Omar Brouksy : Le Maroc vit une éternelle transition

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Question : D’où vient ce dédain que nourrissent à la fois Hassan en son temps et acttuellement Mohammed VI envers les journalistes marocains alors que les deux monarques ont toujours accepté d’accorder des interviews à des journalistes étrangers ?

Réponse : Chaque roi a sa stratégie de communication. Le roi Hassan II était un très bon communicateur. Il adorait s’afficher, s’exhiber même, devant les journalistes, surtout les journalistes occidentaux. Essentiellement, les journalistes occidentaux. Américains et européens. Contrairement à son père, Mohammed VI a ses problèmes de communication. Il n’a jamais accordé d’interview au public. Jamais. Il n’a jamais tenu de conférence de presse. Jamais. La seule façon de communiquer directement avec le peuple, ce sont ses discours qui sont lus, comme vous le voyez, difficilement. C’est un aspect de sa personnalité. Ça nous étonne. Comment se fait-il qu’un roi qui était destiné à gouverner ne soit préparé à ce niveau-là. C’est étonnant. Assez curieux. Mais il y a un aspect commun entre les deux. C’est qu’ils n’ont jamais accordé un entretien à un journaliste ou un organe de presse marocains.

Je pense, et je l’ai écrit dans mon livre, que c’est par mépris envers les marocains. C’est une forme de mépris. Le roi considère toujours que les marocains ne sont pas des citoyens, ce sont des sujets. Dans sa logique, il n’est pas admissible qu’un roi se mettre à table et qu’un sujet ose lui poser des questions et de rebondir et de lui demander des comptes. Pour lui, ça porterait atteinte à que j’appelle « el hiba », c’est à dire cette forme de prestige et de crainte qui est le propre des systèmes autoritaires orientaux.

Q : Dans votre livre, trois événements marquants qu’auraient accomplis Mohammed VI et qui aurait permis à une majorité de marocains de croire en sa bonne foi dans cette volonté de transition démocratique. Ces trois points sont le limogeage de Basri, le retour de Serfaty et la fin de l’assignation à résidence de Cheikh Yassine. Ce sentiment de changement était-il unanime ? Si oui, quand, selon vous, ce sentiment, aurait-il pris fin ?

R: Il était quasiment unanime. La preuve c’est que, même moi j’étais naïf d’y croire. A l’époque, j’ai commencé au jours. Si vous lisez le numéro du Journal de cette époque, Le Journal, qui était le journal d’opposition phare, d’indépendance, on faisait des éloges de M6. Pour nous, c’était le Juan Carlos du Maroc. Ça, je le reconnais. On a été un peu naïfs, mais on n’était pas les seuls. Parce qu’on avait tellement envie que ce Maroc change qu’on y a cru. Quand vous avez beaucoup d’attentes, vous pouvez croire à quelqu’un. Il suffit que quelqu’un vous donne quelques petits signes pour que vous puissiez le croire. C’est vrai, il avait donné des signes. En plus de sa simplicité. On voyait que ça démarre, il était simple, il sortait, il effectuait des voyages dans des bleds très éloignés où son père n’avait jamais mis les pieds.

Tout cela nous avait fait croire qu’il y aurait un changement important. Il y avait les trois actes que vous citez. Le retour de Serfaty, la fin de l’assignation à résidence du Cheikh Yassine et le limogeage de Driss Basri. Ça nous a encore renforcé dans nos illusions.

Pour moi, à partir de 2003. Au lendemain des attentats de Casablanca, que les choses ont commencé à se gâter. Avec l’emprisonnement du journaliste Ali Lmrabet, avec la répression des militants, le début des boycotts publicitaires et de l’asphyxie financière des journaux indépendants, notamment Le Journal. Jusqu’à sa fermeture en 2010 asphyxié financièrement. Je pense que 2003 était vraiment l’année de la « bénalisation » du régime de Mohammed VI.

Q: Dans les pages 21 et 34, nous lisons respectivement ceci : « Même s’il se présente comme le bon Kalife entouré de mauvais vizirs, et un roi muet mais un roi en mouvement ». Ces phrases ne sont-elles pas, in fine, le reflet de cette éternelle transition démocratique entamée depuis l’indépendance en 1956 ?

R: Oui, c’est un éternel recommencement. J’étais un peu conscient politiquement lors de la fin du règne de Hassan II. Je commençais à prendre conscience de la réalité politique. J’ai l’impression qu’on fait croire aux générations à un éminent changement, l’alternance, la transition. Il y a des périodes qu’on fait croire aux marocains que ça va venir, on est en éternelle transition, en éternelle alternance… ça permet, dans la stratégie du régime, de durer. Depuis plus de 30 ans j’entends qu’on est en voie de démocratisation et nos parents nous disent « nous aussi, on entendait ça. ,Il faut laisser les choses aller, on est en voie de démocratisation, comme lorsqu’on entend qu’on est en voie de développement ». C’est la même chose. Ça fait des siècles qu’on dit « les pays en voie de développement, est-ce qu’ils sont encore arrivés ? Je ne sais pas. Tout ce chemin !

Oui, j’ai le malheur d’être le dernier rédacteur en chef de ce journal après avoir été longtemps journaliste et responsable de la rubrique politique du Journal. C’est une expérience professionnelle qui a duré près de 10 ans. De ma vie. C’est mon premier job. Jusqu’en 2010. Toute une vie qui m’a marqué. Un journal qui partait de l’information. On n’était pas un tract politique. La force du Journal, c’est qu’il partait de l’information et l’investigation pour donner des conclusions, défendre des valeurs, les valeurs de laïcité, la démocratie, de la liberté et du droit à toutes les tendances politiques de s’exprimer. Les tendances qui n’appellent pas à la violence, au racisme antisémite. C’était notre seule ligne rouge. Pour moi, il n’y a pas de lignes rouges. Dans ma façon de travailler, pas de lignes rouges. Qu’elle soient religieuses ou politiques. Pour moi, les lignes rouges n’existent pas. La seule ligne rouge, c’est le respect de l’autre

Source: Youtube, 13/11/2021

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