Foi et liberté, les feux de l’amour

par Chaalal Mourad

« Plus qu’une croyance, la liberté est devenue pour certains une sorte de religion qui a forgé ses propres dogmes, bâti ses propres temples et enrôlér ses propres Templiers. Bien que le sacré chez les uns ne le soit pas chez les autres, il n’en demeure pas moins que la liberté est définie, elle aussi, d’une façon disparate. Ces caricatures répétitives s’adressent-elles uniquement aux musulmans de France ou à ceux du monde entier ? Ces derniers, qui ne cessent de revendiquer chez eux la liberté d’expression au prix de leur vie, sont choqués par cette liberté d’expression made in France qui se donne même le luxe de passer en dérision des sujets sacrés. Ceux qui s’obstinent donc à opposer leur Liberté à la Foi et au Sacré des autres, ne cherchaient-ils pas finalement l’arbitrage du terrorisme pour des raisons obscures ? » disent certains.

Bien que la liberté soit le présent de Dieu le plus onéreux légué aux hommes dotés de raison, les templiers de la liberté des temps modernes soutiennent, que nous ne serions jamais plus libres, que lorsque nous nous libérerons définitivement de Dieu et de la foi. Le débat sur la place de la liberté et de la foi dans l’espace public dépasse celui de la liberté dans la foi, définitivement tranchée par un principe fondamental de toute religion qui se respecte, celui de la liberté de conscience, qui s’est fait réapproprier par la laïcité moderne laquelle, n’a finalement, fait que bonne lecture de l’esprit saint de la religion.

Depuis 1789, la laïcité française n’a pas encore soldé tous ses comptes avec la religion. Bien que le débat sur la raison et la foi et par ricochet sur la foi et la liberté ait été et pour longtemps, un débat islamo-islamique avec Al-Fârâbî, les Mutazilites et Averroès puis avec les autres géants de la pensée Juive et Chrétienne : Moïse Maïmonide et Saint Thomas d’Aquin.

En réalité, la liberté n’a jamais été en rapport antagonique avec la foi, bien au contraire, elle est le seul chemin qui mène vers la vérité et vers Dieu. Quel est donc ce Dieu en déficit d’âmes, qui accepte que l’on lui rabatte des croyants, hauts-les mains et kalachnikovs pointées dans le dos ? Un vrai Dieu, ne devra pas craindre la liberté, pas plus qu’une vraie liberté ne devra craindre la foi, au point de la soumettre sans cesse à des taquineries laïques pour susciter une réaction.

À cause du sang qui a coulé au nom de Dieu, la foi n’a plus la cote, en France surtout. Répudiée, elle est sans cesse tenaillée par le politique et les médias, alors que la liberté « sacralisée «, elle bénéficie d’une couverture des deux. En ces temps malheureux, où le terrorisme religieux a mis la foi dans le box des accusés, même Dieu s’est retrouvé dans la défensive. Personne n’osait venir la défendre publiquement, sans courir le risque d’être lui aussi, jeté dans le box des accusés.

Il faut comprendre qu’en France, et depuis un demi-siècle, le conflit entre la foi catholique et l’État laïque était apaisé. À l’affrontement idéologique violent, qui durera du 18e siècle à 1937 pour le contrôle de l’école, a succédé une période de réconciliation, allant de 1945 à 2003. Dès lors, la laïcité allait de soi. Cependant, l’arrivée d’une importante population immigrée d’origine musulmane, la revendication du port du voile et le refus des cours d’éducation physique et de biologie par certains parents d’élèves, ajoutée à cela, les taquineries laïques de nature satirique contre leur religion et les actions terroristes qui s’en ont suivis, ont remis à jour la question de la « laïcité » et le débat sur la place de la liberté et de la foi dans l’espace public. La loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles dans l’enseignement public, a suscité de nombreuses controverses, aussi bien en France que dans le monde musulman.

