Sahara Occidental : Les déclarations de Trump n’engagent que lui-même (ancien diplomate)

 

L’ancien ambassadeur Noureddine Djoudi au Jeune Indépendant : «LA DÉCISION DE TRUMP NE PEUT ENGAGER QUE LUI-MÊME»
Les derniers développements qui ont marqué la scène internationale, notamment la déclaration du président américain sortant, Donald Trump, reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental pendant que les combats se poursuivent dans ce territoire occupé depuis 1975, ont suscité de vives indignations comme ils ont ouvert la voie à de nouvelles lectures au sujet des incidences de cet événement dans les rapports internationaux. Selon le diplomate et ancien ambassadeur Noureddine Djoudi, la décision de Trump ne peut engager aucune autre personne ou entité que lui-même et s’inscrit aux antipodes des traditions américaines. 
En diplomate chevronné, décoré par le gouvernement sud-africain pour son rôle en tant qu’ambassadeur dans la promotion des liens entre Alger et Pretoria, M. Djoudi livre dans cet entretien au Jeune Indépendant une lecture succincte sur ces récents développements et leur implication s’agissant des relations entre les Etats-Unis et ses partenaires maghrébins. Ce diplomate, rompu aux étourdissantes tractations en coulisses depuis les années 1960, révèle que la diplomatie algérienne était parfaitement au courant de ce qui se tramait entre le locataire sortant de la Maison-Blanche et l’Administration du Makhzen. 
Quant à la ligne diplomatique de Paris, allié stratégique de Rabat, elle ne changera pas, sauf contrainte face à la vague de dénonciation mondiale suscitée par une telle sortie, estime-t-il. Cet ancien ami de la légende sud-africaine Nelson Mandela juge nécessaire pour la diplomatie algérienne de travailler, désormais, sur une nouvelle vision intégrant tous les éléments actuels ainsi que d’éventuels développements à l’avenir, dans le cadre des enjeux géopolitiques et de la nouvelle reconfiguration des relations internationales. 
Le Jeune Indépendant : La décision de Trump de reconnaître la «marocanité» du Sahara occidental constituera-t-elle un engagement définitif et obligatoire pour les administrations qui vont lui succéder, notamment celle de Joe Biden ? 
Noureddine Djoudi : La décision de Trump ne peut engager aucune autre personne ou entité que lui-même. Cet acte, contraire aux traditions américaines, n’engage nullement le 46e Président, Joe Biden, qui peut et devrait l’annuler. En effet, de nombreuses voix de personnalités influentes, y compris au sein de son propre Parti républicain, ont déclaré publiquement que non seulement cette décision est contraire aux pratiques habituelles, et ce jusqu’au 20 janvier, mais elle nuit considérablement à l’image de marque des Etats-Unis dans le monde. 
Pensez-vous que l’annonce de cette décision ferait capoter les efforts diplomatiques de la France en tant qu’allié stratégique du Maroc, partenaire économique de l’Algérie et membre du Conseil de sécurité? 
La position officielle du gouvernement français est connue, c’est celle préconisée par certains lobbies qui soutiennent inconditionnellement les thèses marocaines pour bloquer, au Conseil de sécurité toute initiative de règlement du problème sahraoui sur la base de la résolution 1514 (XV) et des résolutions du Conseil de sécurité concernant un référendum libre et sans entrave au Sahara occidental. La diplomatie française ne pouvait souhaiter, tout bas, meilleure déclaration, sauf qu’elle est contrainte officiellement de se conformer à la légalité internationale telle qu’affirmée par les résolutions pertinentes des Nations unies en la matière. La décision de Trump de «marocaniser» le Sahara, en échange de l’officialisation par le Makhzen de ses relations avec l’entité sioniste ne peut en aucune manière changer sa ligne diplomatique actuelle, sauf forcée et contrainte par la vague d’indignation exprimée partout dans le monde. 
Quel sera l’impact de cette décision sur le conflit du Sahara occidental. Y aura-t-il des pays qui vont retirer leur reconnaissance à la RASD ? 
Certains pays, «persuadés»par la diplomatie immorale du Makhzen qui use de la corruption pour l’achat des voix, ont parfois accepté de soutenir la «marocanité du Sahara» en ouvrant des consulats en territoire occupé. L’ex-Swaziland a révélé officiellement la tentative par le Maroc de corrompre son ex-ministre des Affaires étrangères, limogé d’ailleurs pour cela. La déclaration de Trump ne saurait donc avoir un impact réel sur la reconnaissance de la RASD, d’autant que l’éventuelle annulation de cette décision par la nouvelle Administration à Washington ne peut qu’inciter certains à la prudence. 
Notre diplomatie a-t-elle pu prévenir une telle évolution dans la forme annoncée, à savoir le deal conclu entre les trois parties ? 
