L’Espagne ne peut pas rester à l’écart des développements drastiques qui ont lieu sur les terres de son ancienne colonie adjacente du Sahara Occidental. Il est clair que le Maroc cherche à impliquer des puissances extérieures dans un jeu géopolitique pour compliquer la solution du conflit. Cependant, les obligations de l’Espagne en tant que puissance administrante du territoire lui permettent de plaider pour l’application du droit international afin d’éviter toute escalade dans la région et de sauvegarder ses intérêts.
Une initiative opportune visant à pousser le gouvernement espagnol à se conformer à ses obligations envers la décolonisation du Sahara Occidental, a été signée par la majorité des partis politiques représentés au Sénat espagnol le 10 mars, exhortant leur gouvernement à « faciliter activement la réalisation d’une solution politique au conflit du Sahara Occidental ». Dans une motion, promue par le sénateur PNV, Luis Jesús Uribe-Etxabarria, les groupes ont souligné que la résolution du conflit du Sahara Occidental « est essentielle pour la coopération régionale entre les pays du Maghreb et la stabilité, la sécurité et la prospérité de la région. » Plusieurs porte-parole des groupes ont confirmé la « responsabilité historique » du gouvernement de l’Espagne qui continue à être la puissance administrante du Sahara Occidental alors que l’ONU le considère comme un territoire non autonome en attente de décolonisation, ce que le gouvernement de l’Espagne a rejeté à plusieurs reprises.
Cette initiative recoupe les appels constants du front Polisario, en tant que représentant légitime du peuple sahraoui, pour que le gouvernement de l’Espagne corrige son erreur historique qui a conduit à beaucoup de souffrance pour le peuple sahraoui depuis plus de 45 ans. En 1975, l’Espagne était sur le point de transférer tous les pouvoirs dans le territoire au Polisario sur la base d’un accord entre eux. En revanche, l’Espagne a poignardé le peuple sahraoui dans le dos en s’accordant avec le Royaume du Maroc pour envahir le Sahara occidental, en violation flagrante du droit international et des résolutions des Nations unies et de l’Organisation de l’unité africaine, prédécesseur de l’Union africaine. Néanmoins, le Front Polisario continue de saluer toute initiative de la part de l’Espagne qui ferait avancer le processus de décolonisation au Sahara occidental.
La motion « reconnaît que l’Espagne a un lien historique et affectif dans le conflit politique au Sahara Occidental », par conséquent elle « demande au gouvernement espagnol de soutenir activement et de faciliter au sein de l’ONU, de l’UE et du reste des organisations internationales une solution politique en accord avec le droit international et les résolutions de l’ONU. »
Si les sénateurs ont appelé à la « reprise de pourparlers permanents, crédibles et constructifs sous la direction des Nations Unies », ils ont souligné la nécessité d’une « feuille de route efficace, avec des objectifs concrets et des échéances claires. » Ils sont convaincus que « seuls le dialogue, la négociation et l’accord menés de bonne foi et de manière constructive, conformément au droit international et aux résolutions de l’ONU, sont le seul moyen de parvenir à la paix, à la coexistence, à la confiance, à la sécurité et au progrès économique et social dans la région. »
La reconnaissance par les groupes politiques du Sénat que la responsabilité de l’Espagne consiste à donner au peuple sahraoui son droit inaliénable à l’autodétermination, une question qui devrait être évidente dans le discours politique espagnol, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le gouvernement espagnol insiste toujours pour ignorer cette responsabilité, en lançant vaguement la balle dans le but de l’ONU. La ministre des affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, a tourné le dos à ces voix en déclarant simplement, lors d’une interrogation au Sénat espagnol, que « l’Espagne ne promouvra pas une solution concrète, mais soutiendra les efforts des Nations unies pour trouver une solution mutuellement acceptable. » Il semble que l’Espagne, comme d’habitude, parle à peine du Sahara Occidental pour que Paris et Rabat ne se mettent pas en colère !
Le peuple sahraoui est fatigué d’attendre un référendum que les Nations Unies ne semblent pas vouloir organiser. L’ONU n’a pas encore condamné la violation par le Maroc du cessez-le-feu à Guerguerat le 13 novembre dernier, ce qui est compris comme une sorte de collusion contre les droits du peuple sahraoui. Il ne fait aucun doute que l’escalade peut coûter de nombreuses vies et aura des répercussions sur la région, mais cela vaut peut-être mieux qu’une mort lente et impitoyable en attendant le mirage d’une solution politique.
Le Maroc n’a pas réussi à prouver ses revendications sur le Sahara Occidental, il a donc recouru au troc, espérant que cela aiderait à retarder son départ imminent. Son accord du 10 décembre avec l’administration américaine de Trump pour reconnaître sa souveraineté sur le territoire n’a aucun effet juridique, mais seulement pour surenchérir sur la position de l’Union européenne et faire chanter l’Espagne en particulier pour qu’elle prenne une mesure ignoble comme celle qu’elle a prise en 1975. L’actuelle crise diplomatique maroco-allemande s’inscrit dans le cadre d’un plan d’extorsion poursuivi par le Maroc pour imposer ses thèses. Mais l’Allemagne persiste à défendre l’application de la légalité internationale au Sahara occidental et critique la décision de Trump.
