Comment l’UE doit maintenant changer de cap au Mali

Par Payam Ghalehdar, Ingo Henneberg, Gerrit Kurtz, Robin Schroeder

En 2020, plus de civils ont été tués par les forces de sécurité maliennes que par les djihadistes. Ces forces de sécurité reçoivent une formation aux armes à feu de la Bundeswehr dans le cadre de la mission de formation de l’UE. La mission ne peut pas continuer comme ça, disent quatre experts dans ce commentaire invité.

Depuis 2013, la Bundeswehr forme l’armée malienne dans le cadre de la mission de formation de l’UE (EUTM). L’objectif est de leur permettre de protéger efficacement la population civile, par exemple contre la menace du terrorisme islamiste. Mais la situation sécuritaire s’est massivement détériorée. Particulièrement problématique : en 2020, plus de civils ont été tués par les forces de sécurité maliennes que par les djihadistes. Les forces armées responsables de centaines de violations des droits de l’homme reçoivent donc une formation aux armes à feu de la part des forces armées allemandes. Il est donc grand temps de changer de cap et de lier plus étroitement la formation au Mali aux réformes visibles du secteur de la sécurité.

EUTM Mali est confronté à plusieurs dilemmes majeurs à la fois : Le Mali a besoin de forces de sécurité efficaces, acceptées par la population, et d’un gouvernement civil qui les contrôle. Cependant, une grande partie de l’armée malienne est continuellement déployée, et sa reconstruction mobiliserait beaucoup de capacités. La formation aux compétences militaires de base est donc plus facile à mettre en œuvre que les réformes structurelles. Mais sans, par exemple, un système de ressources humaines fonctionnel, le Mali ne peut pas organiser efficacement son armée et l’EUTM ne peut pas enregistrer ses succès en matière de formation. Même une formation occasionnelle aux droits de l’homme en classe, comme c’est le cas actuellement, ne peut remédier aux déficits structurels tels que l’impunité et la corruption.

L’UE est frustrée par la stagnation du processus de réforme et le succès limité de son engagement coûteux. Le gouvernement malien, quant à lui, est confronté à des exigences toujours nouvelles de la part de l’UE, qu’il peut difficilement satisfaire en raison de la faiblesse des structures étatiques. Pourtant, les intérêts européens et maliens – paix, stabilité, développement – sont fondamentalement complémentaires : l’empiètement des forces de sécurité éloigne encore plus la population du gouvernement et encourage l’afflux de groupes armés. En revanche, les forces de sécurité qui protègent systématiquement la population renforcent la confiance dans l’État. Et un environnement plus sûr permet la mise en place de projets d’aide civile et le retour d’un gouvernement local.

L’UE et le Mali devraient donc conclure un accord sur des engagements conjoints et une responsabilité mutuelle pour la formation et la réforme des forces de sécurité. La logique devrait être de lier la prestation de formation à des progrès concrets en matière de réforme du secteur de la sécurité. Ces réformes devraient porter sur trois domaines essentiels : un système de ressources humaines et de logistique plus transparent, la lutte contre l’impunité et le contrôle parlementaire des forces armées.

Les deux parties devraient convenir d’indicateurs contraignants et de repères qualitatifs sur la manière, le moment et l’ampleur des progrès dans ces domaines et sur la manière de traiter l’absence de progrès. Dans ce dernier cas, l’EUTM pourrait suspendre progressivement les unités d’entraînement en fonction du risque d’abus, par exemple l’entraînement au combat offensif avant l’entraînement au commandement, à la médecine ou à la logistique.

Compte tenu de la situation actuelle, l’UE devrait, dans un premier temps, réduire sa formation jusqu’à ce que la mise en œuvre des réformes soit clairement démontrée. Par la suite, si les progrès sont clairement définis, des incitations positives telles que l’accompagnement des forces en formation sur le terrain sont envisageables. L’UE devrait également communiquer son approche de manière transparente à la population malienne et l’impliquer dans l’évaluation des réformes.

L’occasion de le faire est favorable. Pas plus tard que le 19 mars, la Coalition internationale pour le Sahel, dont l’UE est membre, a convenu que des jalons et des mécanismes de révision définis conjointement devraient garantir le respect mutuel des accords dans le cadre du soutien aux États du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad). Cette décision pourrait constituer la base des mesures proposées ici en faveur d’une réforme sécuritaire plus durable au Mali. À cette fin, tous les États membres de l’UE doivent unir leurs efforts.

Les auteurs sont des politologues. Payam Ghalehdar est chercheur à la Georg-August-Universität de Göttingen, Ingo Henneberg à la Freie Universität de Berlin, Gerrit Kurtz pour le Conseil allemand des relations étrangères et Robin Schroeder à l’université de Leiden.

Welt, 8 avr 2021

Etiquettes : Mali, Sahel, Union Européenne, UE, Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Tchad, G5, Barkhane, MINUSMA,

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