Excellence,
Sur Instructions de mon Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération, j’ai l’honneur de vous faire part, ci-après, des griefs et commentaires du Royaume du Maroc sur le contenu du rapport du Secrétaire Général au Conseil de Sécurité (S/2014/258) relatif à la question du Sahara.
Grief n. 1 : La référence à « territoire non autonome » :
Commentaires :
– La référence à « territoire non autonome » est inédite et politiquement motivée car aucun des 80 précédents rapports du Secrétaire Général, depuis la création de la MINURSO en 1991, n’a fait une telle mention. Aussi, le Maroc est-il en droit de s’interroger sur les raisons et le timing de cette référence.
– La question du Sahara est examinée, par le Conseil de Sécurité, sous le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies concernant le règlement pacifique des différends.
– La présence des Nations Unies au Sahara n’est pas liée à un quelconque statut de « territoire non autonome », mais fait suite à un accord politique, pour mettre fin à un conflit armé.
– Le Secrétaire Général a mandaté un Envoyé Personnel pour faciliter la recherche d’une solution politique mutuellement acceptable au différend sur le Sahara, sur la base des résolutions successives du Conseil de Sécurité.
Grief n. 2 : La référence à la question des ressources naturelles :
Commentaires ;
– Cette référence n’a été ni demandée par le Conseil de Sécurité dans sa résolution 2099, ni évoquée par aucun membre du Conseil de Sécurité dans les délibérations du Conseil, ni même requise par le mandat de la MINURSO ou par le statut actuel des négociations politiques.
– La référence à l’avis Corell de 2002 est tendancieuse et tronquée car cet avis a été demandé pour répondre, en son temps, à une question spécifique et ponctuelle du Conseil de Sécurité. Ce que cet avis a fait en concluant que les contrats qui font l’objet de la demande du Conseil de Sécurité ne sont pas en eux-mêmes illégaux.
– Quant à l’invitation du rapport à reconnaître « le principe de la primauté des intérêts des habitants», elle suggère, injustement, que la population du Sahara ne profite pas des ressources naturelles de cette région. Or, comme cela a été amplement exposé, chiffres et statistiques à l’appui, lors de la réunion organisée par l’Envoyé Personnel, à Genève en 2011, sur la question des ressources naturelles, les revenus modestes provenant de ces ressources profitent exclusivement aux populations du Sahara. En outre, le développement que connaît la région a été rendu possible grâce aux investissements consentis par le Gouvernement marocain, et non pas à ces revenus. Le niveau de vie des populations du Sahara demeure supérieur à celui observé dans certains pays de la région.
– La référence, dans le rapport, aux ressources naturelles, ne peut, donc, être comprise que comme un autre geste de complaisance du Secrétariat avec les autres parties, dans leur campagne actuelle d’instrumentalisation politique de cette question.
Grief n. 3 : La minimisation des efforts du Maroc en matière des droits de l’Homme :
Commentaires ;
– Le rapport met en doute la sincérité des engagements du Maroc en matière des droits de l’Homme en indiquant que le Secrétaire Général « en attend avec intérêt la mise en oeuvre complète et rapide ».
– La Haut Commissaire aux Droits de l’Homme est régulièrement informée de la mise en oeuvre des engagements du Maroc dans ce domaine. Elle a pu constater, de visu, ces réalisations lors de sa récente visite au Maroc (26 au 29 Mai 2014). A l’issue de cette visite, elle a, notamment, déclaré qu’« au cours des 13 dernières années, depuis la dernière visite effectuée dans ce pays par un Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, le Maroc a fait de grands progrès évidents vers une meilleure promotion et protection des droits de l’Homme ».
– La recommandation du rapport que le but ultime n’en reste pas moins le contrôle soutenu, indépendant et impartial des droits de l’Homme (para 100), entache délibérément les efforts du Maroc. Elle est politiquement motivée, dénote une instrumentalisation flagrante de la question des droits de l’Homme et procède d’une pression constante sur le Maroc, quelles que soient les réalisations qu’il aura accomplies dans ce domaine.
– Le Maroc est la seule partie ayant mis en oeuvre tous ses engagements en matière des droits de l’Homme, à travers une combinaison de réformes constitutionnelles et institutionnelles, d’ouverture aux Procédures Spéciales du Conseil des droits de l’Homme, qui visitent régulièrement le Sahara, et de coopération constructive et responsable avec le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme.
Grief N. 4 : L’octroi au « polisario » d’attributs qui ne lui sont pas reconnus par le droit international :
Commentaires ;
– En reconnaissant « avec satisfaction » au « polisario », des attributs propres aux seuls Etats membres des Nations Unies, telles que la coopération avec les organismes des droits de l’Homme des Nations Unies et la création « du comité sahraoui des droits de l’homme», le rapport crée un précédent gravissime, car le droit international ne reconnaît aux entités non-étatiques aucune capacité juridique d’assumer ou de mettre en oeuvre des obligations découlant des instruments internationaux, et encore moins dans le domaine des droits de l’Homme.
