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En 1980, le Maroc est à la recherche de solutions efficaces pour sortir de la guerre au Sahara Occidental. Avant la construction du mur de sable, des experts lui ont soufflé l’alternative nucléaire. Dlimi a failli marcher. Hassan II, probablement au courant, l’aurait freiné dans son élan.
Le rêve marocain a commencé en 1980. Plus exactement à Paris où un diplomate marocain prend attache avec l’Institut International des Innovations, une sorte d’entreprise spécialisée dans le conseil technique (ingénierie, travaux publics, industrie lourde, armement, etc.) et dont les marchés sont principalement au tiers-monde.
La rencontre n’est pas le fruit du hasard. L’Institut, établi en France, démarche de nouveaux clients, notamment parmi les pays arabes. Le Maroc, alors embourbé dans la guerre du Sahara, militairement en panne d’idées, est une cible idéale.
C’est en connaissance de cause que l’Institut entre en contact avec un “diplomate” marocain, en fait un officier de la DGED (services de renseignements extérieurs) rattaché à l’ambassade du royaume à Paris et dépendant directement du général Ahmed Dlimi. L’idée est séduisante : vendre au Maroc le projet d’un “système électronique d’alarme et de destruction” au Sahara.
Autrement dit, un mur virtuel qui permettrait de repérer et d’anéantir tout combattant du Polisario qui s’infiltrerait dans le territoire contrôlé par le royaume. Le tout pour un coût estimé à douze millions de francs français, soit un peu plus de douze millions de dirhams. L’idée peut, aujourd’hui, faire sourire tant elle paraît irréalisable.
Mais à l’époque, le Maroc est à l’affût de ce genre d’idées nouvelles pour mieux contrôler la situation au Sahara. Une année plus tard, en 1981, le royaume allait d’ailleurs se lancer, sur les conseils d’experts israéliens, dans la construction d’un mur de sable pour couper le Sahara en deux zones parfaitement distinctes. Allez savoir dans quelle mesure l’idée quelque peu farfelue d’un “mur électronique” proposée par l’Institut International des Innovations a pu influer sur celle du mur de sable telle que le général Dlimi et ses troupes l’ont concrétisée…
Même si le royaume ne donne pas suite au projet “Méduse”, qui désignait le mur électronique, il reste en contact avec l’Institut des Innovations. Comme pour la plupart des acquisitions plus ou moins licites de nouveaux armements sur le marché international, c’est la DGED, à l’époque dominée par les militaires, qui gère le dossier à partir de Paris.
Cette fois, l’Institut des innovations, via son directeur Lucien Becker, propose une nouvelle “idée”, encore plus ambitieuse : la fabrication d’une bombe atomique et sa livraison, clés en main, au royaume. Becker, par ailleurs administrateur à la prestigieuse OCDE (Organisation de Coopération et de Développement économique), est un expert bardé de diplômes et de références.
Les agents de la DGED le prennent au sérieux et décident, une fois l’effet de surprise passé, d’informer Rabat. Ahmed Dlimi, l’homme à tout faire du roi, est ainsi mis au courant. A-t-il prévenu à son tour son supérieur direct, Hassan II lui-même ? Logiquement oui, mais rien ne le prouve. Tout au long de cette ténébreuse affaire, le roi n’apparut jamais en première ligne, laissant à d’autres membres du gouvernement le soin de monter au créneau.
C’est Moussa Saâdi, le ministre de l’énergie et des Mines, qui est chargé de mener les pourparlers avec Lucien Becker et ses adjoints. Pourquoi Moussa Saâdi ? Parce que c’est le phosphate, première richesse du sous-sol marocain, dont la gestion est assurée par le département de Saâdi, qui est censé fournir la matière première à la fabrication de la bombe. Becker vend en effet l’idée que les déchets du phosphate peuvent être transformés, après traitements multiples, en uranium enrichi, indispensable à la fabrication d’une bombe.
En plus, le projet de Becker, qui allait déboucher sur un certain nombre de déplacements et d’acquisitions, a besoin d’une couverture officielle pour déjouer la surveillance des services de renseignements étrangers. Mais il ne suffit pas de transformer le phosphate en uranium enrichi pour fabriquer une bombe. Le projet doit aussi faire appel à des pièces de montage et à divers matériaux de base dont l’acquisition devait se faire, en grande partie, sur le marché noir international. Et là ce n’est plus Moussa Saâdi, mais la DGED et le général Dlimi qui devaient entrer dans la course…
Tout cela semble parfaitement envisageable et, à l’été 1980, l’Institut des Innovations transmet au royaume un volumineux dossier dédié au “champignon nucléaire”. Au-delà des explications scientifiques et le schéma détaillé de toutes les étapes de fabrication à l’appui, c’est surtout l’aspect géo-stratégique qui retient l’attention. Le texte invite ainsi le royaume à “intégrer irréversiblement le club nucléaire, moyennant application et discrétion pendant la phase de préparation”. Le texte fait aussi référence aux rapports nord-sud et, surtout, corde sensible des Marocains, à la supériorité régionale en allusion au voisin algérien.
