par Nawal Imès
Le cinquième comité intergouvernemental de haut niveau devait donner la mesure du réchauffement des relations entre Paris et Alger. Son report vient rappeler l’ampleur du poids des dossiers en suspens mais également la particularité des relations pouvant être compromises par une déclaration jugée offensante ou le format d’une délégation ne répondant pas aux attentes.
Nawal Imès – Alger (Le Soir) – Le Premier ministre français était attendu à Alger ce dimanche. Jean Castex ne viendra finalement pas. Sa visite a tout simplement été annulée. Une annulation « surprise », ont unanimement commenté les médias français. Ce déplacement devait s’effectuer dans le cadre du comité intergouvernemental de haut niveau. C’est le second report après celui décidé en décembre dernier. Officiellement, c’est la faute au contexte sanitaire puisque les services du Premier ministre français ont fait savoir jeudi que la rencontre « est reportée à une date ultérieure, lorsque le contexte sanitaire sera plus favorable».
Une explication politiquement correcte qui évite d’évoquer les véritables raisons de l’annulation d’un rendez-vous qui devait traduire la volonté des chefs d’État algérien et français de relancer des relations rarement apaisées. Le comité intergouvernemental qui devait se tenir ce dimanche, mis en place en 2012 à l’occasion de la visite du Président français de l’époque, François Hollande, est un cadre de discussions.
Présidé par les Premiers ministres des deux pays, il constitue un cadre permettant de traiter des questions politiques et économiques. Jean Castex et Abdelaziz Djerad devaient, ce dimanche, aborder « tous les volets de la relation bilatérale, économique, sécuritaire, éducation et culture » et signer « des accords dans quelques domaines de coopération ». Il n’en sera finalement rien. Si la partie algérienne s’est abstenue de commenter ce report, certains médias français ont avancé quelques pistes qui pourraient expliquer, en partie, pourquoi un rendez-vous qualifié d’important s’est transformé en ratage. Ils évoquent ainsi le « format » de la délégation française, réduit officiellement en raison de l’épidémie mais également la durée de la visite. Cette dernière devait initialement durer deux jours pour ne finalement être programmée que pour une seule journée. Des changements qui n’ont pas été du goût de la partie algérienne qui espérait une délégation plus étoffée, à la hauteur de l’événement et non pas la présence de « seulement » quatre ministres français alors que de nombreux dossiers étaient à l’ordre du jour.
En 2017, à l’occasion de la tenue de la même réunion à Paris, ce ne sont pas moins de huit ministres algériens qui avaient fait le déplacement. Les médias français n’ont pas manqué également d’évoquer les déclarations du ministre du Travail et de la Sécurité sociale tenues ce jeudi. Alors qu’il comparaît les deux systèmes de retraite, algérien et français, El Hachemi Djaâboub n’a pas hésité à qualifier la France d’ «ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie.
Une déclaration faite à la veille d’une visite désormais compromise et qui avait été précédée par celle du chef d’état-major des armées français. Le général François Lecointre avait été reçu par Saïd Chanegriha qui a sollicité le soutien de la France « pour la prise en charge définitive des opérations de réhabilitation des sites de Reggane et In Ekker » mais également « une assistance » pour fournir à l’Algérie « les cartes topographiques permettant la localisation des zones d’enfouissement, non découvertes à ce jour, des déchets contaminés, radioactifs ou chimiques ».
Un dossier qui continue d’empoisonner les relations algéro-françaises et dont le règlement est loin d’être acquis. Mais ce n’est pas le seul, l’Algérie et la France peinent à définitivement fermer le dossier de la mémoire qui est régulièrement instrumentalisé des deux côtés de la Méditerranée.
Le récent rapport de Benjamin Stora, présenté dans un premier temps comme le début d’une nouvelle ère, a finalement été une source de déception et les questions liées à la mémoire font toujours autant polémiques.
Entre Alger et Paris, les enjeux sont également économiques. Totalement dépendante des exportations pour satisfaire ses besoins en blé, l’Algérie a longtemps eu comme premier fournisseur la France. La position dominante de la France est, cependant, menacée par la volonté d’Alger de diversifier ses fournisseurs en se tournant par exemple vers la Russie. Une perspective loin de ravir les autorités françaises qui ont également du souci à se faire au sujet de Suez en passe de perdre le marché de la gestion de l’eau qui prend fin en août 2021 et qui ne sera très probablement, pas renouvelé. Pour minimiser les dégâts, le groupe français essaie de négocier un contrat de consulting technique avec le partenaire algérien.
Aux questions purement économiques, s’ajoutent celles liées à la circulation des personnes, très souvent utilisée comme une carte de pression. Paris a réduit de manière drastique le nombre de visas octroyés aux demandeurs algériens sans compter la difficulté qu’ont les deux pays à avoir la même vision sur le règlement des conflits dans la région du Sahel. Alors qu’Alger défend le principe de non-ingérence et soutient l’indépendance du Sahara Occidental, la France n’hésite pas à s’engager militairement dans la région sans compter les jeux de coulisses qui ne sont pas toujours en faveur des intérêts algériens.
Autant de contentieux latents ou ouvertement assumés qui empêchent l’Algérie et la France de dépassionner le débat et d’envisager des relations plus sereines.
Le Soir d’Algérie, 10 avr 2021
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