– La volonté de responsabiliser les acteurs non-étatiques dans le domaine des droits de l’Homme, est inopposable au droit international. Une telle dérive légitimerait des structures qui seraient, demain, créées par les mouvements armés, dans les camps de réfugiés en Afrique, dans les pays voisins de l’Afghanistan, en Syrie ou en Iraq.
– La protection des droits de l’Homme dans les camps de Tindouf relève, exclusivement, du pays hôte, l’Algérie, et ce, conformément à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, et à son Protocole additionnel de 1967, ainsi qu’au droit international humanitaire. Le rapport du Secrétariat ne doit nullement réduire, de quelque manière que ce soit, l’opposabilité de ces
Instruments à l’Algérie, auxquels elle a souverainement souscrit.
– Conformément au droit international, l’Algérie n’a pas le droit de démissionner de ses obligations internationales, ni de conférer la responsabilité de la protection des droits de l’Homme au « polisario », qui est un mouvement armé. Human Rights Watch avait déjà alerté la Communauté Internationale sur cette anomalie, dans son rapport de 2008, en relevant que » l’Algérie a de fait abandonné sa responsabilité concernant les violations des droits humains commises par le polisario sur son territoire. Ceci est inacceptable: la communauté internationale doit tenir le gouvernement algérien, ainsi que le polisario, pour responsables de toute violation des droits humains éventuellement perpétrée par le polisario en Algérie ».
– Dans aucun camp de réfugiés dans le monde, la protection des droits de l’Homme n’est confiée à des entités non-étatiques, et à fortiori à des groupes armés. Bien au contraire, cette responsabilité est assurée par les seuls pays d’asile, et ce conformément aux articles 3, 4, 21, 22, 23, 24, 26, 33 et 34 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, au paragraphe 23 de la Déclaration de Vienne de 1993 et de ses Objectifs, et aux conclusions du Comité Exécutif du Haut Commissariat pour les Réfugiés, N: 35 (XXXII) de 1984, 91 (LU) de 2001, 95 (LIV) de 2003 et 99 (LV) de 2004.
Grief n. 5 : Le dédouanement de l’Algérie :
Commentaires :
– Alors que le rapport de 2013 avait, à raison, reconnu l’impératif de l’amélioration des relations entre le Maroc et l’Algérie pour le règlement du différend régional autour du Sahara marocain, celui d’Avril 2014 a complètement passé sous silence cette importante question.
– Ce revirement est incompréhensible car il affecte la crédibilité et la cohérence des rapports.
– Il traduit, en outre, la soumission du Secrétariat aux injonctions de l’Algérie de ne plus mentionner, dans le rapport, ni son rôle ni sa responsabilité vis-à-vis du différend sur le Sahara.
– Le dédouanement de l’Algérie conforte ce pays dans sa position de non implication sérieuse dans la recherche d’une solution politique négociée, alors qu’il est partie pleine et entière à ce différend régional, notamment, en abritant, encadrant, finançant et armant le « polisario », et en menant une campagne diplomatique internationale contre le Maroc.
Grief n. 6 : Le passage sous silence de la situation dans les camps de Tindouf:
Commentaires ;
– Les manifestations quotidiennes dans les camps de Tindouf ont été passées sous silence, alors que la presse internationale en a parlé et le Haut Commissariat pour les Réfugiés les a signalé dans ses rapports.
– Le traitement léger des événements dans les camps de Tindouf confirme la tendance du Secrétariat à minimiser ces événements, et dénote un parti pris flagrant, surtout lorsque les rapports s’attardent longuement sur quelques incidents au Sahara.
– Le rapport a, en outre, repris les thèses de l’Algérie concernant de graves incidents, dont l’assassinat, par l’armée algérienne, de deux sahraouis fuyant les camps, sans prendre la peine de les vérifier, ni de reprendre les informations fournies par le Maroc et les familles des victimes. Ce qui constitue un regrettable double standard.
Grief n. 7 : La question de l’enregistrement des populations des camps de Tindouf en Algérie :
Commentaires ;
– Le Conseil de Sécurité appelle, dans ses résolutions successives, depuis 4 ans, à l’enregistrement des populations des camps de Tindouf.
– Le rapport du Secrétaire Général n’a pas donné l’importance qu’elle mérite, à la question de l’enregistrement des populations des camps de Tindouf, alors qu’elle est une obligation statutaire du Haut Commissariat pour les Réfugiés et une responsabilité internationale de l’Algérie, et ce conformément à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, aux résolutions 58/149 et 59/172 de l’Assemblée Générale et aux multiples conclusions du Comité Exécutif du Haut Commissariat pour les réfugiés.
– Le rapport ne reflète pas, à sa juste valeur, le sens politique de la réitération des résolutions du Conseil de Sécurité, de l’appel à l’enregistrement des populations de ces camps.
– Cette absence de fermeté à l’égard d’une question aussi importante, parce que statutaire, conforte l’Algérie dans son opposition au recensement et à l’enregistrement des populations des camps.