En soutenant donc qu’il n’y a pas plus sacré que la liberté, en taquinant sans cesse la foi y compris la leur, sans s’en soucier du sentiment de l’autre, les templiers de la liberté semblent franchir toutes les barrières de la retenue. Ces querelles contre-productives, ne servent finalement, ni la liberté ni la foi. Rien ni personne n’a le droit de justifier le terrorisme. Cependant, ces taquineries laïques, ne secouent-ils pas, encore plus qu’ils ne le sont déjà, des esprits secoués par le mal-vivre, l’absence chez eux, de justice, de libertés, de dignité humaine et surtout de culture, et où la religion y demeure la seule et l’unique consolatrice ?

De l’autre, cet islam dont le discours virulent et anachronique, avec son hidjab, son niqab, sa burqa, sa bouffe halal, son séparatisme et la violence gratuite de certains de ses répondants, ne cesse-t-il lui aussi, d’étouffer les Français, d’imposer ses normes sociales et taquiner, à son tour, la république laïque ? Une république dans laquelle il vit, prospère et use de sa largesse de cœur ?.

C’est parce que l’islam et la république laïque se connaissent trop bien, qu’ils ne cessent de se chamailler, disent certains. Malgré cela, chacun persiste à enseigner à l’autre ses fondamentaux. Cependant, et en l’absence de didactique, de pédagogie et de respect de l’autre, l’enseignement tourne au vinaigre et chacun reste réfractaire à ce que dit l’autre. Ça ne suffit pas d’être un érudit en quelque chose y compris dans l’exercice de la liberté pour prétendre l’enseigner à autrui, dit-on.

C’est exactement ce qui se passe avec ces caricatures, qui au lieu de susciter un vrai débat au sujet de la liberté et de la foi, ô combien nécessaire et pertinent pour les deux parties et surtout, au gens de la foi ! Elles font écran à tout effort de réflexion et ne produisent que pincements aux cœurs chez une partie de leurs concitoyens, haine chez les autres et des réactions violentes et inacceptables chez certains radicaux.

D’aucuns, assimilent ces caricatures à une moquerie de bourgeois et une taquinerie laïque de mauvais goût, à l’égard d’une partie du monde qui vit sous tension. Si ces gens devaient être libérés de quoi que ce soit, nous disent-ils, c’est de la stigmatisation, du dédain porté sans cesse à leur foi et à leur patrimoine culturel qui a tant donné au monde. Ces remparts psychologiques que dressent face à eux, le reflet distordu de l’image et de la peur de l’autre, forment une forteresse où se replient le radicalisme et la haine de l’autre.

Si le terrorisme demeure la forme de haine religieuse la plus voyante, la plus violente et la plus ignoble; l’invective, le sarcasme médiatique répétitif contre des symboles religieux y compris les leurs, ne seraient-ils pas considéré aussi, comme une forme de haine religieuse light, exprimée à califourchon sur le droit à la liberté d’expression ?

Heureusement, ces caricatures n’affectent qu’une infime catégorie bien ciblée d’individus, le gros des musulmans n’y prête même pas attention. Les musulmans, qui ont, eux aussi, de brillants artistes, pouvaient, s’ils le voulaient, répondre dessin contre dessin, mais leur système de croyances les empêche. Puisque pour eux, Jésus bénéfice du même statut religieux que leur prophète. En plus, ils risquaient de susciter une réaction encore plus vive chez une partie des chrétiens, très respectueux des autres religions et qui n’ont rien à voir dans cette querelle, imposée par des non-religieux, jugées» ultra laïcs», et risquer d’ouvrir un autre front de violence religieuse, plus vicieux encore.

