Mots clés : Sahara Occidental, Espagne, Maroc, Algérie, Front Polisario, Fadel Breica, DGED, CNI, services secrets marocains, espionnage,
Source : El Mundo, 13/06/2022
L’année dernière, le CNI (Centre National d’Intelligence) a averti le gouvernement que le service de renseignement marocain rémunère Fadel Breica, un Sahraoui de nationalité espagnole qui a porté plainte pour présumées tortures contre le leader du Front Polisario, Brahim Ghali. Breica nie ces accusations dans des déclarations au journal Crónica.
Fadel Breica affirme répondre à l’appel de Crónica depuis un village des Asturies, mais le téléphone utilisé pour cette interview affiche un indicatif du Maroc (+212). Interrogé sur ce point, il hésite. « Emmm… Oui… Mais je peux t’appeler depuis un autre numéro espagnol que j’ai. Cela n’a rien à voir avec ce qui se dit sur moi ces derniers jours. »
Ce Sahraoui de 53 ans, détenteur d’un passeport espagnol et père de six enfants, a porté plainte en mars 2020 contre Brahim Ghali, l’accusant d’avoir ordonné des tortures à son encontre dans une prison clandestine présumée située dans les camps algériens de Tindouf. Cette plainte fait toujours l’objet d’une enquête au tribunal central d’instruction numéro 5 de l’Audience nationale.
Mercredi dernier, l’avocat de Ghali, Manuel Ollé, a envoyé un document au juge instructeur Santiago Pedraz, demandant d’inclure dans le dossier deux rapports du CNI. Ces rapports alertaient le gouvernement de Pedro Sánchez que Breica serait en réalité à la solde du renseignement extérieur marocain et que sa plainte ferait partie d’une campagne « judiciaire et médiatique » orchestrée par Rabat pour discréditer le Front Polisario et perturber les relations entre l’Espagne, l’Algérie et le peuple sahraoui.
Le document d’Ollé, auquel Crónica a eu accès, affirme que ces rapports prouveraient « les motivations douteuses et la finalité frauduleuse » de la plainte déposée par Breica contre Ghali, président de la République arabe sahraouie démocratique.
Toujours selon ce document, Breica n’aurait pour seule source de revenus que les paiements provenant de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), le service de renseignement extérieur marocain sous le contrôle des Forces armées du pays. « Breica était membre de l’Initiative sahraouie pour le changement (ISC) et fait désormais partie du Mouvement Sahraouis pour la paix (MSP), des organisations vitrine de la DGED », a averti le CNI.
Les informations sur ces paiements figurent dans le second des deux rapports transmis à plusieurs membres du gouvernement, y compris au président, le 24 juin 2021. Ce rapport a été présenté deux mois et six jours après l’arrivée de Ghali en Espagne, gravement malade, dans un vol clandestin en provenance d’Algérie pour y être soigné du Covid-19.
L’hospitalisation de Ghali à Logroño, le 18 avril 2021, avait déclenché une crise diplomatique avec le Maroc. Cette crise avait culminé, le 17 mai de la même année, par l’entrée massive d’environ 12 000 migrants à Ceuta via la frontière terrestre. Le lendemain de cet afflux sans précédent, le CNI avait envoyé un premier rapport au gouvernement, indiquant que le Maroc aurait incité des milliers de ses citoyens à franchir la frontière de l’enclave espagnole dans le cadre d’une « stratégie » visant à contraindre l’Espagne à modifier sa position de neutralité sur le conflit du Sahara occidental.
Finalement, près d’un an plus tard, le 18 mars dernier, le gouvernement espagnol a confirmé un changement historique dans sa politique, en soutenant la proposition marocaine d’accorder au Sahara occidental — ancienne province espagnole — une autonomie sous souveraineté marocaine. Jusqu’à cette date, l’Espagne défendait la tenue d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU.
« JE CONNAIS LA CIA, MAIS PAS LA DGED »
Deux jours après la remise du document par l’avocat de Ghali, ce journaliste a contacté Breica, vendredi dernier. Breica n’a pas hésité à accorder une courte interview. Il nie fermement tout lien avec les services secrets marocains, insistant sur son statut de « Sahraoui de nationalité espagnole ».
« Il n’y a aucune preuve que je reçois ou que j’ai reçu de l’argent du Maroc. Ce que dit le CNI est faux. Je n’ai aucun lien avec le renseignement marocain. Je connais le Mossad (le service de renseignement israélien) ou la CIA (États-Unis), mais pas la DGED. Je n’avais jamais entendu ce nom avant qu’on ne me l’associe », déclare Breica, ajoutant que son avocate a également demandé la déclassification des deux rapports du CNI le concernant.
Ancien soldat du Front Polisario, Breica avait porté plainte contre Ghali après s’être rendu en 2019 dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf, en Algérie. C’est là que vivent dans des conditions très précaires de nombreux Sahraouis réfugiés hors des territoires occupés du Sahara occidental. La mère de Breica et ses douze frères et sœurs, tous détenteurs de passeports espagnols, y résident encore.
« IL A FORCÉ SON ARRESTATION » AVEC CE VOYAGE
Dans sa plainte, Breica affirme avoir été arrêté arbitrairement et torturé sur ordre de Ghali. Toutefois, le CNI estime qu’il s’est « probablement » rendu dans ces camps « sur instruction du Maroc pour provoquer la direction du Front Polisario et forcer son arrestation ».
