Maroc: L’architecte de l’espionnage avec Pegasus, piraté

Ces révélations « sont un poignard qui traverse le cœur de l'appareil de sécurité du Maroc et donnent l'impression que ce n'est que la première d'une série », commente au téléphone un bon connaisseur des rouages des services secrets de ce pays. « Bien qu'il soit resté dans l'ombre, le haut fonctionnaire victime du piratage est, probablement, l'un des personnages les plus importants de la constellation de l'espionnage », assure-t-il.

Source : El Confidencial

L’architecte marocain de l’espionnage avec Pegasus, ‘hacké’ : ses données et biens, sur le net

Le piratage subi par Mohamed Raji, «numéro deux» du contre-espionnage et de la police secrète, révèle une nouvelle faille majeure dans l’appareil de sécurité du Maroc
 
Ignacio Cembrero 14/08/2025

Mohamed Raji, 65 ans, est considéré dans le monde du renseignement comme l’homme des écoutes téléphoniques au Maroc, à qui il se consacre depuis plus de 30 ans. Il est également désigné comme l’architecte de l’acquisition, à la fin de la décennie dernière, et de l’utilisation massive du logiciel malveillant israélien Pegasus par la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) marocaine pour continuer à écouter les téléphones portables.

Avec ce « malware », ont été espionnés non seulement des opposants marocains et des généraux algériens, mais aussi des politiciens européens de premier plan, y compris le président français Emmanuel Macron et le Belge Charles Michel, qui présidait alors le Conseil européen, selon l’enquête du consortium de journalistes Forbidden Stories révélée en 2021.

Un an plus tard, en Espagne, c’est le gouvernement lui-même qui a révélé que les appareils du président Pedro Sánchez et d’au moins deux ministres avaient été infectés. Le titulaire de l’Agriculture, Luis Planas, a également subi une cyberattaque qui n’a pas abouti. Le gouvernement n’a jamais reconnu que la cheffe de la diplomatie, Arancha González Laya, avait également été la cible d’un espionnage étranger.

L’espion marocain Raji a été à son tour espionné. Mardi, des données et documents privés le concernant ont commencé à apparaître sur Jabaroot, un canal Telegram sur lequel sont publiées depuis avril des informations soustraites illégalement et compromettantes pour les autorités marocaines.

Concernant Raji, sont apparus son DNI, son modeste salaire mensuel (2 378 euros) et son compte courant, ainsi que des titres de propriété de parcs industriels acquis à Beni Mellal pour l’équivalent de 2,86 millions d’euros. De l’ensemble des documents mis en ligne, on déduit qu’il a perçu des commissions pour l’achat de matériel d’espionnage, comme le souligne sur Facebook le journaliste marocain exilé Souleiman Raissouni.

Raji n’est pas seulement le « Monsieur écoutes », le surnom en français qui lui était parfois donné à Rabat. Il est en réalité le « numéro deux » de la DGST, qui est à la fois une agence de contre-espionnage et une police secrète chargée, entre autres activités, de la répression politique. Son chef suprême est Abdellatif Hammouchi, mais Raji a un tel poids au sein du service secret qu’il a parfois reçu des commandes directes du roi Mohammed VI, outrepassant la hiérarchie, selon une source du renseignement.

Ces révélations « sont un poignard qui traverse le cœur de l’appareil de sécurité du Maroc et donnent l’impression que ce n’est que la première d’une série », commente au téléphone un bon connaisseur des rouages des services secrets de ce pays. « Bien qu’il soit resté dans l’ombre, le haut fonctionnaire victime du piratage est, probablement, l’un des personnages les plus importants de la constellation de l’espionnage », assure-t-il.

« La corruption au Maroc ne se pratique plus dans les rues, mais plutôt sous le couvert des services de sécurité, car le roi n’a plus le pouvoir de destituer aucun de ses responsables, quel que soit leur degré d’influence », souligne le canal Jabaroot dans un commentaire politique qui accompagne la mise en ligne des documents. « C’est pourquoi vous n’entendrez plus qu’une enquête est ouverte, qu’un responsable est arrivé au terme de son mandat ou qu’il a été démis de ses fonctions », ajoute-t-il. « L’appareil corrompu de la sécurité qui devait servir à protéger le Maroc est maintenant un outil hors de contrôle (…) », conclut-il.

Non seulement l’ouverture d’une enquête n’a pas été annoncée, mais la presse marocaine garde le silence sur ces révélations, à la différence de ce qui s’était passé lorsque le canal a commencé son activité en avril. À l’époque, certains journaux se faisaient l’écho des publications, bien qu’ils rapportaient les réactions officielles insistant sur le fait que les documents étaient manipulés. Tous affirmaient alors que derrière Jabaroot se cachaient des hackers algériens.

Les documents se sont avérés être authentiques. Maintenant, à Rabat, on ne pointe plus du doigt l’ennemi algérien, mais on spécule beaucoup discrètement sur qui a pu avoir accès à cette documentation sensible et est en train de la filtrer.

La première hypothèse pointe Mehdy Hijaouy, l’ancien « numéro deux » de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service secret extérieur, qui a fui le pays l’année dernière. Il a transité par Madrid pendant un certain temps jusqu’à ce que Rabat demande son extradition à l’Espagne, entre autres motifs, pour avoir favorisé l’émigration clandestine. Craignant d’être livré, il a cherché refuge dans un autre pays européen.

Une autre supposition désigne des agents rebelles qui étaient sous les ordres de Hammouchi et qui se seraient rebellés en divulguant des informations délicates. La DGST a reconnu dans un communiqué qu’entre 2022 et mi-2023, 38 agents avaient déserté leurs postes. Elle a ainsi nuancé le fait que, comme cela avait été publié, plus de 160 étaient partis, beaucoup d’entre eux profitant d’un séjour à l’étranger. Le chiffre est en tout cas révélateur du mal-être qui régnait dans ce corps.

Enfin, l’hypothèse d’une vengeance infligée à la DGST marocaine par le service secret étranger d’un pays européen dont les dirigeants ont été victimes de Pegasus il y a cinq ans est également envisagée. Dans le monde du renseignement, on se souvient du « Wikileaks marocain » lorsque, à l’automne 2014, des centaines de documents de la diplomatie marocaine et de son agence de renseignement extérieur sont apparus sur Twitter.

On sait maintenant que cela était la revanche de la Direction générale de la sécurité extérieure, le service secret extérieur français, après la publication, par la presse marocaine, de données confidentielles sur la femme qui était alors à la tête de son antenne à Rabat. Celle-ci avait été obligée de quitter rapidement le Maroc.

Le canal Jabaroot a commencé en avril en divulguant la base de données de la Trésorerie nationale de la Sécurité sociale, avec ses deux millions de salaires — beaucoup de Marocains ne sont pas déclarés — y compris celui de Mounir Majidi, secrétaire particulier de Mohammed VI et gestionnaire de Siger, le holding royal. Ses émoluments en tant que gestionnaire s’élèvent à 1,3 million d’euros par an.

Ensuite, en juin, sont apparus les actes notariés de l’achat de propriétés onéreuses et luxueuses par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, et de Yassine Mansouri, chef du service secret extérieur. L’Ordre des notaires du Maroc vient de dénoncer cette fuite devant le procureur, lui donnant ainsi pleine crédibilité.

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