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Les autorités doivent répondre de toute urgence aux appels à investir dans les soins de santé et l’éducation
(Beyrouth) – Les autorités marocaines ont réprimé les manifestations menées par des jeunes réclamant des réformes radicales des services publics, entraînant des morts et des arrestations massives, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient tenir compte des appels des manifestants et réaliser les droits à la santé et à l’éducation, respecter le droit de manifester pacifiquement, et enquêter sur l’utilisation de la force meurtrière par la Gendarmerie Royale ainsi que sur d’autres abus généralisés présumés contre les manifestants par les forces de sécurité publique.
Des manifestations ont éclaté dans tout le pays le 27 septembre 2025, après que le mouvement de jeunesse GenZ212 a exhorté les Marocains à descendre pacifiquement dans la rue pour exiger une augmentation des dépenses en faveur des systèmes publics de santé et d’éducation et la fin de la corruption. Ils ont critiqué les dépenses publiques pour les méga-événements sportifs que le pays s’apprête à accueillir, comme la Coupe du Monde de la FIFA 2030. Certains manifestants auraient également endommagé des biens privés et publics. La police et la Gendarmerie Royale ont réagi en interdisant les manifestations et en dispersant les protestataires par la force, y compris par l’usage de la force létale, tuant trois personnes et en blessant des dizaines. Ils auraient arrêté près de 1 000 personnes et intenté des poursuites pénales contre au moins 270 manifestants, dont 39 enfants, qui restent détenus. Certains tribunaux ont condamné des manifestants à des peines de prison et à des amendes.
« La jeunesse marocaine exprime son désaccord quant à l’état des soins de santé et de l’éducation dans le pays », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait écouter les appels des manifestants et remplacer les tactiques répressives par un dialogue public et des réformes de grande ampleur. »
Les lacunes du système de santé publique, amplifiées par les récents décès de plusieurs femmes enceintes dans un hôpital public d’Agadir, ont contribué à une colère généralisée et alimenté les manifestations. Pendant ce temps, le Maroc se prépare à accueillir la Coupe d’Afrique des Nations en décembre 2025 et à co-organiser la Coupe du Monde de la FIFA 2030, en dépensant, selon les rapports, 5 milliards de dollars US pour de nouveaux stades, complexes sportifs, transports publics et hébergements.
Des manifestations largement pacifiques ont débuté le 27 septembre dans au moins 11 villes et communes, notamment à Rabat, Casablanca, Tanger, Salé, Agadir, Marrakech, Sidi Eltaibi et Inezgane.
Human Rights Watch a géolocalisé une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 1er octobre, montrant une fourgonnette des forces de sécurité de couleur sombre fonçant sur des manifestants dans un rond-point à Oujda dans la nuit du 30 septembre, avant de s’éloigner. Une autre vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 1er octobre et géolocalisée par les chercheurs montre une fourgonnette des forces de sécurité de couleur sombre fonçant dans un groupe de manifestants à environ 350 mètres du rond-point à Oujda, écrasant un homme contre un mur avant de reculer et de partir. Selon les reportages, les incidents de véhicules des forces de sécurité fonçant sur la foule ont blessé au moins deux personnes à Oujda cette nuit-là, dont Wassim Eltaibi, 17 ans, dont la mère a déclaré aux journalistes qu’il nécessitait des soins médicaux urgents, et Amine Boussaada, 19 ans, dont le père a indiqué que sa jambe gauche avait été amputée.
Le 1er octobre, la Gendarmerie Royale a utilisé la force létale pour réprimer des manifestations qui sont devenues violentes devant un poste de gendarmerie à Lqliâa, à Agadir, tuant trois hommes et en blessant d’autres, dont un enfant. Parmi les personnes tuées figureraient Abdessamade Oubalat, un étudiant en cinématographie de 22 ans, et un homme de 25 ans. Dans une déclaration télévisée le 2 octobre, un porte-parole du ministère de l’Intérieur a cherché à justifier l’usage de la force meurtrière, affirmant que les manifestants avaient utilisé des pierres et prétendument des couteaux comme armes. Il a déclaré que les forces avaient d’abord utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les foules, puis leurs armes à feu « en légitime défense ».
Human Rights Watch a analysé et géolocalisé une série de vidéos partagées sur les réseaux sociaux le 2 octobre, montrant les événements à Lqliâa.
Des images de vidéosurveillance filmées à l’extérieur du poste de gendarmerie et horodatées à 21h28 montraient des dizaines de manifestants lançant de grosses pierres, défonçant le portail d’entrée et allumant des incendies. La vidéo partagée en ligne montre des extraits de vidéosurveillance montés ensemble. Un homme en uniforme à l’intérieur du poste tire avec une arme en direction des manifestants, horodaté à 21h34.
Les images montrent également l’utilisation de gaz lacrymogènes à l’extérieur une minute plus tard, mais Human Rights Watch n’a pas pu déterminer de manière concluante si les autorités ont utilisé les gaz lacrymogènes avant la force létale, comme elles l’ont prétendu. Une vidéo montrait un homme gravement blessé, voire décédé, gisant à environ 70 mètres de l’entrée avec une blessure sanglante au dos, mais Human Rights Watch n’a pas pu déterminer de manière concluante s’il avait reçu une balle dans le dos.
