8 mai 1945: Un crime contre l‘humanité toujours impuni – Algérie, France, massacre, manifestations, colonisation,
« Le peuple était partout, à tel point qu’il devenait invisible, mêlé aux arbres, à la poussière, et son seul mugissement flottait jusqu’à moi ; pour la première fois, je me rendais compte que le peuple peut faire peur ».
Ces phrases sont reprises du magnifique roman Nedjma de Kateb Yacine. Un roman, d’une grande fébrilité et d’un immense apport historique, qu’il avait écrit dans les locaux du célèbre journal Alger Républicain. Le grand poète-dramaturge a été parmi les grands témoins qui ont su laisser une image indélébile de l’atrocité du colonialisme. La grande Histoire de l’Algérie est celle des hommes et des femmes, mais elle est également celle des dates qui marqueront à jamais un grand tournant dans notre pays. 77 ans après les évènements d e 8 Mai 1945, le peuple algérien, malgré les générations passées, se souvient encore de cette date. Comme si cela s’était produit hier, le 8 Mai 1945 est sans aucun doute l’une des révoltes populaires qui a marqué à jamais les esprits. Avec ces évènements, le peuple algérien a découvert qu’il avait en lui une force incommensurable et il a pris conscience que la solidarité populaire peut faire plier n’importe quel joug, colonial soit-il, ou dictature. Pour preuve, dans la même oeuvre de Kateb Yacine, l’auteur écrit : « Et la foule se mit à mugir : attendre quoi ! Le village est à nous, vous les riches, vous couchez dans les lits des Français. Et vous vous servez dans leurs docks. Nous, on a un boisseau d’orge et nos bêtes mangent tout. Nos frères de Sétif se sont levés. » En ce jour commémoratif, les souvenirs remontent à la surface. De douloureux souvenirs qui reviennent en mémoire.
Tandis que le monde entier fêtait dans l’allégresse la défaite de l’Allemagne, les populations algériennes vivaient une répression féroce et sanguinaire de la soldatesque coloniale, appuyée dans sa triste besogne par les colons qui n’ont pas fait dans le détail dans l’horreur. En ce jour du 8 Mai 1945, c’est jour de marché à Sétif. Un marché bariolé comme tout marché « indigène » où se pressaient des centaines de personnes des bourgades et hameaux environnants.
Une journée ensoleillée et particulière. Un évènement bien particulier devait se dérouler ce jour-là. Quelques jours auparavant, le Parti du peuple algérien (PPA) et les Amis du manifeste et de la liberté (AML), créé par Ferhat Abbas en mars 1944, avaient lancé un appel à une manifestation pacifique qui devait coïncide avec la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Il s’agissait d’organiser une marche entre la mosquée de la gare et le Monument aux morts pour y déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des Algériens conscrits de force et qui moururent durant la Seconde Guerre mondiale sous l’uniforme de l’armée française. Mais pour la population sétifienne, la procession devait être mise à profit pour lancer un cri de liberté, pour demander à la France de tenir sa promesse, consignée dans l’additif au Manifeste du peuple algérien approuvé par le gouverneur général, Marcel Peyrouton, prévoyant la création d’un état algérien à la fin de la guerre et la participation immédiate des représentants musulmans au gouvernement de l’Algérie. Il est tôt, en ce 8 Mai 1945.
À Sétif, la manifestation autorisée commence à envahir les rues dès 8 h. Plus de 10.000 personnes, chantant l’hymne nationaliste Min Djibalina défilent avec des drapeaux des pays alliés vainqueurs et des pancartes « Libérez Messali », « Nous voulons être vos égaux » ou « À bas le colonialisme ». Ce fut comme un appel à l’insurrection puisque des dizaines, bientôt des centaines « d’indigènes » qui n’étaient là que parce que c’était jour de marché rejoignent la foule, faisant grossir le cortège qui comprendra, à l’amorce du boulevard Georges-Clémenceau, entre 20.000 et 25.000 personnes, rapporte un témoin. À 8 h 45 surgissent des pancartes « Vive l’Algérie libre et indépendante » et en tête de la manifestation.
Aïssa Chéraga, chef d’une patrouille de scouts musulmans, arbore le drapeau algérien. Tout dérape alors : devant le Café de France, le commissaire Olivieri tente de s’emparer du drapeau, mais est jeté à terre. Des Européens en marge de la manifestation, assistant à la scène, se précipitent dans la foule. Un jeune homme, Bouzid Saâl, s’empare du drapeau algérien mais est abattu par un policier. Un tir de révolver qui allait donner le signal à une répression aussi sauvage qu’aveugle qui fera, durant plusieurs jours, des dizaines de milliers de morts, à Sétif, mais également dans les localités et les dechras voisines, à El-Eulma, à Aïn el-Kebira, à El- Ouricia, puis à Kherrata et jusqu’à Guelma. Ce coup de révolver était l’oeuvre du commissaire Lucien Olivieri. La balle atteindra mortellement Bouzid Saâl, alors âgé de 22 ans, qui refusait obstinément de baisser son étendard. Un coup de feu aux grandes conséquences car il signa le début de la répression, donnant libre cours aux enfumages, aux tueries aveugles et au basculementd’Algériens vivants dans le vide, du haut de la route longeant les gorges de Kherrata. Même scénario à Guelma.
Selon des témoignages, la répression, menée par l’armée et la milice de Guelma, a été d’une incroyable violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas. La mémoire algérienne, elle, retiendra le chiffre de 45.000 morts.
Par : KAHINA HAMMOUDI
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