par Karim Aimeur
Entretien réalisé par Karim Aimeur
Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Yahia H. Zoubir, professeur en études internationales, analyse l’opération militaire marocaine menée dans la zone-tampon d’El Guerguerat et ses conséquences sur la région en général et l’Algérie en particulier. Selon lui, le royaume avait l’aval du gouvernement français avant de passer à l’acte. Il affirme que l’Algérie est concernée par cette situation du fait qu’elle héberge un grand nombre de réfugiés sahraouis sur son territoire depuis 45 ans. L’Algérie, qui fait déjà face à une instabilité à ses frontières avec le Mali et la Libye, doit faire face à une éventuelle nouvelle instabilité que créerait le conflit entre le Maroc et la République sahraouie, a-t-il soutenu.
Le Soir d’Algérie : Le Maroc vient de mener une agression militaire dans la zone-tampon d’El Guerguerat en procédant à l’ouverture de trois nouvelles brèches en violation de l’accord de cessez-le-feu signé en 1991, sous l’égide de l’ONU. Comment expliquez-vous cette opération surprenante et cet acte inattendu du Maroc ?
Ce n’est pas un acte inattendu mais un acte prémédité. Des violations avaient déjà eu lieu et elles sont dans le dernier rapport de l’ONU. Des sources avaient déjà signalé que le Maroc allait attaquer El Guerguerat et qu’il avait obtenu l’aval du gouvernement français. L’ouverture d’un consulat émirati dans le Sahara Occidental occupé était de mauvais augure. Là, ce sont les soutiens mais la question est de savoir pourquoi. La zone-tampon sur le territoire sahraoui est stratégique car elle donne accès à l’Afrique sub-saharienne pour le Maroc qui a développé une politique africaine depuis 2 décennies et ce, avant de devenir membre de l’Union africaine en 2017.
Cet accès lui procurerait non seulement un écoulement de marchandises, dont le poisson pêché illégalement dans les eaux territoriales sahariennes destiné à la Mauritanie, mais aussi une occupation du territoire comme lors de la marche verte en 1975. Étant donné qu’il n’y a aucune résistance à sa politique, le Maroc en profite pour créer un autre fait accompli, c’est-à-dire une présence permanente. Les Sahraouis ont manifesté pacifiquement dans cette zone justement pour protester contre cette exploitation des ressources naturelles. Les Sahraouis ont réagi à l’impasse depuis 45 ans et à l’incapacité de l’ONU à organiser le référendum qui devait se tenir en 1992 sous son égide. Depuis de nombreuses années, le Polisario a réussi à contenir ce mécontentement et à éviter le conflit. Il semble que la dernière provocation du Maroc ait été trop flagrante pour que cette approche reste viable.
Vous dites que l’ouverture d’un consulat émirati au Sahara Occidental occupé était de mauvais augure. Mais ce pays n’est pas le seul pays du Golfe à soutenir le Maroc. Comment analysez-vous justement les positions des monarchies du Golfe qui ont pris position pour le Maroc ?
Rien de surprenant là-dessus. Le Maroc est une monarchie et les monarchies « sœurs » l’ont toujours soutenu dans son occupation du Sahara Occidental. Dans les années 1970 et 1980, l’Arabie Saoudite subventionnait sa guerre contre les Sahraouis. De nos jours, les Émirats sont à l’assaut de l’Afrique du Nord. Tout d’abord, pour des raisons idéologiques : lutte contre les Frères musulmans mais surtout pour empêcher toute démocratisation dans la région, c’est-à-dire renverser les acquis en Tunisie par exemple ou l’émergence d’un Etat démocratique ou sous influence des Frères musulmans en Libye. Étrangement, en cela, ils trouvent le soutien du gouvernement du Président français M. Macron qui a besoin de leur financement du G5 au Sahel et des achats d’armements français, tels que les avions Rafale.
De plus, il y a concordance entre la France et les EAU pour combattre « l’islam politique » De plus, la normalisation de certains pays arabes avec Israël et la perception — je dis bien perception — que le Maroc pourrait en faire partie donnent aux EAU une sorte de légitimité et bénéficie de l’administration du Président Trump. Et, bien entendu, de nouvelles alliances sont en perspective. Le Maroc sait bien que le soutien des monarchies est aussi un piège car toute déviation pourrait entraîner un changement de position de leur part comme cela a été le cas lorsque le Maroc donna l’impression qu’il soutenait le Qatar dans son conflit avec l’Arabie Saoudite et ses alliés.
L’agression marocaine suscite des inquiétudes sur la situation sécuritaire dans la région. Quelles sont, selon vous, les conséquences à prévoir suite à cette opération ?
Les conséquences ne feront que rajouter à l’instabilité qui y règne déjà mais qui participe aussi du plan tendant à faire accepter un nouvel ordre dans la région.
Et pour l’Algérie ?
L’Algérie est, bien évidemment, concernée par cette situation. Elle héberge un grand nombre de réfugiés sahraouis sur son territoire depuis 45 ans. Elle s’en est tenue à la légalité internationale mais celle-ci est devenue un leurre et que les puissances violent sans état d’âme. L’Algérie fait déjà face à une instabilité à ses frontières avec le Mali, la Libye et, à présent, un conflit entre le Maroc et la République arabe sahraouie démocratique, qui est, somme toute, inévitable.
Il semble que la communauté internationale soit impuissante face à la situation. Comment expliquer l’incapacité de l’ONU à résoudre ce conflit ?
L’ONU, c’est le Conseil de sécurité. Ce n’est pas un secret que la France n’ait jamais voulu d’un Etat sahraoui indépendant et qu’elle soutienne le Maroc vaille que vaille, droit international ou pas. Les États-Unis ont, eux aussi, favorisé « l’autonomie » offerte aux Sahraouis, une véritable tromperie. Et le secrétaire général de l’ONU n’est pas innocent non plus. Il n’y a qu’à lire sa déclaration où il annonce que la Minurso exécutera son mandat sans spécifier sa véritable mission qui est la tenue d’un référendum. L’objectif est de maintenir le statu quo éternellement qui favorise l’occupant.
K. A.
Le Soir d’Algérie, 15 nov 2020
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