Le journaliste Ali Amar débarqué de « Slate Afrique »

Demain Online, 18 fév 2013

Le correspondant pour le Maroc du site panafricain basé à Paris a été brutalement licencié. Les partenaires potentiels marocains de Slate pour le projet mort-né d’un Slate Maroc avaient demandé sa tête.

Le co-fondateur du défunt Journal hebdo et auteur de deux livres censurés au Maroc vient d’être brutalement licencié de son poste de correspondant pour le Maroc de Slate Afrique.

Ali Amar avait été recruté par Slate au lancement de son site africain. Il y animait depuis début 2011 la rubrique «Maroc» qui avait donné une visibilité certaine au pure-player dans le royaume au point que les actionnaires de Slateavaient envisagé une version marocaine du site.

Selon Maghreb Confidentiel, le directeur général de Slate, Eric Leser, ancien correspondant du Monde à Washington, «n’a pas trouvé de partenaires marocains, en dépit de plusieurs déplacements effectués courant 2012. Même l’éditeur de presse gratuite Géomédia, qui a un actionnaire en commun avec Slate (le fonds Viveris) n’a pas donné suite. Slate.fr réalise pourtant sa seconde meilleure audience dans le royaume, après la France».

Fondé par Mohamed Laraki, Géomedia édite plusieurs magazines dont le féminin Plurielle, Sport hebdo et la version marocaine de L’Officiel.

La tête d’Amar comme gage d’entrée au Maroc

Le fait qu’Eric Leser soit revenu bredouille de ses pérégrinations marocaines a en réalité une raison cachée qui a un lien direct avec le licenciement d’Ali Amar et dont la révélation est de nature à ternir très sérieusement l’image de Slate France et éclabousser son actionnaire américain, le très prestigieuxWashington Post, propriétaire de la marque (Slate est la propriété de Washington Post Co., Slate Group possède 17% du capital de Slate.frSlate.fra payé une redevance de près d’un million d’euros pour utiliser la marque en France).

A en croire Arrêt sur images, ce n’est pas la première fois que Slate Franceécorne la charte d’éthique du Washington Post…

Selon nos informations recueillies à Paris, Eric Leser et son mentor, Jean-Marie Colombani, président de Slate France et ancien patron du Monde ont été «encouragés par certaines parties marocaines à écarter Ali Amar. C’était en quelque sorte leur gage à donner pour pénétrer le marché marocain» nous explique notre source. Et d’ajouter : «Ses articles sur la monarchie détonnent dans la presse parisienne qui a pour habitude d’encenser volontiers le régime. Ils étaient souvent repris comme référence par les journalistes américains de Slate.com durant le Printemps arabe, ce qui a fait grincer des dents dans certains milieux qui lobbyent pour Rabat, que ce soit à Paris ou à Washington».

Jean-Marie Colombani, un habitué du Makhzen

Jean-Marie Colombani, un habitué du MakhzenIl faut souligner que Colombani n’est pas à sa première tentative de mettre un pied au Maroc. Il y a quelques années de cela, il s’était mis en cheville avecAhmed Charai, le patron de L’Observateur et de Med Radio, réputé pour ses accointances avec la DGED, les services secrets extérieurs marocainsdirigés par Mohamed Yassine Mansouri  – notamment dans l’affaire Dati-Aznar –  et avec les milieux néo-conservateurs américains où il porte la bonne parole du Makhzen. Charai avait alors hérité de la régie publicitaire du Mondeau Maroc à travers son officine Maroc Télématique qui exploite comme d’autres affidés du régime alaouite un collier de panneaux publicitaires dans plusieurs villes du royaume. Une belle rente qui ne souffre que peu de frais d’exploitation. Opportunément atlantiste comme Colombani, Charaï s’échine à exploiter une version francophone du magazine américain Foreign Policy. Une franchise de notoriété qui, comme par hasard, fait partie de la galaxie Slate Group…

Les visées marocaines de Colombani n’ont été que de courte durée, l’ambition du Corse était d’imprimer à Casablanca une édition marocaine du Monde en partenariat avec EcoPrint, l’imprimerie du groupe EcoMediasd’Abdelmounaïm Dilami et de Nadia Salah (L’Economiste, Assabah, Atlantic Radio). Mais à l’époque, Edwy Plenel (patron de MediaPart) était encore directeur des rédactions du Monde et le Maroc était couvert par Jean-Pierre Tuquoi et Stephen Smith.

Pas de quoi rassurer le Makhzen qui par oukaze de Fouad Ali El Himma avait mis un terme au projet alors que les cartons d’invitation à la soirée de lancement du Monde marocain au Royal Mansour de Casablanca avaient déjà été lancés…

Depuis, Colombani s’est suffi de sa chronique hebdomadaire sur les ondes deMedi-1, la radio franco-marocaine de Tanger, porte-voix du Makhzen au Maghreb.