Grief n. 8 : La non-référence aux manoeuvres du «polisario »:
Commentaires :
– Le rapport a passé sous silence, les manoeuvres dangereuses et illégales du « polisario » qui risquent de compromettre le cessez-le-feu et les accords conclus entre les parties et les Nations Unies, notamment, les déplacements, sans préavis, des éléments armés du « polisario », les restrictions qu’il impose à la MINURSO et ses manoeuvres visant à faire tamponner les documents de voyage du personnel onusien.
– Ces agissements irresponsables et dangereux auraient dû être portés à l’attention du Conseil de Sécurité.
– Cette attitude s’apparente à une complaisance vis-à-vis de toutes les manoeuvres et obstructions du
« polisario », combien même, elles sont de nature à compromettre gravement l’action de la MINURSO.
– Ce silence à l’égard des dérapages des autres parties confirme, une fois de plus, le souci du Secrétariat de les ménager, alors qu’il ne rate aucune occasion pour mettre en évidence le moindre problème avec le Maroc.
Grief n. 9 : L’omission des ramifications régionales du différend :
Commentaires :
– Le rapport ne fait aucune mention de l’impact de la situation au Maghreb et au Sahel, sur le différend du Sahara, alors que celui de 2013 lui a consacré plusieurs paragraphes.
– Le Conseil de Sécurité avait, également, établi ces ramifications dans la résolution 2099 (PP5).
– L’omission des répercussions régionales de la question du Sahara est à contre-courant des préoccupations du Conseil de Sécurité et de la Communauté Internationale. En effet, les développements dangereux que traverse, actuellement, la région sahélo-saharienne risquent d’avoir des répercussions graves sur la stabilité et la sécurité, non seulement au Sahara, mais, également, dans la région maghrébine et l’espace méditerranéen. Ces développements viennent d’être aggravés par la menace directe de la nébuleuse terroriste « l’état islamique » contre le Maroc.
Grief n.10: La date butoir d’Avril 2015, pour l’examen complet du cadre de négociation :
Commentaires ;
– La fixation d’une date butoir est inédite dans l’histoire du processus politique pour le règlement de la question du Sahara.
– Alors que l’Envoyé Personnel vient à peine, d’entamer la nouvelle approche de sa facilitation, à travers la diplomatie de la navette, les contacts confidentiels et les réunions techniques, le rapport ne lui laisse aucune chance d’aboutir en avançant la date butoir d’Avril 2015, pour «examiner complètement » le cadre des négociations adopté depuis 2007.
– Ce cadre de négociation, basé sur la recherche d’une solution politique de compromis, n’a commencé qu’en 2007 et n’a pas encore exploité toutes ses possibilités.
– Cette démarche est inappropriée, injustifiée, contre productive et hautement risquée. Une telle démarche compromettra définitivement l’action des Nations Unies dans ce dossier, comme l’a souligné Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, dans le message qu’il a adressé à Monsieur le Secrétaire
Général des Nations Unies, en date du 14 Avril 2014.
Conclusions ;
– Le Royaume du Maroc regrette que ce rapport, plus que ceux des dernières années, ait gravement dévié de l’impartialité et de la neutralité requises de la part du Secrétariat des Nations Unies.
– Ce rapport a péché par des dérapages inacceptables et préjudiciables au processus de négociations politiques.
– Autant ce rapport a été injuste envers le Maroc, autant il a été complaisant avec les autres parties. Bien plus, il s’est approprié, regrettablement, leurs allégations et positions, et in fine, les a légitimé. Ces parties instrumentalisent déjà son contenu.
– Le rapport reflète un manque de compréhension, d’analyse objective et de sens politique à l’égard de la complexité de la question du Sahara, sa sensibilité et son impact, non seulement sur la région maghrébine, mais, également, sur l’ensemble des régions sahélo-saharienne et méditerranéenne.
– Le Royaume du Maroc espère, vivement, que le prochain rapport sera factuel et couvrira uniquement l’année écoulée, loin de toute politisation, de références inutiles, ou d’appréciations injustifiées, susceptibles de créer tensions et frictions entre le Maroc et le Secrétariat.
– Enfin, le Royaume du Maroc espère, également, que l’élaboration du rapport annuel devient une occasion de dialogue, de concertation et de partenariat, afin que ce document puisse faciliter l’examen de la question du Sahara, par le Conseil de Sécurité, et permettre de faire avancer le processus de négociations pour une solution politique, mutuellement acceptable et durable.
– A cet effet, le Royaume du Maroc réitère sa confiance dans les efforts de votre Excellence et sa détermination à poursuivre sa coopération avec le Secrétariat des Nations Unies, afin de créer les meilleures conditions et le momentum nécessaires pour le règlement politique de ce différend qui n’a que trop duré.
Je vous prie d’agréer, Excellence, l’expression de ma haute considération.
L’Ambassadeur Représentant Permanent
Omar Hilale
S. E. Ban Ki-moon
Secrétaire Général des Nations Unies
New York
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