Par Pauline Hofmann et Benoît Collombat (Radio France)
Ils sont au nœud des relations entre l’Union européenne et le Maroc. Deux accords commerciaux (l’un sur l’agriculture et l’autre sur la pêche) octroient aux produits marocains des préférences douanières. Problème : à plusieurs reprises depuis 2016, la justice européenne a pointé leur illégalité. Et le Sahara occidental se trouve au cœur du problème.
Ce territoire, grand comme huit fois la Belgique, est au milieu d’une dispute territoriale. Le Maroc, qui l’occupe depuis la fin de la colonisation espagnole en 1975, revendique sa souveraineté sur ce qu’il appelle « les provinces du Sud », riches en poissons et en phosphate. Face à Rabat, on retrouve le Front Polisario, mouvement indépendantiste sahraoui soutenu par l’Algérie voisine.
Où se trouve alors le problème de ce deal douanier ? L’Union européenne a décidé de l’appliquer à tous les produits qui viendraient du Sahara occidental. Une décision illégale en l’état, selon la justice qui réaffirme le « statut séparé et distinct » de la région.
Un conflit d’intérêts
En 2018, après un premier revers juridique, le Parlement européen relance ces accords. « Dès le début de nos travaux, il était évident que la Commission et le Conseil nous mettaient une pression importante pour que l’on approuve les accords tels quels », se souvient Heidi Hautala, actuellement eurodéputée (Verts) et co-présidente du Parlement européen. Elle raconte avec amertume un voyage de travail au Sahara occidental en 2018 : « La position marocaine a dominé à 100 % les présentations faites au cours de la mission. » Seuls deux autres eurodéputés dont la rapporteure, la Française Patricia Lalonde (ALDE), font partie du voyage. « On lui dit d’aller voir des deux côtés. Elle nous a répondu : “Ah non, non, j’irai uniquement dans la zone sous contrôle du Maroc” », assure Gilles Devers, avocat du Front Polisario. Activiste sahraoui, le Belge Mahjoub Maliha avait proposé son aide aux services du Parlement pour rencontrer des Sahraouis. Mais dans un échange de mails, ces derniers ont invoqué des « raisons de sécurité » empêchant la rencontre.
Patricia Lalonde, elle, a dû se retirer du dossier en raison d’un conflit d’intérêts. Elle faisait partie d’EuroMedA, aux côtés de Gilles Pargneaux. Sans être inscrite au registre de transparence, l’organisation avait co-organisé au Parlement européen un événement avec l’OCP, l’Office chérifien des phosphates, une entreprise marocaine active au Sahara occidental. Patricia Lalonde n’a pas donné suite à nos questions.
En janvier 2019, le Parlement européen finit par voter en faveur de ces accords, incluant, malgré la précédente décision de justice, le Sahara occidental. La cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini se félicite alors d’une « nouvelle étape dans le partenariat stratégique » entre l’UE et le Maroc. Le commissaire européen Pierre Moscovici saluait un accord qui met « fin à une incertitude juridique dommageable à tous, notamment aux entreprises et habitants du Sahara occidental ».
« Se réjouir des bonnes relations avec le Maroc n’est pas un scandale quand on est à l’Union européenne », défend aujourd’hui Pierre Moscovici, à la tête de la Cour des comptes en France. « Quand les relations avec le Maroc sont mauvaises, c’est mauvais pour le Maroc et pour l’Union européenne », deux partenaires stratégiques. Il rappelle avoir voulu placer le pays sur la liste noire des paradis fiscaux. « Nous n’avons pas ignoré l’arrêt de la Cour de justice, nous avons pensé que le droit européen permettait d’apporter cette solution-ci. » En 2021, la justice européenne a une nouvelle fois annulé les accords, tels que votés par le Parlement européen. Le Conseil et la Commission ont fait appel. Une nouvelle décision est attendue cette année.
https://www.lesoir.be/499978/article/2023-03-10/entre-lue-et-le-maroc-des-accords-controverses
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