Notre diplomatie avait-elle les moyens de s’opposer à un Trump que ses alliés européens eux-mêmes considéraient comme «incontrôlable» ? Ni les grandes puissances ni les Nations unies ne pouvaient s’opposer à l’influence d’Ivanca, fille adorée de Trump, et de son mari Jared Kushner, sionistes avérés au service d’Israël et de ses complices au Moyen-Orient. Notre diplomatie était parfaitement au courant de l’évolution future et probable des actions du locataire provisoire de la Maison Blanche et ne se faisait aucune illusion sur les futurs traîtres à la cause palestinienne. Mais la légende de David et Goliath ne peut se réaliser face aux réalités du moment. Et c’est bien pourquoi, aujourd’hui, la priorité revient aux capacités de défense du pays à travers les grandes capacités humaines et matérielles de l’Armée nationale populaire, soutenue par un peuple patriote et prêt à tous les sacrifices. Cela ne signifie nullement que notre diplomatie est inactive. Elle agit en soutien à notre détermination de faire face aux menaces actuelles. 
Quelle sera notre action à l’avenir ?Et est-ce que l’Algérie va changer de paradigme et de vision diplomatique en tenant compte de ces développements ou restera-t-elle confinée dans sa politique étrangère entretenue jusque-là ? 
C’est justement pour cela que notre diplomatie doit travailler sur une nouvelle vision de l’avenir à court, moyen et long terme, en intégrant tous les éléments actuels et ce à qu
oi l’on doit s’attendre de l’évolution future du monde. «Gouverner c’est prévoir», dit l’adage. L’expérience de notre Révolution nous rappelle que l’atteinte de l’objectif ne passe pas nécessairement par une victoire militaire écrasante sur un ennemi puissant mais par une diplomatie qui force l’ennemi à s’asseoir à la table de négociations, où il sera contraint de renoncer à ses desseins hégémoniques. Parallèlement à une action immédiate, au vu des menaces réelles d’aujourd’hui, il y a lieu de reprendre l’initiative en Afrique qui constitue notre profondeur stratégique. Par ailleurs, il ne faudra jamais perdre de vue que du fait de notre position au croisement de l’Afrique, de l’Europe et du Moyen-Orient, l’Algérie constitue pour les grandes puissances le passage obligé pour l’Afrique et le monde arabe. Sur le plan international, l’image de marque de notre pays et la reconnaissance de l’importance de sa voix dans le concert des nations dépendra d’une diplomatie active qui s’appuie sur les réformes d’une Algérie nouvelle. La diplomatie de combat qui fut la nôtre dans toutes les crises et les défis auxquels notre pays a dû faire face dans un passé récent doit reprendre la place qui lui est due dans un monde en perpétuelle évolution.   
Avec les nouveaux développements, il y aura une nouvelle donne, à savoir la présence d’Israël à nos frontières. Comment l’Algérie compte-t-elle composer avec cette réalité ? 
Effectivement, Israël n’a plus besoin d’infiltrer une cinquième colonne dans notre pays. L’entité sioniste est aujourd’hui à nos frontières. Elle l’était déjà par le biais du fameux «mur de la honte», mur de sable conçu par Ehud Barak et construit au Sahara occupé, au plus près de notre frontière ouest. Elle l’est aussi par la construction, au profit des Forces armées royales marocaines, d’une base à moins de 30 kilomètres de la même frontière. Elle l’est enfin par l’introduction, par des «trabendistes», de drogue, de psychotropes et de produits cosmétiques, alimentaires ou pharmaceutiques Made in Israël sous l’étiquette «Produits au Maroc». Ce n’est pas pour rien que l’ANP a pris des mesures radicales pour assurer la défense de notre frontière ouest. L’établissement de relations officielles, autant politiques qu’économiques et militaires entre le Maroc et Israël donne aujourd’hui au sionisme le moyen de menacer directement notre pays, qui est considéré, comme l’avait affirmé Moshé Dayan et l’affirme encore aujourd’hui Benjamin Netanyahu,»(…) la cible ennemie privilégiée». Cette nouvelle donne ne constitue qu’un maillon de plus dans un large projet d’encerclement de l’Algérie, et ce par la volonté avérée d’Israël d’établir des ambassades et des bases dans tous les pays voisins de notre pays. Israël et ses «amis», qu’ils soient arabes ou africains, se rendront compte qu’ils commettent la lourde erreur de tabler sur la faiblesse et les prétendues antagonismes arabes-berbères tels qu’imaginés par le MAK du renégat Mehenni. L’avenir prouvera que l’Algérie du million et demi de martyrs a toujours su, des millénaires durant, et saura relever, aujourd’hui, tous les défis et opposer sa résistance légendaire face à toutes les menaces, d’où qu’elles viennent. La mémoire de nos martyrs victimes des crimes innommables du colonialisme et celle des martyrs de la glorieuse révolution de Novembre nous commande de nous unir dans l’adversité. 
Entretien réalisé par Aziza Mehdid

Le Jeune Indépendanr, 17 déc 2020

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