Algérie: L’après-Bouteflika a déjà commencé

L’Algérie assiste aujourd’hui à une succession d’évènements politiques donnant l’impression que le pays s’est déjà projeté dans l’après-Bouteflika.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Le sort de l’Algérie se jouerait-il actuellement à l’étranger ? Loin de l’effervescence des rues algériennes, des manœuvres de dernière minute d’un pouvoir acculé et désirant s’assurer une sortie honorable, deux diplomates bien connus de la communauté internationale s’activent depuis des jours pour vendre à cette dernière les derniers développements de la situation nationale. Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra ont pris en charge l’un des dossiers les plus sensibles de leur carrière. Au profit de qui et à quelle fin ? Les interrogations, légitimes, n’ont pas manqué à ce sujet mais il se trouve que certaines phrases, trop lourdes de conséquences en langage diplomatique pour avoir été prononcées avec légèreté, ont fourni certains éléments d’appréciation de ce qui se déroulerait.

Les faits : Brahimi affirme publiquement sur les ondes de la Chaîne 3 lors d’une émission très écoutée («L’invité du matin») affirme ne pas avoir été mandaté par Bouteflika pour jouer un quelconque rôle. Dans la réalité, il tente d’amorcer un processus de dialogue basé sur une plate-forme de réformes proposées par le Président ami, mais essuie très vite l’image de «médiateur» autoproclamé pour s’engouffrer dans le processus mené par Ramtane Lamamra. Désigné vice-Premier ministre, ce dernier a investi sa fonction de nouveau ministre des Affaires étrangères sans que l’annonce officielle de sa nomination ait été faite, et a entrepris, depuis, un périple durant lequel les Algériens ont pu apprendre certaines vérités. L’essentiel de son message a été transmis à Moscou. Répondant aux questions de la presse internationale, ce dernier affirme que «Bouteflika avait accepté de passer le flambeau au prochain Président qui sera élu».

Lamamra remet aussi à certains responsables étrangers qu’il rencontre une lettre du chef de l’Etat. Globalement, la réponse des partenaires étrangers rencontrés, à la demande des deux diplomates, s’est limitée à des déclarations portant sur le maintien du principe de non-ingérence mais aussi du soutien apporté aux revendications populaires des Algériens et du droit de ces derniers à manifester pacifiquement sans être réprimés. Tous ou presque ont également exprimé le vœu de voir la transition annoncée ne pas s’étaler dans le temps. Après s’être empressé de soutenir les réformes proposées par Bouteflika, Emmanuel Macron a dû lui aussi reformuler ses propos. Réagissant aux critiques de Benjamin Stora qui l’accusait de frilosité, le chef d’Etat français a fait savoir que sa position ne lui permettait pas de faire autrement.

De leur côté, et officiellement, les deux diplomates algériens se sont contentés d’informer leurs vis-à-vis, sans avoir eu besoin de les rassurer car, déclarait Lamamra à Rome, «il n’y a pas de préoccupation particulière de nos partenaires internationaux». Il ajoute : «Nous les invitons à poursuivre le développement de notre partenariat (…) et à faire le travail diplomatique.» Avec quel pouvoir ? Celui assuré par Bouteflika a cédé le «flambeau», assurait-il quelques heures plus tard face à Serguei Lavrov. D’une manière ou d’une autre, ce dernier a projeté l’image d’une Algérie post-Bouteflika qui se met en place.

Depuis quelques jours, des rumeurs annoncent son départ avant le 28 avril prochain, date d’expiration de son mandat présidentiel. Elles ont eu pour effet d’accélérer la désagrégation de la toile sur laquelle s’est appuyé le pouvoir présidentiel.

La défragmentation est arrivée à un point tel qu’elle a fait voler en éclats l’alliance longtemps chargée de dresser un «rempart» autour de son programme.

De manière spectaculaire, on observe aussi ses principaux soutiens, le socle même sur lequel il se maintenait, détourner leur regard d’El-Mouradia et se tourner vers le mouvement citoyen. Les réformes proposées, la conférence nationale, la nouvelle Constitution à rédiger, le référendum à venir n’ont figuré dans aucune des réunions du FLN et du RND lesquels appellent au contraire à satisfaire les revendications populaires non pas dans la terminologie des responsables toujours en place mais dans le langage de cette rue qui s’exprime régulièrement. Difficile, dans ce contexte, de pouvoir croire que l’offensive diplomatique menée par Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra puisse porter uniquement sur ces propositions de réforme. L’un comme l’autre ont trop d’expérience pour s’atteler à «vendre» un produit qu’ils ne sont pas parvenus à écouler au plan national. Ils savent aussi que même en arrachant un soutien international, ils se heurteront (ils se heurtent déjà) à l’incapacité de le mettre en œuvre.

Les consultations pour la formation d’un gouvernement de compétences n’ont trouvé aucun preneur jusqu’à l’heure et il est des plus improbables que la situation évolue dans le sens qu’ils souhaitent. Depuis une semaine, le Premier ministre ne s’exprime même plus. L’enjeu véritable se passe au niveau de l’international où l’image de Bouteflika semble déjà faire partie du passé.
A. C.

Le Soir d’Algérie, 21 mars 2019

Tags : Algérie, Présidentielles 2019, Bouteflika, transition,

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