par Abdou BENABBOU
Il est assez curieux que ce soit ceux qui ont un pied dans la vie moderne qui se plaignent le plus de la mal-vie en saisissant la moindre occasion pour pester contre les innombrables déconvenues que subit le pays. C’est que l’Algérie avance ou recule, selon les perceptions des uns ou des autres, avec des cadences non parallèles différentes d’un monde rural où le jour ne s’est pas encore totalement levé et celui urbain où la nuit annonce sa tombée. Les Algériens ne sont pas égaux. C’est un fait.
A moins d’une centaine de kilomètres à peine des grandes cités, des enfants dans leur lourde épopée se farcissent encore tous les jours deux à trois heures de marche, sous la pluie ou sous un soleil brûlant, pour se rendre à leur école sans rechigner. Pour eux et pour leurs parents, le tramway et le métro sont des plaisanteries. Plus loin, très loin dans la profondeur du Sahara, des Algériens bercés par une quiétude à toute épreuve entreprennent des voyages de plusieurs jours à dos de chameaux pour aller puiser on ne sait d’où quelques provisions d’eau. Les populations, de fait, avec leurs perceptions différentes sur l’existence ne voient pas toutes midi à leurs portes pour accorder au temps et aux distances une évidente élasticité. Indépendance et souveraineté adoptent alors une teinture indéfinie pour que le sens de la démocratie soit extensible à l’infini ou exagérément réduit en fonction des trajectoires des vies.
A un vieux campagnard, bien après l’indépendance, on avait demandé ce qu’il pensait de la justice, du développement et de la démocratie. Benoîtement, il s’est contenté de répondre qu’il était d’accord avec tout ce qu’exigerait de lui le général De Gaule. Blague à l’arsenic ou vraie anecdote, elle pourrait illustrer la réalité d’un état des lieux.
La misère ou le bonheur des hommes ne seraient peut-être que des spectres indéfinis puisque de toutes les façons tout a une fin. La tomate à 160 dinars le kilo et la pomme de terre à 100 n’ont pas le même goût partout. Mais érigées en débat national, au centre des inquiétudes, on leur donne une âcreté presque déshonorante. Quand un peuple est sans cesse tenaillé par de tels soucis, c’est qu’il recule au lieu d’avancer.
Le Quotidien d’Oran, 21 avr 2021
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