Maroc :Le piège se referme : comment le Makhzen, allié d’Israël, s’est pris à son propre jeu

Ahmed Abdelkrim

Le 14 août 2025, une fuite massive frappe le cœur de l’appareil sécuritaire marocain. Les données personnelles de Mohamed Raji — présenté comme le « n° 2 » de la DGST et bras droit d’Abdellatif Hammouchi — sont publiées en ligne : numéro d’identité, relevés bancaires, salaire mensuel d’environ 2 378 €, titres de propriétés industrielles à Béni Mellal évaluées à 2,86 M€, et documents laissant entrevoir des commissions liées à des achats de matériel d’espionnage. Pour des sources citées par El Confidencial, c’est « une dague dans le cœur » de l’appareil. La presse marocaine se tait ; à l’étranger, l’onde de choc s’amplifie.

Faits établis et contexte immédiat

– La cible : Mohamed Raji, haut responsable opérationnel de la DGST, est formellement identifié dans les documents divulgués. Les pièces publiées détaillent sa rémunération, ses avoirs immobiliers et des flux liés à l’acquisition d’outils d’écoute. El Confidencial publie les visuels clefs et les montants.

-Le boomerang Pegasus : l’affaire éclate sur fond de Pegasus, le logiciel israélien de NSO Group capable d’infecter un téléphone par zero-click et d’aspirer messages, micro, caméra et géolocalisation. L’outil a valu à NSO une inscription sur la “Entity List” du Département du commerce américain (novembre 2021).

– Cibles de premier plan en Europe : en Espagne, les téléphones du premier ministre Pedro Sánchez et de la ministre de la Défense Margarita Robles ont été infectés en 2021, selon le gouvernement espagnol.

-Un précédent embarrassant : la fuite actuelle s’ajoute au feuilleton Mehdi Hijaouy, ex-haut cadre du DGED (renseignement extérieur) passé à l’étranger et désormais visé par un mandat marocain ; un épisode qui a mis au jour des lignes de fracture internes et des règlements de comptes.

« Tel est pris qui croyait prendre »

-Fissures visibles : même les canaux proches du pouvoir ont admis des défections : 38 désertions recensées chez des cadres supérieurs de la police, signe d’un malaise plus large dans l’appareil sécuritaire.

Le Maroc a été cité dès 2021 par le consortium Forbidden Stories : plus de 10 000 numéros auraient été sélectionnés par le « client marocain » de NSO, dont des journalistes, opposants, responsables étrangers — Emmanuel Macron figurant parmi les cibles présumées. Aujourd’hui, la cible, c’est l’architecte domestique des écoutes : le piège se retourne. Cette affaire révèle une fragilité structurelle : si le n° 2 d’un service réputé impénétrable peut être doxxé avec cette précision, qu’en est-il de la sécurité des autres maillons ? Quelle valeur opérationnelle pour les réseaux, les sources humaines (HUMINT) et les capacités techniques (SIGINT) quand l’ennemi a potentiellement cartographié vos décideurs ?

Corruption systémique et économie politique du renseignement

Les documents évoquent des commissions autour d’acquisitions d’outils d’espionnage. Si ces éléments se confirmaient, ils illustreraient une captation de rente au cœur d’un secteur couvert par le secret-défense, donc peu contrôlé. Le Maroc demeure à 37/100 au CPI 2024 (99e sur 180) — un score qui atteste d’un risque élevé de corruption dans la commande publique et la sécurité.

L’opacité du dispositif de surveillance — achats auprès de sociétés étrangères, maintenance et “services” — crée un écosystème propice aux intermédiaires et aux marges indues. L’affaire Raji, en exposant à la fois biens et flux, met en lumière ce que les praticiens savent : le renseignement coûte cher et rapporte beaucoup à ceux qui contrôlent l’accès aux marchés, surtout quand l’État client revendique l’exception de sécurité pour soustraire les contrats à l’examen.

Presse muselée, crédibilité en lambeaux

La presse marocaine n’a guère relayé l’affaire ; ce silence n’est pas un accident. Reporters sans frontières classe le pays 120e/180 en 2025 (score 48,04/100), décrivant une “machine de propagande et de désinformation” qui écrase le droit à l’information. Difficile, dans ces conditions, d’espérer un débat public sur la fuite Raji et ses implications. Sur le plan européen, le Parlement européen a déjà condamné l’usage des spywares et appelé à des garde-fous stricts. Les révélations de 2021-2022 ont déclenché des enquêtes, dont les échos retentissent encore à Madrid et à Paris.