L’email qui risque de coûter cher à Slate

Demain a pu se procurer en marge d’une conférence tenue à Bruxelles le 16 février, à laquelle Ali Amar n’a pas assisté, et consacrée à l’histoire du Journal hebdo, l’email d’Eric Leser annonçant le licenciement du journaliste marocain, accusé d’« escroc » et surtout parce que sa présence au sein de la rédaction de Slate Afrique aurait fait perdre de potentiels investisseurs.

Pourtant, contacté par Demain, M. Eric Leser a démenti « formellement ces informations ». Pour ce dernier, si Amar n’est effectivement plus dans les effectifs de Slate Afrique c’est « à la suite d’accusations de plagiat ».

Leser et Colombani accusent Amar d’avoir repris et publié sur Slate Afrique un article prétendument piqué à l’hebdomadaire marocain La Vie économique et de l’avoir signé avec un nom d’emprunt : Jaouad Mdidech.

Or Jaouad Medidech existe bien. C’est un ancien prisonnier politique qui travaille à La Vie économique depuis une douzaine d’années. Selon des emails fournis par un de ses confrères, il apparaît, comme a pu le prouver Demain, que c’est le propre Jaouad Mdidech qui a envoyé l’article qui a servi de prétexte au couple Colombani-Leser pour licencier Amar.

Ce courriel dont plusieurs journalistes français et belges, spécialistes du Maghreb et de l’Afrique, ont reçu copie par des voies diverses est en soi l’aveu des turpitudes marocaines de Slate.

Contacté de Bruxelles par Demain, Ali Amar, confirme avoir eu connaissance de cet email bien qu’il n’en ai pas été le destinataire initial : «J’ai appris par des confrères qu’il a fuité de Slate. Pour ma part, on me l’a transféré par voie légale, je constate son caractère insultant et diffamatoire et m’étonne que la décision prise de mettre fin à ma collaboration à Slate soit liée à des tractations commerciales dont je ne suis pas partie prenante. Je suis en train d’étudier avec mes avocats parisiens des suites juridiques à donner à cette affaire qui touche mon honneur et dont la publicité entache ma réputation professionnelle».

C’est le cabinet français Lombard & Associés, qui est l’avocat de nombreux éditeurs de presse quotidienne, de quotidiens français, de presse-magazines spécialisés et d’hebdomadaires mondialement diffusés qui va défendre les intérêts du journaliste marocain.

Pour sa part Aboubakr Jamaï, ancien directeur et co-fondateur du Journal hebdo a déclaré à Bruxelles lors d’une conférence de presse que « Ali Amar est indentifié au journalisme indépendant et il est triste de voir qu’un media français serve de relais à la propagande du régime et à la persécution de ce même régime contre le journalisme indépendant ».

Une ambiance délétère au 73, rue Sainte-Anne

En marge de cette affaire, Slate Afrique connaît de sérieux tumultes qui soulignent l’ambiance délétère qui y règne. Selon La Lettre du Continent,«La dizaine de collaborateurs réguliers africains se plaint de n’être plus payée depuis plusieurs semaines». Nombre d’entre eux comptent recourir à la justice et/ou aux prud’hommes pour recouvrer leurs émoluments et faire valoir leurs droits. Des témoignages sur le site Acrimed illustrent les méthodes de galèriens imposées aux contributeurs de Slate.

Certains piliers de Slate Afrique ont «levé le pied» selon des sources concordantes, à l’instar de l’Algérien Chawki Amari, écrivain et chroniqueur pour le quotidien El Watan et on évoque même le départ du directeur de la rédaction Pierre Cherruau qui a pourtant contribué au lancement du site.

Au 73, rue Sainte-Anne à Paris, siège du Slate.fr, les rumeurs vont bon train sur la disparition prochaine de Slate Afrique, sa filiale à 100% qui cumule des pertes abyssales et qui ne vit que sous perfusion de sa maison-mère. Faibles rentrées publicitaires et partenariats non aboutis, notamment avec le groupeAga Khan, très actif en Afrique de l’Est, ont précipité les difficultés financières de la publication qui rêvait encore récemment d’ouvrir son premier bureau à Dakar. A ce facteur s’ajoutent les propres aléas budgétaires de Slate.fr qui avait pourtant annoncé un retour à l’équilibre en 2012, grâce au soutien deBNP Paribas, mais dont les accords éditoriaux et publicitaires avec Orange etDeezer n’auront pas suffi à concrétiser pour le moment sa percée face à ses concurrents que sont Rue89, MediaPart ou Huffington Post, ni ses déclinaisons prévues en Italie et en Allemagne notamment.

En somme, Slate Afrique qui survit chichement, et qui a payé très cher ses errements stratégiques, serait au bord du dépôt de bilan. Un extrême nié par Eric Leser dans un email envoyé à Demain.

Ali Benacher

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