L’Algérie et la France, c’est-à-dire l’ancienne puissance coloniale et l’ex-pays colonisé, aujourd’hui une force émergente africaine, peuvent-ils avoir des relations normales alors qu’ils ont des liens particuliers ? Cinquante-deux ans après l’Indépendance, la question est toujours récurrente. Il est vrai que les deux pays ont généralement entretenu des rapports cyclothymiques, avec des troubles de l’humeur des uns et des autres favorisant une alternance de périodes d’euphorie et de temps de dépression. Dans les phases d’optimisme et de satisfaction, la raison des affaires reprend le dessus. Et dans les étapes de pessimisme et d’irritabilité, les gros contentieux et le poids mémoriel lestent la relation bilatérale et freinent les élans de la coopération. Mais depuis une dizaine d’années, on fait, de part et d’autre, assaut de pragmatisme. On parle donc de normalisation en mettant en avant la logique des intérêts. On s’évertue alors à régler les problèmes et les contentieux, au cas par cas et avec méthode, dans des cadres de travail appropriés. Comme c’est le cas avec la récente réactivation de la Haute commission mixte bilatérale, dont la prochaine réunion est prévue pour décembre prochain. Et on a déjà vu le chef de l’Etat algérien, lui-même un acteur de la Guerre de libération, inviter François Hollande, né l’année même où le président Bouteflika a rejoint l’ALN, à «exorciser le passé en en faisant ensemble, dans des cadres appropriés, un examen lucide et courageux qui contribuera à renforcer nos liens d’estime et d’amitié». On le voit bien, entre les deux pays, il y a une atmosphère et un langage nouveaux. Et même les mots, naguères galvaudés, ont désormais de nouvelles connotations : responsabilité, vérité, objectivité, densité et approfondissement.
A ce même vocabulaire on ajoute la lucidité, le raffermissement, la prospérité, l’estime et l’amitié. Le climat et les mots nouveaux sont en soi une bonne nouvelle. Mais il y a aussi le poids des réalités et le rythme des avancées enregistrées. Car les relations bilatérales ne dépendent pas seulement des bonnes dispositions d’esprit et des deux seuls chefs d’Etat. Il y a toujours les sempiternels dossiers en suspens encore nombreux, tels la mobilité des ressortissants des deux pays, les pensions de retraite des Algériens de France et les biens de Pieds-Noirs en Algérie, l’entraide judiciaire concernant notamment les enfants de couples mixtes, et enfin, mais pas finalement, l’indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français en Algérie, sans compter les litiges continuels entre les hôpitaux français et la sécu algérienne souvent en désaccord sur les montants des prestations. Et on n’oublie surtout pas la réalité de relations économiques d’une certaine densité mais, paradoxalement, insuffisantes et structurellement figées. Elles restent limitées essentiellement aux hydrocarbures, côté algérien, aux services notamment bancaires, l’agro-alimentaire, la pharmacie et les produits de l’industrie automobile, pour la partie française dont on note le niveau d’investissement nettement inférieur par rapport à la tradition en Tunisie et au Maroc. Et, défaut majeur, les échanges ne sont pas assez basés sur les réseaux et les organisations décentralisés à travers l’implication des entreprises, surtout les PME-PMI et la société civile. Et on ne parle même pas de la coopération militaire, cantonnée modestement à la formation à la carte des cadres algériens. Finalement, entre Algériens et Français, même quand c’est bien, ce n’est jamais assez, de part et d’autre, pour que la France et l’Algérie deviennent ce que Berlin et Paris sont aujourd’hui, liés qu’ils sont par une relation stratégique exceptionnelle, moteur de l’Europe. Une relation, hier profondément passionnelle.
En 2014, la France est un partenaire commercial essentiel de l’Algérie, certes talonné par la Chine, mais toujours le premier. Et le sacro-saint principe souverainiste du 51/49 n’a en rien remis en cause ce rang privilégié de la France. Tout comme les officiels, les entreprises françaises, les ténors du Cac 40 comme les PME-PMI, viennent en Algérie, encore plus qu’avant, pour effectuer un «voyage en terre de contrats». Et, pour reprendre une formule sémantique du président Hollande, à chaque fois, «le voyage fut utile pour la France et l’Algérie». Il est certes utile le voyage, mais dans la balance des échanges, il n’est pas toujours de l’ordre du «gagnant-gagnant». Et la coopération économique et commerciale ne connaît pas un essor continu à hauteur des déclarations d’intention les plus solennelles.
N. K.
http://www.latribune-dz.com/news/article.php?id_article=7935
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