par Ghania Oukazi
«Il est évident que la CIA n’est pas un militant de la paix en général, spécialement la paix entre les pays arabes(…). Ceci est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de pays entre lesquels il y a un conflit latent, ce qui est le cas entre le Maroc et l’Algérie».
Les propos sont de Michel Raimbaud, écrivain, ancien ambassadeur de France, analyste de renom du Moyen-Orient et du monde arabe en général. Raimbaud répondait ici à une question que nous lui avons posée hier à propos de ces «fuites» médiatiques qui sont organisées depuis quelques jours mettant en exergue les rapports conflictuels entre l’Algérie et le Maroc. Il s’agit de la regrettable «affaire Amgala» de 1976 suite à laquelle les armées des deux pays sont entrées en confrontation directe. Et aussi la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo qui affirme que le roi Hassan II a remis au Mossad un enregistrement sur les travaux du sommet arabe qui s’est tenu à Casablanca pour préparer en 1967 une intervention militaire arabe commune contre l’entité sioniste. (Voir l’édition du Quotidien d’Oran du lundi 24 novembre 2020). Ces «dossiers» historiques sont mis en ligne et même remis à des médias précisément depuis que le Front Polisario a repris les armes suite à l’intervention armée des forces marocaines contre les contestataires sahraouis qui observaient un sit-in au niveau de la frontière d’El Guerguerat. L’objectif est -sans conteste- d’envenimer les relations entre l’Algérie et le Maroc dans une conjoncture où les puissants se cherchent des alibis fallacieux pour briser des Etats et des Nations. Les «fuites» médiatiques visent-elles à pousser l’Algérie à déclarer la guerre au Maroc?, avons-nous enchaîné avec le diplomate français. « Il est évident que la CIA n’est pas un militant de la paix en général, spécialement la paix entre les pays arabes, pour lesquels l’Amérique officielle, tous partis confondus, a certainement peu de sympathie. Ceci est encore plus vrai (sans vouloir faire de peine à personne) lorsqu’il s’agit de pays entre lesquels il y a un conflit latent : ce qui est le cas entre le Maroc et l’Algérie, depuis le départ des Espagnols du Sahara occidental. La circulation du rapport de la CIA au sujet des deux batailles de Amgala début 1976 n’est certainement pas innocente, si l’on se réfère au contexte.
Une guerre « préméditée par les services israéliens et les Américains»
Le déclenchement de la guerre entre le Polisario et le Maroc le 13 novembre dernier ou «l’affaire El Guerguerat» a-t-elle été préméditée? Si oui par qui? Et pour quels objectifs? Que risque l’Algérie en l’absence de son président de la République hospitalisé en Allemagne depuis près d’un mois? Crise politique interne ou tentative externe de déstabilisation?, lui avons-nous encore demandé. « Plusieurs facteurs peuvent être mentionnés : la reprise des hostilités entre le Polisario et le Maroc, qui a certainement été préméditée par les services israéliens et les Américains…. », commence par noter l’auteur de « Les guerres de Syrie » et «Tempête sur le Grand Moyen-Orient ». Pour les objectifs, affirme-t-il, « l’absence prolongée du Président algérien, hospitalisé pour raison de santé depuis un mois est sûrement une aubaine pour les fomenteurs de l’affaire ». Michel Raimbaud explique que «la situation générale du monde arabe est caractérisée par la généralisation des situations de déstabilisation qui se sont étendues depuis dix ans de pays en pays, dans une sorte de contagion et de banalisation du chaos de pays en pays, du Maghreb au Mashreq et du Mashreq au Maghreb.
L’objectif est bien sûr la désorganisation et la déstructuration du monde arabe dans son ensemble : Israël y est sûrement pour quelque chose, surfant sur la vague des normalisations déjà accomplies ou escomptées : Emirats, Bahreïn, Soudan, etc. »
L’ancien ambassadeur de France affirme alors que « la remise en circulation de la vidéo au sujet du Roi Hassan II et de ses contacts avec le Mossad « sur les réseaux sociaux » n’est pas innocente. C’est une vieille histoire déjà connue qui est de nature à rallumer les animosités et les soupçons dans une atmosphère « arabe » de suspicion généralisée et de confusion assez inquiétante pour l’avenir. Le fait que « les réseaux sociaux » soient derrière cette rediffusion signifie en clair et sans ambiguïté que l’Occident, Amérique en tête, dont les ONG sont des relais privilégiés, est à la manœuvre ».
L’absence du Président crée peut-être des tentations ?
Le complot contre l’Algérie existe-t-il ? Y aurait-il un scénario clair pour la déstabiliser ?, lui avons-nous en outre demandé. « Je pense que l’idée (appelons cela comme on voudra) de déstabiliser l’Algérie existe bel et bien. L’Algérie a vécu des épisodes mouvementés et c’est en bonne partie à son armée qu’elle doit, à mon avis, d’avoir pu préserver un certain ordre et garder le contrôle de la situation, malgré toutes les pressions démagogiques d’origines diverses. Quant à un scénario précis ou clair, c’est autre chose. L’absence du Président crée peut-être des tentations ? Entraîner l’Algérie dans une guerre contre le Maroc, qui serait sans fin (à l’américaine) ou sans conclusion prévisible est l’une de ces tentations, l’objectif étant de rendre impossible tout rapprochement entre deux pays qui restent voisins et frères, quoi que l’on dise et quoi que l’on pense, et de semer une zizanie de plus dans le monde arabe, qui se débat déjà dans une situation générale inquiétante ».
Tout en lui rappelant que la Constitution a été «votée» par référendum le 1er novembre dernier mais non encore promulguée parce que le président de la République est absent, nous l’avons interrogé en dernier : que pensez-vous de la disposition de la nouvelle Constitution qui stipule que l’armée algérienne peut désormais intervenir en dehors de ses frontières? Est-elle réfléchie et nécessaire ou est-elle une exigence des puissances étrangères pour que l’Algérie nettoie la Libye et le Mali? « Il me semble que l’idée n’est pas déraisonnable en soi, l’armée algérienne étant de l’avis le plus répandu la seule ayant les moyens et le savoir-faire requis pour neutraliser les groupes armés dans le Sahara et le Sahel, nous savons que ces interventions extérieures n’étaient pas prévues auparavant par la Constitution…», a-t-il dit répondu.
L’ex-diplomate souligne toutefois que «si maintenant elles le sont, c’est que l’Algérie en a décidé ainsi », pense-t-il. Cependant «s’il apparaissait que c’est une exigence venant de puissances étrangères, c’est autre chose, si vous sous-entendez que l’exigence pourrait être assortie de menaces ?»
Le Quotidien d’Oran, 25 nov 2020
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