Mots clés : Maroc, André Azoulay, Mohammed VI, Ali Amar, Edwy Plenel, Le grand malentendu,
Guéguerre de communiqués autour du livre d’Ali Amar
A l’heure où le Maroc célèbre les dix ans de règne de Mohammed VI, le livre à charge d’Ali Amar sur le Maroc du jeune souverain suscite toujours de vilains remous.
Pendant que la presse étrangère tartine sur le bilan — mitigé — des dix premières années du règne de Mohammed VI, on assiste, au Maroc, à de vilains règlements de comptes entre « amis ». En cause ? Le livre du journaliste et co-fondateur du Journal Hebdomadaire, Ali Amar. Publié chez Calmann-Lévy, « Mohammed VI, le grand malentendu » est le premier ouvrage critique sur le royaume enchanté de Mohammed VI écrit par un journaliste marocain.
D’où le grand malaise au sein du Makhzen où, visiblement, certains sont dans leurs petits souliers. Non pas à cause du contenu de l’ouvrage. Mais parce que l’auteur y égrène ses souvenirs en citant des personnes qui auraient tenu, dans le passé, des propos peu amènes sur le jeune souverain, comme le grand manitou des médias de feu Hassan II, André Azoulay.
André Azoulay contacte Edwy Plenel
Dans son livre, Ali Amar raconte que l’ancien-directeur de la rédaction du Monde, Edwy Plenel, lui a fait part, dans le passé, des propos d’un André Azoulay qualifiant Mohammed VI d’ « ingénu ». Tout chamboulé, au printemps 2009, André Azoulay a recontacté Edwy Plenel qui dirige aujourd’hui le site web Médiapart et qui lui a répondu par écrit.
Après avoir précisé qu’Ali Amar ne l’avait pas contacté lors de la rédaction de son ouvrage, Plenel ne nie certes pas les faits mais explique à Azoulay que « pour être franc, je n’ai aucun souvenir ni que vous m’ayez tenu ce propos ni de l’avoir rapporté à des tiers. Je me souviens seulement que vous me répondiez qu’il était encore trop tôt, dans le règne débutant de Mohamed VI, pour que cet entretien puisse avoir lieu ». A l’époque, Plenel essayait en effet de décrocher une interview du tout jeune roi dans Le Monde.
Puis, non sans un certain humour, il rappelle au conseiller royal que ce dernier l’avait approché pour « améliorer les relations entre Le Monde et le pouvoir marocain » avant de pointer que le mot « ingénu » n’est pas une insulte : « S’agissant d’un haut dirigeant politique, suggérer qu’il est resté simple et franc me paraît donc un compliment, tant le cynisme et la dissimulation ont fait le malheur et le désespoir des peuples » !
Moulay Hicham publie un communiqué cinglant
Le cousin de Mohammed VI, Moulay Hicham, n’a pas été aussi délicat. Alors que, dans le passé, il n’a pas hésité à courageusement critiquer le mode de gouvernance de Mohammed VI (au point de devoir s’exiler aux Etats-Unis), il en veut mortellement à Ali Amar de lui avoir consacré un portrait peu amène dans son livre. Mais aussi d’avoir glissé son nom et celui de son épouse, sans les prévenir, dans la liste des personnes que le journaliste remercie. Et identifie donc comme sources potentielles.
Il a ainsi envoyé un communiqué rageur à quelques journaux marocains, dont l’hebdomadaire francophone Tel Quel. Extraits : « Je ne m’explique pas ces “remerciement” d’autant que j’ai cessé tout contact avec Ali Amar depuis deux ans, en raison de doutes sur son intégrité » ; « Il appartient à Ali Amar d’assumer les atteintes à la vie privée et à la réputation de nombreuses personnes (…) qu’il juge expéditivement dans son livre, souvent au mépris des faits et sans jamais leur donner l’occasion de présenter leur part de vérité. De tels procédés se jugent d’eux-mêmes. Je fais confiance aux lecteurs pour les prendre comme ce qu’ils sont : les preuves d’un regrettable manque de professionnalisme ».