Ignacio Cembrero, un journaliste debout
Né en 1954 à Madrid, ancien correspondant Maghreb d’El País puis d’El Mundo, aujourd’hui chroniqueur et enquêteur à El Confidencial, Ignacio Cembrero documente inlassablement les zones grises du Makhzen. Malgré plaintes et pressions, il a gagné les procédures majeures intentées par le Royaume : en mars 2023, puis en novembre 2024, la justice madrilène a débouté Rabat, rappelant qu’un État ne peut exiger le silence d’un journaliste par « action de jactance ». Cembrero n’est pas un militant : c’est un professionnel méticuleux, ferme sur les sources, adversaire déclaré de l’intimidation judiciaire. C’est grâce à ce type de journalisme que l’affaire Raji est aujourd’hui documentée.

Une souveraineté anéantie

L’“externalisation” de capacités régaliennes à des fournisseurs privés étrangers (NSO et consorts) est un pari stratégique : tant que tout fonctionne, la puissance publique paraît augmentée ; à la première fuite, elle apparaît dépendante et vulnérable. Quand l’outil vient d’un pays avec lequel on affiche une coopération sensible (Israël), toute faille prend un relief géopolitique supplémentaire : qui contrôle les mises à jour ? qui audite le code ? que deviennent les métadonnées ? Le boomerang Raji montre que la souveraineté numérique et la sécurité de l’État ne se sous-traitent pas sans risques systémiques.

La vérité nue, désormais, ne laisse aucune place à l’ambiguïté : le Makhzen n’est plus qu’un appendice opérationnel au service des intérêts israéliens. L’outil Pegasus, offert comme une arme de domination régionale, se révèle être un cheval de Troie : en l’acceptant, Rabat a ouvert la porte de ses propres coffres-forts numériques au Mossad. Le Maroc ne maîtrise plus son renseignement, pas plus qu’il ne contrôle le flux des informations collectées.

Dans ces conditions, parler de “secret d’État” au Maroc relève de la fiction. Chaque fichier, chaque communication, chaque plan d’opération stratégique est potentiellement consultable ailleurs, hors du territoire, hors du contrôle national. Les services marocains ne sont plus les maîtres de leur propre mémoire numérique : ils sont des sous-traitants d’une puissance étrangère, pieds et poings liés.

Ce scandale Raji n’est pas un accident isolé : il est le symptôme terminal d’un appareil de renseignement qui a troqué son autonomie pour un vernis de puissance technologique. Quand le n° 2 de la DGST se fait dépouiller publiquement, cela signifie que toute la chaîne hiérarchique, jusqu’aux unités de terrain, est compromise. Les réseaux d’agents sont exposés, les identités infiltrées, les communications écoutées — et plus grave encore : les plans militaires et sécuritaires stratégiques sont désormais potentiellement dans les mains de ceux qui, hier encore, se présentaient comme “alliés”.

L’impact est fatal : un renseignement percé comme une passoire, c’est une armée aveuglée avant même le combat. Sans capacité à protéger ses données, le Maroc ne peut plus planifier de manière autonome, ni défendre ses frontières sans dépendre de ceux qui le surveillent déjà. C’est le début d’une spirale irréversible :

-perte de souveraineté informationnelle

-fragilisation des opérations militaires

-perte de crédibilité diplomatique

-affaiblissement stratégique

-effondrement possible de l’appareil militaire.


L’affaire Raji n’annonce pas un “réveil” : elle signe le point de bascule vers un effondrement systémique. Le Makhzen, qui voulait espionner le monde, découvre qu’il n’a plus de secrets à protéger, et que son destin n’appartient plus à ses propres mains.

Source: Alhirak.com, 14/08/2026

#maroc #espionnage

Visited 365 times, 1 visit(s) today

2 Commentaires

  1. Садоводство – это искусство. Эффективные методы полива огурцов в теплице помогут вам добиться впечатляющих результатов даже начинающему огороднику. https://modernlighting.ru/

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.