À l’instar de cette infime minorité, écervelés de musulmans, complètement disjonctés, qui enjambent la clôture de la raison et passent à l’acte terroriste répréhensible, ces satiristes ne souffrent-ils pas eux aussi, d’un trouble obsessionnel qui les pousse à taquiner sans cesse la religion ? Se sentent-ils, eux aussi, investis, d’une mission sacrée de «Djihad» pour la liberté ? Cet attitude purement Français, de confrontation permanente au fondamentalisme religieux, islamiste surtout, fut hissée au rang de dogme, dans l’exercice de la liberté d’expression made in France. La seule façon pour elle, d’affirmer son autorité médiatique sur son sol et d’élargir le cercle de ses libertés, contrariés par la présence même de l’islam sur son territoire.

Afin de marquer son territoire de valeurs, réaffirmer et consolider l’ancrage sur son sol, de ce principe fondamental de liberté d’expression et susciter un débat, celle-ci a été poussée à des limites les plus extrêmes. Le risque terroriste qu’elle fait peser sur toute la profession était alors manifeste. Un grand courage, crient certains ! Une irresponsabilité et absence totale de pertinence médiatique, disent les autres.

Cette énième attaque terroriste à Paris, perpétrée par un jeune pakistanais, dépossédé de son esprit et de sa raison, qui s’en est pris à coup de hachoir à deux pauvres journalistes de l’agence de presse Premières Lignes, non loin des anciens locaux de Charlie Hebdo, ce temple de la liberté d’expression made in France, en est la preuve. Dans cette confrontation, les victimes collatérales sont les musulmans de France qui doivent après chaque acte terroriste, se dédouaner sans ambiguïté de l’acte, se désolidariser des auteurs et se démarquer de l’esprit qui les anime. Ils se sentiront d’autant plus soulagés, que si parmi les victimes, se trouvaient d’autres musulmans, le sang mélangé, atténuera l’amalgame, la stigmatisation et l’islam bashing.

Le débat sur la laïcité et le séparatisme islamiste en France, ne s’est-il pas alimenté de ces tristes évènements ? N’est-il pas l’un des sous-produits de cette confrontation déraisonnée et disproportionnée entre les templiers de la liberté et les djihadistes de la foi ? Tout cela, a imposé au politique le ton et la cadence du discours, au point de questionner la présence même de l’islam chez eux et les concessions que celui-ci est sommé de faire à la république laïque, s’il comptait encore vivre sur son sol, selon ses seules et propres lois et règles.

Il se trompe donc celui qui pense que ce débat ne concerne que l’islam. La voracité libertaire des templiers de la liberté, finira par toucher toutle monde, elle trouvera, un jour ou l’autre, le moyen et la brèche pour venir chatouiller les autres religions. La dernière tentation du Christ, ce film américain, de Martin Scorsese de 1988, que l’ ‘Église avait alors dénoncé très fermement, on est l’exemple. Un groupe fondamentaliste catholique avait même incendié le 23 octobre 1988 la salle du cinéma parisienne « Espace Saint-Michel » et la salle du Gaumont Opéra ainsi que celle de Besançon. Un autre attentat du même groupe causa la mort d’un spectateur.

Plus que jamais, la laïcité est appelée à arbitrer entre la foi et la liberté, à protéger les religions des taquineries laïques impertinentes et protéger les libertés du tic invasive des religions, de nature à étouffer la société, en imposant une seule grille de lecture du dogme. Comme elle l’a déjà fait, en s’interposant entre la religion et le pouvoir et en marquant les limites de chacun dans la vie républicaine. Le faisant, elle a pacifié la vie publique, protégé la religion des abus du pouvoir et protégé le pouvoir des différentes lectures de la religion, de ses courants, de ses schismes et de ses dogmes.

Finalement, il est nécessaire de rappeler que la diffamation des religions, fait l’objet d’une résolution n° 7/19, adoptée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et engageant les États à renforcer la lutte contre ce phénomène inquiétant. L’ONU qui a développé cette nouvelle approche des religions et de leur insertion dans l’espace public, mais vis-à-vis de laquelle, les Etats Occidentaux sont toujours réticents.

Le Quotidien d’Oran, 8 oct 2020

Tags : France, Macron, Islam, Islamophobie,

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