Signé : Hicham Ben Abdallah Alaoui, le nom complet du prince.
Tel Quel poignarde Ali Amar et Calmann-Levy…
Mais le pire était à venir pour Ali Amar ! Il existe au royaume enchanté du Maroc une tradition de solidarité confraternelle au sein de la presse indépendante. Celle-ci est en effet régulièrement condamnée à des amendes délirantes lorsqu’elle égratigne « Sa Majesté »…
Le 20 juin dernier, l’hebdomadaire Tel Quel est passé outre ce pacte tacite (chacun dans son style, le Journal Hebdomadaire comme Tel Quel, ont beaucoup œuvré pour la liberté d’expression au Maroc). Comment ? En publiant un communiqué non signé et intitulé « Manipulation, La dernière de Amar » qui fleure mauvais le règlement de comptes. L’affaire est délicate : Tel Quel a annulé à la dernière minute la publication d’un encart publicitaire pour le livre d’Ali Amar, « le best-seller introuvable au Maroc ».
Le communiqué du magazine explique que ce dernier refuse « toute publicité ayant un rapport quelconque avec la monarchie », qu’elle soit élogieuse ou non, ce qui lui permet de défendre sa liberté éditoriale par rapport au palais royal. Un vrai manque à gagner quant on sait que les journaux marocains croulent sous les messages félicitant Mohammed VI lors de l’Aïd ou de la Fête du Trône.
Mais Tel Quel n’en reste pas là et s’en prend à Ali Amar en des termes d’une violence rare dans les colonnes de cet hebdomadaire : « Difficile de garder la moindre estime pour un “confrère” quand il se comporte de manière aussi retorse et malhonnête que Ali Amar ». Tel Quel reproche en effet à l’auteur du « Grand malentendu » de les avoir berné en leur demandant de passer, ristourne à l’appui, une publicité « au nom d’un ami » sans préciser qu’il s’agissait de son propre livre.
… Mais ne publie pas de droit de réponse
Une version que réfute fermement Ali Amar qui affirme avoir contacté la directrice commerciale de Tel Quel en lui spécifiant bien que Calmann-Lévy « envisageait d’acheter un espace publicitaire dans les pages du magazine en question dans le cadre de la promotion de mon ouvrage ». Dure de la feuille la dame au point de confondre « au nom d’un ami » avec « Calmann-Levy » s’interroge-t-il soutenant que Tel Quel a notifié l’annulation de la publicité au motif de « la non-conformité du contenu avec sa ligne éditoriale » et l’a expliqué en ces termes à Calmann-Lévy.
La maison d’édition du « Grand malentendu », justement. Dans son communiqué, Tel Quel lui tire également à boulets rouges dessus : « qu’une maison d’édition sérieuse comme Calmann-Levy se laisse entraîner dans une manipulation aussi grossière est, en revanche, plus surprenant. Et triste, pour sa crédibilité » (sic !).
Ces propos ont provoqué un droit de réponse en bonne et due forme de Calmann-Levy qui interpelle Tel Quel : « Nous vous rappelons que nos directeurs commerciaux respectifs ont échangé entre le 12 et le 17 juin dernier pas moins de cinq mails afin de convenir des modalités techniques et financières et de la date de parution de cette publicité, et que tous nos mails mentionnaient en objet : « Pub Ali Amar – Mohammed VI Le grand malentendu ». Vous ne pouvez donc soutenir sérieusement que nous aurions agi en nous dissimulant derrière notre auteur, et participé ainsi à une opération de “manipulation” ». Aux dernières nouvelles, Tel Quel n’a toujours pas publié ce droit de réponse. Pas très fair-play, tout ça…
Source : Bakchich.info, 26 juillet 2009
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