Absents des médias, les immigrés sahraouis sont plus de 10.000 en France, une majorité en région parisienne. Présente depuis les années 1950, cette petite communauté se bat pour l’indépendance du Sahara Occidental. Rencontre avec des Sahraouis dans les Yvelines, principal pôle de cette communauté en Île-de-France.
Avec sa Clio bleue un peu délavée, Mbarack ould Mohammed s’en veut presque de rouler dans une Renault. Comme beaucoup d’immigrés du
Sahara Occidental, ce territoire grand comme les trois quarts de la France situé au Sud du
Maroc, il s’est installé près des usines Peugeot de Poissy, où il a travaillé 35 ans. Aujourd’hui à la retraite, il promet de redevenir fidèle à Peugeot quand il achètera une nouvelle voiture, «si je ne suis pas rentré au Sahara d’ici là!»
Actuellement, rentrer n’est pas une option. Depuis 1976, le Sahara Occidental est divisé en deux, dans le sens de la longueur, entre le littoral contrôlé par le Maroc et une bande de désert le long de la frontière mauritanienne, administrée par la
République arabe du Sahara démocratique (RASD) et son principal parti politique, le
Front Polisario.
Entre les deux,
le plus long mur du monde: près de 2.700 kilomètres de pierres, gravats et champs de mines surveillés par l’armée marocaine.
Chez Mbarack, les rideaux filtrent la lumière froide de la banlieue parisienne. Tapis et larges coussins colorés reproduisent l’atmosphère d’une tente sahraouie. Tout en offrant thé à la menthe et dattes, il raconte être arrivé en France en 1972, pour travailler.
«Les médias parlent de la Palestine. Mais le Sahara Occidental, c’est à 4h de vol et ils n’en parlent pas!»
Parler de notre cause car personne n’y connaît rien
Mbarack vient d’El-Ayoun, principale ville au nord-ouest de la zone sous contrôle marocain.
«40 ans loin de sa terre, c’est beaucoup trop dur. Nos enfants ne connaissent même pas leur pays.»
Engagé dans l’Association des Sahraouis de France (ASF), il montre fièrement ses papiers de citoyen de la RASD, rassemblés au fond d’une petite valise grise. Difficile pourtant de militer depuis la France.
«Nous organisons des réunions, des pétitions. Nous demandons simplement que la France respecte ce que l’ONU propose: un référendum pour le peuple sahraoui.»
Assise à côté de lui, sa femme, Fatimatou, sert une deuxième tasse de thé en souriant. Elle aussi est sahraouie, ils se sont rencontrés en France. «J’ai élevé mes six enfants pour l’indépendance du Sahara. On ne va pas s‘arrêter tout de suite…»
Arrivé en retard, Rachid s’assoie en tailleur à l’extrémité d’un des grands canapés qui meublent le salon de Mbarack. Lui, il a passé la plus grande partie de sa vie dans
un des camps de réfugiés à Tindouf, au milieu du désert algérien. À la fin des années 1970, de nombreuses familles fuient alors que le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, mène une guerre d’usure contre les forces marocaines. Installé aux Mureaux avec des amis, il est arrivé en France il y six mois, après des études de traduction à Alger puis en Espagne, dont il a obtenu la nationalité.
«Je suis ici pour étudier, travailler et envoyer de l’argent à ma famille. Il faut parler de notre cause car personne n’y connaît rien.»
Paradoxalement, la France ne reconnaît pas la RASD mais accorde une dizaine de bourses d’études par an à des étudiants sahraouis. Pour l’instant réceptionniste dans un hôtel, Rachid espère pouvoir s’inscrire à l’université l’année prochaine, quand il parlera mieux français.
Réfugiés politiques et militants
Symptomatique de la position ambivalente de la diplomatie française, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (
Ofpra) accepte parfois les demandes d’asile de Sahraouis qui fuient les zones occupées par le Maroc. Installé 15 kilomètres plus loin, à Mantes-la-Jolie, Salah est arrivé en France en 2008, après avoir fui El-Ayoun et les brimades quotidiennes.
«La France ne reconnaît pas le Sahara Occidental ni les exactions, mais elle me donne le statut de réfugié politique. C’est contradictoire!» s’exclame-t-il en montrant sa carte de réfugié.
Les yeux noirs, il raconte s’être fait tabassé de nombreuses fois par les policiers marocains, craint pour sa famille restée là-bas. «On a grandi dans la peur, on n’est pas à l’aise chez nous.» En fond sonore, un reportage enregistré d’une chaîne de TV espagnole sur le Sahara Occidental. Aujourd’hui, marié à une française, jeune papa, il a posé un dossier pour obtenir la nationalité française.
«S’ils ne me la donnent pas, je retournerai là-bas, même si je dois y mourir, explique-t-il calmement. Mais j’aimerais que mon fils connaisse sa famille et sa culture.»
Accroché dans le salon, un grand drapeau du Sahara Occidental, ironiquement presque semblable au drapeau palestinien, rappelle que cet appartement du quartier Gassicourt de Mantes-la-Jolie est devenu un QG de militants.
Vacances dans les camps de réfugiés en Algérie
Mais tous les Sahraouis ne sont pas réfugiés politiques. Hassan, commercial, est né en France il y a 36 ans.
«C’est normal que les enfants poursuivent l’engagement de leurs parents. Dans les années 1980, ils nous envoyaient passer nos deux mois de vacances dans
les camps de réfugiés en Algérie pour garder un lien culturel avec les traditions du Sahara», raconte ce fils de militants.
De plus en plus présents sur Internet, ces jeunes essayent de mettre leur énergie en commun pour faire passer un message qui, jusqu’ici, reste totalement absent des médias français. Dans leur bouche, même s’ils reconnaissent un «problème de communication», la théorie du complot est rapidement évoquée: les liens proches entre l’élite française et le Maroc expliqueraient le silence médiatique sur le Sahara Occidental.
Volontaires, ils ont créé un nouvel organisme l’année dernière, l’
Association des réfugiés sahraouis en France, qui vise à aider les nouveaux arrivants dans leurs démarches administratives, pour trouver un emploi… Mais au fond, ils espèrent aider le moins de réfugiés possible:
«C’est ce que veut le Maroc, se désole Hassan. Si tout le monde quitte le territoire, ils auront gagné.»
Lisa Serero et Colin Bertier
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