Il existe une intention claire de la part du Maroc de restreindre l’Espagne, non seulement par le biais de vagues de migration illégale ou de bandes de trafiquants de drogue, mais aussi en changeant la nature du partenariat dans la région afin de resserrer son contrôle des deux côtés de l’Atlantique et de la Méditerranée. Ainsi, le Royaume du Maroc hypothèque le Sahara occidental à des pays tels qu’Israël et les EAU en échange de sa protection.
Dans ce contexte, le gouvernement espagnol doit bien ouvrir les yeux et se libérer du cauchemar de la peur franco-marocaine toujours présente. Les deux voisins ont profité de la vulnérabilité de l’Espagne en 1975, lors de la mort du général Franco et de la période de transition, pour contraindre le gouvernement de l’époque à abandonner le Sahara occidental, laissant derrière lui le processus incomplet de décolonisation du territoire. Mais les choses ont changé. Aujourd’hui, l’Espagne n’a aucune excuse pour ne pas être aux côtés du peuple sahraoui dans sa lutte pour la libération des territoires occupés par le Maroc.
L’expérience du Portugal au Timor Oriental est un véritable exemple que l’Espagne doit adapter pour sauver la situation au Sahara Occidental, étant donné que les deux problèmes sont similaires. Le peuple sahraoui a grand besoin d’un cri fort de la part du gouvernement de l’Espagne afin d’accélérer le référendum d’autodétermination pour éviter la tragédie de la guerre qui a éclaté à nouveau et qui aura sans aucun doute des répercussions très graves sur toute la région de l’Afrique du Nord et du Sahel. L’Espagne est appelée à intervenir rapidement pour protéger les civils sahraouis qui sont soumis à une répression brutale sans précédent dans les territoires occupés du Sahara Occidental, comme le cas de Sultana Sid Brahim Khaya et de sa famille. De même, le gouvernement espagnol est appelé à sauver la vie du journaliste sahraoui prisonnier, Mohamed Lamin Haddi, qui risque la mort suite à sa grève de la faim en protestation contre les mauvais traitements dans la prison marocaine de Teflet2.
Il n’est pas nécessaire de rappeler aux peuples, aux partis politiques et au gouvernement espagnol, en vertu de leur étroite coexistence, que le peuple sahraoui est pacifique et garde ses bons voisins, car ils le savent très bien. Mais le Royaume du Maroc a toujours été la source de tous les malheurs, et il est la raison derrière l’instabilité dans la région. Dans ce cas, prendre le bâton du milieu est la position la plus dangereuse que l’on puisse prendre, comme c’est le cas pour le gouvernement espagnol.
Il existe de nombreux facteurs qui peuvent aider l’Espagne à jouer un rôle central dans la résolution de la question du Sahara Occidental :
1. Le large soutien international pour l’application de la légalité internationale au Sahara occidental, accompagné d’une forte critique de la décision de Trump de ses derniers jours au pouvoir.
2. La force du droit, la Cour européenne de justice ayant renouvelé à plusieurs reprises ses arrêts conformément à la Charte et aux résolutions de l’ONU et aux avis consultatifs de la Cour internationale de justice en 1975 et du sous-secrétaire général de l’ONU aux affaires juridiques, Hans Corell, en 2002. La CJCE a conclu que le Royaume du Maroc et le Sahara Occidental sont deux territoires distincts.
3. Que le peuple du Sahara Occidental a été capable de résister à toutes les tentatives visant à contourner ses droits légitimes. Récemment, ils ont célébré le 45ème anniversaire de la proclamation de la RASD (République arabe sahraouie démocratique) à la lumière de grands acquis, auxquels s’ajoute la réalité irréversible de l’Etat sahraoui, qui jouit d’une position prestigieuse au sein de l’Union africaine.
Il ne fait aucun doute qu’un État indépendant de l’autre côté de l’Atlantique renforcera les intérêts de l’Espagne, car elle sera le principal bénéficiaire du Sahara occidental après le conflit. La plupart des défis auxquels l’Espagne est confrontée, en particulier ceux liés à la sécurité nationale, à la migration et à la pêche, disparaîtront avec un État indépendant sur ce territoire. Il est grand temps pour le gouvernement espagnol d’annoncer son soutien à la lutte légitime du peuple du Sahara Occidental pour l’autodétermination et l’indépendance. L’Espagne aurait alors ouvert la voie à la décolonisation complète de son ancienne colonie.
Deich Mohamed Saleh
Libres Opinions, 24.03.21
Tags : Sahara Occidental, Maroc, Espagne, Front Polisario,
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