Il y est écrit, pour finir, que la bombe ne serait qu’une première étape, la seule que le royaume confierait à des mains étrangères, avant de se doter lui-même d’un programme nucléaire en bonne et due forme. Que de belles idées… Il est pratiquement inconcevable, comme nous l’ont expliqué certaines sources marocaines, qu’à un tel stade, le projet n’ait pas été porté, d’une façon ou d’une autre, à la connaissance de Hassan II. Lucien Becker, qui était une référence à l’époque, invitait le royaume à conclure un pacte et au plus vite :
Encore une fois, les mots de Becker font mouche. L’expert propose le montage de sociétés-écran au-dessus de tout soupçon, notamment en France et en Angleterre, pour mener à bien les opérations de fournitures, facturations et versements de liquidités, effaçant ainsi toute trace du royaume dans les transactions. Le coût de la bombe est arrêté à près de 30 millions de dollars, et il est possible que le royaume en ait réglé une partie, ne serait-ce que pour les études de faisabilité.
C’est donc en visite officielle dûment prise en charge par la trésorerie du royaume, mais dont l’objet véritable ne sera jamais révélé, qu’une délégation de l’Institut se déplace au passage, en décembre 1980. L’équipe de Becker est venue vendre le projet de la bombe avec, comme couverture, la réalisation d’un ensemble de projets industriels qui semblaient tenir la route, mais pas le reste. Dans leur chambre d’hôtel à Rabat, les représentants de l’Institut se livrent en effet à un échange de réflexions peu amènes à l’égard du royaume.
Mais grâce au colonel marocain Driss Chouioukh, à l’époque co-responsable du renseignement aux FAR (Forces Armées Royales), les experts français étaient sur écoute ! Le projet, officiellement intitulé “Gazogène”, est, logiquement, mis en veilleuse. Mais pas au point de rompre tout contact entre le royaume et l’Institut des Innovations. Bien au contraire. C’est ainsi qu’en octobre 1981, le ministère d’état chargé des Affaires étrangères et de la coopération, adresse une lettre officielle à l’Institut de Lucien Becker où il est dit, entre autres, que les projets de l’Institut ont fait l’objet d’une réunion interministérielle!
La lettre du ministère des Affaires étrangère restera sans suite. Et pour cause, l’Institut International des Innovations connaît de grosses difficultés financières, notamment à cause de certains marchés passés en Afrique noire. En décembre 1981, l’officine est placée en liquidation judiciaire en France. Le projet Gazogène est aussitôt enterré.
Ce n’est qu’a posteriori, au milieu des années 80, que l’affaire sera quelque peu ébruitée, grâce à des fuites provenant du ministère de la Défense français, et dont des titres comme “Paris-Match” ou “Le Canard enchaîné” se feront l’écho, sans oublier le chercheur Roland Jacquard, spécialiste en terrorisme, qui évoquera le sujet dans l’un de ses livres (“Le marché noir de la bombe A”, éditions Carrère-Vertiges du Nord, 1986).
Ironie du sort, aucun détail du projet Gazogène, pourtant entouré de toutes les couvertures possibles, n’a échappé aux services de renseignement français. Même les fameuses conversations de Lucien Becker et de ses amis lors de leur séjour dans un palace de la capitale marocaine !
Après coup, il s’avère que le projet Gazogène, même s’il s’est terminé en queue de poisson, aurait très bien pu aboutir. Ni l’Institut international des innovations, ni encore moins le Maroc, ne l’ont pris à la légère. Le “champignon” avait toutes les chances de pousser au Maroc, malgré un détail mal réglé : la confection de la bombe se serait probablement soldée par une explosion “involontaire”, mais ruineuse, à cause d’un mauvais réglage de la goupille de sécurité ! C’était, en théorie, la seule approximation du plan Becker. Tout le reste semblait tenir la route.
Deux années durant, le Maroc y a réellement cru. L’époque, celle des années 80, si riche en conflits armés, a fait les affaires du marché noir international des armes. Le nucléaire, très en vogue, était (et reste), grâce à ses vertus dissuasives, le meilleur moyen de gagner les conflits armés ou de les éviter.
Hassan II, comme d’autres chefs d’état, a probablement dû en rêver un jour. Il n’a pas poussé le rêve plus loin, probablement faute de soutien des puissances étrangères et du “Club nucléaire” regroupant les premiers détenteurs de l’arme nucléaire.
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