Fausse crise de nerfs à Rabat

Le Palais royal donne, ces derniers mois, l’impression d’être une chambre de combustion d’où sortent des flammes partant dans toutes les directions. Après la Cour de justice européenne, puis le courageux Ban ki-moon qui en a pris plein la figure pour son attachement aux principes qui ont fondé l’ONU, voici venu le tour du Département d’Etat dirigé pourtant par le très conciliant et affable (en apparence, du moins) John Kerry. Sans oublier les insignes de la légion d’honneur accrochés à la boutonnière de Abdelkader Hammouchi, chef des services secrets marocains, par le président Hollande en personne. Un «insigne honneur» très rare pour ce genre de personne exerçant habituellement leur office davantage dans les caves que dans les pensionnats de la sainte famille. Mais c’était le prix à mettre pour la France qui avait osé en 2014 convoquer le maître-espion, de passage à Paris, devant la justice pour tortures contre des Franco-Marocains. Le Maroc avait alors boudé Paris et l’Elysée et il ne fallait pas, pour le lobby de la Mamounia de Marrakech, que l’incartade restât sans excuses officielles.
Décidément, c’est une pratique récurrente chez notre voisin de l’Ouest : tous les deux à trois mois, parfois moins, il lui faut une cible à mettre dans son collimateur, fusse une institution judiciaire souveraine. A l’image de la Cour de justice de l’Union européenne qui a remis en cause, à la requête du Polisario, en l’espace de trois mois, en 2015, deux accords entre l’Union européenne et le Maroc, l’un sur un accord commercial sur les produits agricoles signé en 2012, l’autre sur la pêche et qui incluait les eaux territoriales du Sahara occidental.
La colère du Makhzen, consécutive à ces deux revers, n’était pas encore «tombée», que le Secrétaire général de l’ONU fut choisi en mars-avril dernier, comme tête de Turc et victime expiatoire de tout ce que le royaume compte d’institutions, organisations et épigones de sa majesté et de ses féaux. Quel crime avait donc commis le très calme diplomate pour se retrouver dans une position d’accusé ? Avoir soutenu, depuis les camps de réfugiés de Tindouf, le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui sous «occupation» (c’est le terme qu’il employa) à travers un référendum impartial.
La dernière en date était inimaginable il y a seulement quelques mois : mercredi 18 mai, le ministère marocain des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis à Rabat pour qu’il entende une…protestation. Une protestation ? Rien que ça ? Oui. Le rapport annuel du département d’Etat américain sur les droits de l’Homme n’est pas du goût du Makhzen. Pourtant les Américains ne sont pas trop regardants sur les droits de l’homme dans le royaume alaouite. Et quand ils relèvent des atteintes, c’est plus pour la forme que pour vraiment condamner.
Ces crises de nerfs successives sont évidemment une pure comédie. Le Maroc, tel le cow-boy Lucky Luke tirant plus vite que son ombre, ne fait qu’assumer ses nouvelles alliances avec les monarchies du Golfe, Arabie saoudite en tête, qui lui financent ses achats d’armement pour rééquilibrer avec l’Algérie. Mais moyennant une désobéissance à l’endroit de Washington et Paris et qui doit être comprise comme telle.
A. S.
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