Maroc : « On m’a traité d’espion du Mossad » (Ali Lmrabet)

La liberation des journalistes est surtout due au président français Macron, qui voulait que les journalistes soient libérés avant sa visite au Maroc. Mes collègues Toufic Bouachrine, Suleiman Raissouni et Omar Radi ont été condamnés au silence ou à l'exil (Ali Lmrabet)

Le journaliste d’investigation marocain et ancien diplomate Ali Lmrabet était l’invité vendredi dernier de l’association professionnelle NVJ pour une discussion sur la liberté de la presse au Maroc, les manifestations contre la guerre à Gaza et les journalistes en exil. Jan Keulen, ancien correspondant au Moyen-Orient et membre du groupe de politique sur la liberté de la presse de la NVJ, a rédigé un compte rendu de la rencontre. Lmrabet : « Personnellement, je trouve Netanyahu détestable, mais cela ne veut pas dire que je ne devrais pas pouvoir l’interviewer ? »

L’année dernière, trois journalistes marocains de premier plan ont obtenu une grâce du roi Mohammed VI après des années de captivité. Il semblait que la liberté de la presse au Maroc allait un peu mieux.

Le pays a même progressé de quelques places dans l’indice de liberté de la presse de Reporters Sans Frontières, atteignant la 129e place. Cela signifie – sur un classement de 180 pays – que le Maroc n’est pas encore un havre de liberté d’expression, mais l’espoir semblait renaître.

Ali Lmrabet (1959) hausse les épaules. Il voit peu de raisons d’être optimiste concernant le climat politique au Maroc. « Oui, ces journalistes sont maintenant sortis de prison. Mais ils ne peuvent toujours pas exercer leur travail journalistique. Leur libération est surtout due au président français Macron, qui voulait que les journalistes soient libérés avant sa visite au Maroc. Mes collègues Toufic Bouachrine, Suleiman Raissouni et Omar Radi ont été condamnés au silence ou à l’exil. »

L’exile

Lmrabet en sait long sur l’exil. Le journaliste d’investigation iconique, qui a brièvement visité les Pays-Bas la semaine dernière, vit et travaille lui-même en exil entre Barcelone et Paris. Que se passerait-il s’il retournait chez lui ? « Je serais immédiatement arrêté à la frontière », assure-t-il. Il loue son riad, une maison traditionnelle andalouse dans la médina historique de Tétouan, aux touristes par nécessité.

Lmrabet, qui a commencé sa carrière en tant que diplomate marocain en Argentine, est depuis des années une épine dans le pied du régime de Rabat. Les amendes, les peines de prison et l’interdiction professionnelle ne l’ont pas empêché de continuer à faire des reportages journalistiques factuels, renversant ainsi des tabous. Ainsi, il a été condamné pour avoir qualifié les centaines de milliers de réfugiés du Sahara occidental de « réfugiés ». Selon la définition des Nations Unies, ce sont effectivement des réfugiés, mais dans le discours officiel marocain, ils sont appelés « enlevés en Algérie ».

Espion du Mossad

À une époque où la cause palestinienne était un dogme intouchable du régime, Lmrabet a voyagé plusieurs fois en Israël et a été le premier journaliste marocain à interviewer Benjamin Netanyahu. « On m’a traité d’espion du Mossad », se plaint Lmrabet, « surtout quand on a découvert que j’avais fréquenté une école primaire du Cercle Israélite de Tétouan. Je suis musulman, du moins culturellement et par origine, et non juif. Mais qu’importe ? Chrétien, musulman ou juif ? L’important, c’est qu’au Maroc, on ne comprend pas ce que signifie le journalisme. » Lmrabet rit amèrement. « Personnellement, je trouve Netanyahu détestable, mais cela ne veut pas dire que je ne devrais pas pouvoir l’interviewer ? »

Maintenant que le vent politique a tourné et que le Maroc a reconnu Israël, il est devenu dangereux de critiquer la normalisation des relations ou la guerre d’Israël à Gaza. Ismail Ghazaoui, un activiste qui a dirigé une manifestation pro-palestinienne dans le port de Tanger, où des bateaux avec des armes destinées à Israël accostaient, a été condamné à un an de prison. Plusieurs autres militants pro-palestiniens ont été condamnés à six mois avec sursis.

Bras long

Lmrabet rend régulièrement compte de manière critique des manifestations au Maroc contre la guerre à Gaza et du rôle du Maroc dans le conflit au Moyen-Orient.

« Les médias au Maroc n’en parlent pas, mais ce n’est pas surprenant si l’on considère que la plupart des journalistes sont au service du gouvernement. »

D’autres sujets, évités par les médias marocains officiels et officieux, mais abordés par Lmrabet sur sa chaîne YouTube populaire et ses réseaux sociaux, incluent la question du Sahara occidental, la relation avec l’Algérie et le « bras long » des services de renseignement marocains qui sont très actifs en Espagne, en France, en Belgique et aux Pays-Bas.

« On m’a traité de traître quand j’ai interviewé un leader du Front Polisario », dit Lmrabet, indigné. « Mais je fais simplement mon travail de journaliste. »

Le manque de liberté de la presse a également un impact sur le travail des journalistes étrangers en visite, affirme Lmrabet. « Mon bon ami et collègue Francisco Carrión du journal espagnol El Independiente a été renvoyé en avion cette semaine, lorsqu’il a voulu visiter le Sahara occidental. Le Maroc n’autorise pas les journalistes étrangers et les observateurs des droits de l’homme à visiter la zone occupée par le Maroc. »

Source : Villamedia, 12/02/2025

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