Jeudi 26 mai, France 3 a certainement battu ses records d’audience au Maroc. La chaîne française diffusait un documentaire-portrait de Mohammed VI, monarque à la tête de la SNI, un holding puissant présent dans plusieurs secteurs économiques. En février 2015, son réalisateur, Jean-Louis Pérez, a été arrêté et expulsé du Maroc. La journaliste Catherine Graciet, engagée comme « consultante » pour le film, est depuis août 2015 sous le coup d’une inculpation pour « chantage » et « tentative d’extorsion » sur la personne du roi du Maroc, avec son confrère Eric Laurent.
Ces ingrédients réunis renforcent le rejet du documentaire au Maroc, d’autant que l’enquête n’apprendra rien aux sujets les plus informés de Mohammed VI. D’un côté, de réelles difficultés pour les journalistes étrangers – surtout ceux de la télévision – à enquêter librement sur les sujets sensibles : monarchie, Sahara-Occidental, terrorisme, trafic de drogue, etc.
De l’autre, l’exaspération marocaine devant des journalistes qui ne maîtrisent pas toujours leur sujet et donnent souvent la parole aux mêmes voix critiques, sans véritable contradicteur. Au final, un « bad buzz » pour tous. De ce nouvel épisode sur les relations « Je t’aime moi non plus » entre les médias français et la monarchie, un premier conseil, en toute modestie, aux autorités marocaines : éviter de fabriquer des martyrs de la liberté d’expression.
Lâcher du lest sur les rapports et classements
Le royaume est passé maître dans l’exercice de l’autopromotion, sauf quand il s’agace au plus haut niveau de la parution d’un rapport désagréable. Ce qui arrive souvent. Amnesty International, Human Rights Watch, Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et d’autres ONG peuvent en témoigner. Des publications économiques, tels l’indice du développement humain du PNUD ou le rapport « Doing Business » de la Banque mondiale, ont été ciblées par Rabat dans le passé.
Récemment, le rapport annuel du département d’Etat américain sur la situation des droits humains a provoqué une riposte au bazooka de la part du ministère de l’intérieur marocain. Le 17 mai, le ministre Mohamed Hassad fustige le texte qui, selon lui, « passe de l’approximation de l’information à son invention pure et simple, de l’appréciation erronée au mensonge caractérisé ». Et, comme si ce chérifien coup de griffe n’était pas assez explicite, il met en garde : « Le Maroc ne peut pas accepter que l’on fabrique des faits, que l’on monte de toutes pièces des cas et que l’on fomente des allégations pour des motivations politiques obscures. »
Eviter d’insulter Ban Ki-moon
Au Maroc, le dossier du Sahara-Occidental reste la cause nationale par excellence. Ce territoire contesté depuis la fin de la colonisation espagnole a été annexé par Rabat en 1975, mais la souveraineté du Maroc sur ces 266 000 km2 largement désertiques n’est pas reconnue par la communauté internationale, qui y a installé une mission de maintien de la paix des Nations unies.
Après plusieurs revers diplomatiques récents pour le Maroc, les relations entre Rabat et le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, se sont tendues de façon spectaculaire. L’acmé de la crise ayant consisté en une manifestation populaire contre le secrétaire général organisée le 14 mars dans la capitale marocaine. Le cortège de tête comprenait une bonne partie du gouvernement marocain, y compris le ministre des affaires étrangères, Salaheddine Mezouar. Ban Ki-moon s’y est même fait traiter de « Pokémon » par une députée. Or, en novembre, le Maroc accueillera à Marrakech la COP22, la conférence des Nations unies sur le changement climatique. Rabat a beau promettre de faire la part des choses, on voit mal comment MM. Mezouar et Ban vont pouvoir jouer la partition d’une parfaite entente.
Sortir de l’isolement
Le Maroc est un pays dont la transition s’étire depuis bientôt deux décennies sans que l’on sache vraiment dans quelle direction. Régime autoritaire, monarchie absolue de droit divin, démocratisation ? Ilôt de stabilité en Afrique du Nord ? Economie de marché et futur pays à revenu intermédiaire ? Vieil empire converti tardivement au concept d’Etat-nation ? Le Maroc est-il vraiment l’une des « stars de la croissance » du continent, comme l’affirme le cabinet de conseil américain McKinsey dans son rapport « Lions on the move » ? Il y a autant de visions possibles que d’avis tranchés sur un pays de 34 millions d’habitants, situé à seulement 14 kilomètres de l’Espagne, mais qui paraît isolé.
Patrouilles espagnoles et barrière électrifiée au nord, notamment autour des enclaves de Ceuta et Melilla ; frontière hermétiquement close avec l’Algérie à l’est depuis 1994 ; relations tendues avec la Mauritanie au sud. Le Maroc, qui a quitté l’Organisation de l’Union Africaine en 1984, ressemble parfois à une île alors qu’il ne cesse de proclamer sa vocation panafricaine.
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