans surprise, la Finlande, l’Islande, la Suisse et d’autres pays d’Europe occidentale forment le gratin des gens heureux alors que l’Afghanistan, terre de malheur par excellence, ferme le tableau.

Qu’est-ce qui justifie cette posture de l’Algérie qui est le plus vaste territoire de son continent par la superficie, le dixième dans le monde ; l’un des plus grands producteurs d’hydrocarbures, dont la position géographique en fait un trait d’union entre l’Europe et l’Afrique ?

L’enquête publiée périodiquement par le Réseau des solutions de développement durable des Nations Unies combine plusieurs critères pour établir son palmarès. Le sondage interroge ainsi le panel sélectionné sur la solidarité sociale dont bénéficient les individus en cas de problème, sur les libertés individuelles et sur les choix de vie, sur le degré de la corruption qui sévit dans la société ainsi que sur son état général de santé.

Concernant ce dernier point « la santé mentale a été l’une des victimes à la fois de la pandémie et des confinements qui en ont résulté », indique le rapport. « Lorsque la pandémie a frappé, il y a eu un déclin important et immédiat de la santé mentale dans de nombreux pays du monde ».

En Algérie, l’accès aux soins est gratuit mais la qualité du système de santé est souvent décriée par les usagers. D’ailleurs, les hauts responsables et leurs familles se soignent en règle générale à l’étranger puisque les établissements hospitaliers en Algérie ne répondent pas aux standards internationaux. Même les cliniques privées du pays dont les coûts de prise en charge ne sont pas à la portée du commun des mortels n’attirent pas les malades aisés. Ceux-ci préfèrent aller en Tunisie, en Turquie ou, pour les plus fortunés, en Europe.

Un pays conservateur

Pour ce qui est des libertés individuelles, l’Algérie demeure un pays très conservateur où les droits de la personne ne comptent pas s’ils contreviennent un tant soit peu aux valeurs dominantes dans la société. Que ce soit en matière de religion, de traditions ou de comportements en public, la société et parfois même l’Etat répriment les attitudes rebelles à l’ordre établi. Hormis l’ibadisme dont se réclame une infime minorité d’Algériens, l’uniformisation de la croyance spirituelle ne tolère pas non plus les autres rites de l’islam, tels que le chiisme ou certaines confréries qui ne cadrent pas avec le dogme malékite.

La corruption comme frein au bonheur

Sur un plan profane, les libertés politiques et d’expression sont sévèrement contrôlées. Critiquer publiquement un corps constitué, le président de la république ou certaines institutions de l’Etat est un acte qui peut mener son auteur en prison. En 2020, plusieurs activistes du Hirak ou des réseaux sociaux ont été embastillés, sous de lourdes charges pour leurs opinions politiques et parfois pour des traits d’humour postés sur Facebook.

Le Rapport mondial du bonheur considère, par ailleurs, la propagation de la corruption dans un pays comme un frein au bonheur. Cette question remue justement en profondeur les entrailles des Algériens. Dès le début du mouvement populaire du 22 février 2019, le slogan « klitou leblad ya essarakine (vous avez dévoré le pays, espèce de voleurs) » était très mobilisateur. Quelques mois plus tard, deux chefs de gouvernement, plusieurs ministres et hauts fonctionnaires, des élus locaux ainsi que hauts gradés de l’armée ont été confondus de diverses forfaitures et malversations. Jusqu’à aujourd’hui, et en dépit d’une contestation de plus de deux ans dans tout le pays, la moralisation de la vie publique n’est pas encore clairement établie.

L’autre malheur qui découle, en fait, de la situation précédente, c’est la bureaucratie décourageante, embolique et si monstrueuse qui règne dans l’administration. L’ogre avale d’un tenant l’enthousiasme des plus tenaces et réduit en cendres les volontés les plus déterminées. Si dans les pays sérieux, l’administration fonctionne sur la base de règlement, ici elle obéit aux humeurs, aux intérêts et, parfois, au diktat des préposés, du grand responsable, au planton en passant par le guichetier.

Égoïsme, avarice, méfiance, indifférence

En matière de solidarité et de soutien, il existe certes un filet social et quelques associations caritatives qui viennent en aide aux plus fragiles. On est cependant loin des mesures qui peuvent garder un minimum de dignité à ceux qui ne peuvent plus se prendre en charge par eux-mêmes. L’explosion du nombre de mendiants et celui des malades mentaux dans les rues, le recours aux psychotropes chez les jeunes, la hausse de la petite délinquance témoigne du relâchement du tissu social. Des familles entières dorment à la belle étoile, des femmes seules, souvent âgées, n’ont plus de toits sur la tête ni de soutien, sont livrées à elles-mêmes et ne vivent que d’expédients. Les effets de la crise sanitaire vont augmenter le nombre des nécessiteux sans que l’Etat ne puisse les prendre en charge à cause de la baisse de ses revenus.

Même l’entraide qui était une des qualités de la société algérienne est en train de disparaître au profit d’un égoïsme exacerbé. Confrontés à la cherté galopante de la vie sans que les salaires ne soient adaptés à cette évolution, l’avarice, la méfiance et l’indifférence deviennent des valeurs répandues.

En résumé, l’Algérie n’est certes pas un enfer qui détruit la chair et les os de ses habitants, mais elle mérite amplement sa 109e place du classement du rapport sur le bonheur récemment publié.

Mohamed Badaoui

La Nation, 21 mars 2021

Tags : Algérie, Libye, Maroc, bonheur, classement,

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