Interrogé sur Ghali et le changement de la position du gouvernement espagnol concernant le Sahara occidental, Breica ne cache pas son avis. Il dénie toute légitimité au leader du Front Polisario et soutient la nouvelle ligne diplomatique de Sánchez avec le Maroc. « Pour moi, Ghali n’est pas un président. C’est un citoyen espagnol. Et moi, en tant que tel, je soutiens mon président et mon gouvernement », déclare-t-il.
Malgré ses tentatives de se distancier du Maroc, fin juin 2021 — juste 24 heures avant de témoigner devant le juge Pedraz —, Breica a été photographié à l’aéroport de Barajas, à Madrid, aux côtés de Yahya Yahya, un ancien sénateur marocain et ex-maire de Nador, une ville voisine de Melilla. Yahya considère Ceuta et Melilla comme des « territoires occupés » par l’Espagne. « Nous ne nous reposerons pas avant de voir ton pays à genoux », avait-il déclaré à ce journaliste en 2013.
À propos de cette photo, Breica affirme : « Je ne connaissais pas ce monsieur. Il m’a demandé une photo et j’ai accepté. Rien de plus. »
Encore une coïncidence ? Cela ne semble pas être le cas pour le CNI, qui continue de voir en Breica un agent au service du Maroc.
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Le blogueur Fadel Breica se retrouve dans une impasse : son témoin clé nie que le Polisario l’ait torturé
Source : Público, 30/06/2021
L’activiste sahraoui a témoigné il y a deux jours devant l’Audience nationale dans le cadre de sa plainte contre le Polisario et son leader, Brahim Ghali, pour des accusations présumées de torture, mais les deux témoins qu’il a présentés n’ont pas confirmé les faits. Désormais, le parquet doit se prononcer.
L’activiste et blogueur sahraoui Fadel Breica a confirmé il y a deux jours devant le juge de l’Audience nationale, Santiago Pedraz, qu’il avait été torturé par le Front Polisario lors de son séjour dans les camps de réfugiés de Tindouf (Algérie) en 2019, réaffirmant ainsi le contenu de sa plainte contre l’organisation sahraouie et son leader, Brahim Ghali, président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et secrétaire général du Front Polisario.
Breica affirme avoir été torturé pendant six mois dans une prison secrète du Front Polisario, accusant Ghali d’en être le principal responsable. Cependant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu pour le blogueur devant l’Audience nationale, selon des sources judiciaires consultées par Público. Il a présenté deux témoins pour soutenir son accusation, mais aucun d’entre eux n’a fourni de données concrètes pour corroborer ses allégations de torture.
Bien au contraire. Mahmud Kenti, un autre activiste qui a été emprisonné avec Breica, a nié avoir été témoin des tortures dénoncées par le blogueur. Ce Sahraoui a déclaré que durant la période où ils étaient emprisonnés ensemble, il n’avait pas vu Breica subir de torture et que ce dernier ne lui avait jamais dit avoir été maltraité. Il a également affirmé ne jamais avoir vu Ghali dans le centre de détention clandestin où ils étaient retenus, contredisant ainsi Fadel Breica, qui assure que le leader du Polisario était présent dans ce centre et qu’il avait ordonné son arrestation en avril 2019.
Breica affirme dans sa plainte que lorsqu’il est arrivé dans les camps de Tindouf, des agents du Polisario l’ont menacé pour qu’il parte. Il est cependant resté et a organisé des manifestations, ce qui a conduit à son arrestation et à son transfert vers des centres de détention clandestins où il aurait subi des décharges électriques et d’autres formes de torture.
Son épouse, l’autre témoin présenté par le blogueur devant l’Audience nationale, a confirmé qu’elle n’avait pas été témoin directe des faits dénoncés et qu’à la libération de son mari, « il était très amaigri », attribuant finalement la détérioration de son état de santé à la grève de la faim qu’il a menée durant son incarcération.
Breica a déclaré au juge qu’il n’avait « pas le moindre doute qu’il avait été torturé sur ordre de Brahim Ghali », car compte tenu de la structure du Front Polisario, « il était absolument impossible » que quelque chose se passe dans les camps sans son approbation. Toutefois, le procureur a indiqué que cette affirmation n’était en réalité qu’une « suspicion », faute de preuves, selon des sources judiciaires.
Le parquet, sur le point de se prononcer sur la clôture de l’affaire
La plainte de Breica est l’une des deux plaintes rouvertes à l’Audience nationale contre des dirigeants du Front Polisario, dont Ghali, qui est retourné en Algérie le 2 juin dernier après avoir été hospitalisé plus d’un mois à Logroño pour cause de COVID-19. Le juge Pedraz a rejeté les mesures conservatoires demandées par les plaignants — Fadel Breica et l’Association sahraouie pour la défense des droits humains (ASADEDH) — estimant qu' »aucun risque de fuite ne peut être retenu ». Après avoir témoigné dans les deux affaires, Ghali a quitté l’Espagne, en attendant que le juge espagnol décide s’il classe les affaires ou poursuit l’enquête.
La présence de Ghali en Espagne a provoqué la colère du régime marocain et déclenché une grave crise migratoire et diplomatique, qui s’est traduite par l’arrivée massive à Ceuta, les 18 et 19 mai derniers, de plus de 8 000 migrants, dont environ 1 500 mineurs — une opération orchestrée par les autorités marocaines.
Le parquet doit désormais se prononcer sur la demande de la défense de Brahim Ghali de classer les deux plaintes, ce qui pourrait se faire dans les deux prochaines semaines. En effet, le juge Santiago Pedraz a demandé un rapport au ministère public avant de décider s’il accepte de nouvelles mesures proposées par ASADEDH, qui réclame l’audition de trois hommes prétendument enlevés par le Front Polisario et qui auraient été témoins du « génocide interne » dénoncé dans la plainte.
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