Human Rights Watch a déclaré que les autorités marocaines devraient mener de toute urgence une enquête transparente sur les événements de Lqliâa et le signalement de la mort de trois hommes, et traduire en justice tout membre de la gendarmerie reconnu coupable de faute.
Les manifestations nationales du 1er octobre ont également fait 354 blessés, dont 326 membres des forces de sécurité publique, et endommagé 271 de leurs véhicules et 175 véhicules privés, selon un porte-parole du ministère de l’Intérieur.
Le 2 octobre, de violents affrontements ont éclaté à Marrakech entre la police et les manifestants, qui auraient endommagé trois agences bancaires. Les autorités ont arrêté de nombreuses personnes.
Les poursuites contre les manifestants sont en cours. Le 4 octobre, le tribunal de première instance d’Agadir aurait condamné un homme à quatre ans de prison et à une amende de 50 000 dirhams (environ 5 400 dollars US) pour « incitation à des délits et crimes mineurs via les réseaux sociaux ». Le 8 octobre, la Cour d’appel d’Agadir aurait condamné un homme à 10 ans de prison pour son rôle présumé dans la destruction de biens publics lors des événements de Lqliâa et pour des violences présumées contre les forces de sécurité. Le 9 octobre, la Cour d’appel de Salé aurait condamné plusieurs accusés à des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour des « actes de vandalisme » présumés.
Les manifestations de GenZ212 font suite aux manifestations de la Génération Z qui ont secoué Madagascar, l’Indonésie, le Kenya, le Népal, le Pérou et les Philippines. Leurs appels reflètent des griefs de longue date, alors qu’un tiers des jeunes Marocains sont confrontés au chômage, ainsi qu’à la mauvaise qualité du système d’éducation publique, des services de santé et du filet de sécurité sociale.
En 2022, les dépenses publiques du Maroc pour les soins de santé ne représentaient que 2,3 % de son PIB, soit moins de la moitié du seuil international d’au moins 5 %, selon les données de l’Organisation mondiale de la Santé. Le Maroc s’est également clairement engagé, en vertu de la Déclaration d’Abuja de 2001, à consacrer au moins 15 % de son budget national à la promotion de la santé, mais a dépensé moins de la moitié de ce montant en 2022. La Loi-cadre de 2021 relative au système de protection sociale visait à combler les lacunes en matière de protection sociale, mais environ la moitié de la population du pays, soit 38 millions d’habitants, n’a pas de couverture maladie.
Les dépenses publiques d’éducation au Maroc, hors le territoire du Sahara Occidental qu’il occupe, ont atteint 6 % de son PIB en 2023, ce qui est conforme au seuil de référence mondial recommandé pour les dépenses publiques d’éducation. Cependant, moins de 20 % des adolescents atteignaient les compétences minimales en lecture et en mathématiques en 2022, et les taux d’alphabétisation des adultes et des jeunes stagnaient à 77 % en 2022.
Dans un discours prononcé le 10 octobre, le Roi du Maroc, Mohammed VI, a déclaré que « la création d’emplois pour les jeunes, et l’amélioration concrète des secteurs de l’éducation et de la santé », étaient des priorités, mais n’a pas abordé les manifestations de jeunes ni les mesures que le gouvernement prendrait pour atteindre ces objectifs.
Human Rights Watch a déclaré que le Maroc devrait adopter une approche fondée sur les droits humains qui mette l’accent sur la répartition équitable des ressources pour réaliser des droits tels que l’accès universel à des soins de santé de qualité, à l’éducation et à la sécurité sociale, en vertu du droit international des droits humains, et garantir que les gens reçoivent un salaire décent. La Constitution du pays de 2011 garantit « le droit aux soins de santé, à la protection sociale, à l’éducation, au logement décent, [et] au travail. »
En vertu du droit des droits humains, les gouvernements et les institutions financières internationales qui les soutiennent sont tenus de réagir aux crises économiques de manière à faire tout ce qui est possible pour protéger et faire progresser les droits. Ils sont censés veiller à ce que les réformes proposées, y compris celles concernant la politique fiscale et les dépenses publiques, réalisent au mieux les droits économiques, sociaux et culturels des personnes.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Maroc est partie, soutient les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Toute réponse des forces de l’ordre aux manifestations doit être conforme aux normes internationales. Les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois stipulent que les forces de sécurité doivent recourir à des moyens non violents avant d’utiliser la force. Lorsque celle-ci est nécessaire à des fins légitimes d’application de la loi lors d’un rassemblement, seule la force minimale nécessaire peut être utilisée. L’utilisation intentionnelle et meurtrière d’armes à feu ne peut avoir lieu que lorsque cela est strictement inévitable pour protéger des vies.
« Les jeunes au Maroc ont des revendications très claires pour de meilleurs soins de santé, une meilleure éducation et la fin de la corruption », a déclaré Salah. « Si le gouvernement peut financer des stades de football ultra-modernes, il peut se permettre de financer son système de santé, et ceux qui réclament une chance équitable pour leur avenir ne devraient pas être accueillis par la force létale et la répression. »
Région / Pays : Maroc/Sahara Occidental Moyen-Orient/Afrique du Nord
Thème : Accès aux Soins de Santé Éducation
Source : HRW, 15/10/2025