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L’Algérie et les États-Unis partagent un intérêt commun pour la stabilité du Mali et du Niger. Peuvent-ils élaborer des solutions conjointes ?
Mercredi 29 novembre 2023 / Par : Thomas M. Hill
Au milieu des crises qui secouent la région du Sahel – un enchevêtrement de conflits communautaires et d’insurrections terroristes, ainsi que huit coups d’État depuis 2020 – l’attention des États-Unis et de l’Europe est tournée ailleurs : l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’expansion de l’influence chinoise et le conflit israélo-palestinien. Pourtant, une opportunité de stabilisation du Sahel, notamment au Mali et au Niger, pourrait résider dans une collaboration entre les États-Unis et l’Algérie. L’Algérie partage des frontières avec ces États en proie à la violence et souhaite, tout comme les États-Unis, les aider à se stabiliser, ainsi que leurs voisins sahéliens. Une question clé pour toute coopération américano-algérienne est de savoir si les visions des deux pays concernant la stabilité au Sahel, en particulier au Mali et au Niger, sont alignées ou contradictoires.
Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie a adopté une politique étrangère fondée sur le principe de non-intervention. Pourtant, elle a une longue tradition d’implication en tant que médiateur dans divers conflits, aussi bien dans son voisinage immédiat (comme au Mali et au Niger) qu’à l’international. Les Algériens mettent souvent en avant leur rôle dans la libération des otages américains en Iran en 1981. Cependant, son bilan en tant que pacificateur est mitigé, et certains critiques estiment que ses interventions servent avant tout ses propres intérêts.
Comment stabiliser le Mali ?
En ce qui concerne le Mali, l’Algérie a longtemps joué un rôle de médiateur entre le gouvernement malien et les groupes armés touaregs du nord, notamment à travers les accords de Tamanrasset en 1991, la médiation en 1992, les accords d’Alger en 2006 et le « Processus d’Alger » en 2015. Les cyniques soutiennent que l’implication algérienne au Mali est davantage motivée par une stratégie régionale de lutte contre le terrorisme ou par la volonté de contrôler les ressources gazières et minières du Sahel plutôt que par un véritable projet de consolidation de la paix. En effet, la répression des groupes islamistes en Algérie a poussé certains terroristes à se réfugier au Mali, notamment le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui deviendra plus tard Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Depuis plus de deux décennies, l’Algérie et les États-Unis partagent des préoccupations similaires quant à l’expansion du terrorisme au Sahel, et leur coopération en matière de contre-terrorisme a été solide. Toutefois, alors que le gouvernement malien actuel cherche à renforcer ses relations avec la Russie et le groupe Wagner, les intérêts algériens et américains pourraient diverger. La politique étrangère anticoloniale de l’Algérie a toujours visé à réduire la présence européenne dans la région, mais elle ne manifeste pas la même inquiétude face à la présence russe (ou chinoise). Cela s’explique en partie par l’alliance historique entre l’Algérie et la Russie, qui dure depuis près de 70 ans. L’Algérie est le deuxième partenaire commercial de la Russie en Afrique et achète 80 % de son armement à Moscou, ce qui en fait le troisième plus grand acheteur d’armes russes au monde. Pour les États-Unis, la présence croissante de la Russie et du groupe Wagner représente une menace directe pour leurs intérêts sécuritaires, notamment leurs opérations de drones basées au Niger voisin.
Si les États-Unis et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la stabilisation du Mali, leurs visions de la manière d’y parvenir diffèrent. Pour Alger, la résolution du conflit malien ne passe pas nécessairement par le rétablissement d’un gouvernement démocratique, mais plutôt par l’instauration d’un régime stable et coopératif dans la lutte contre l’extrémisme islamiste et la criminalité transfrontalière. L’Algérie préférerait également un gouvernement malien aligné sur ses positions concernant l’indépendance du Sahara occidental et ses engagements au sein de l’Union africaine et des Nations unies, bien que cela ne soit pas un prérequis. De son côté, Washington prône une résolution du conflit malien par un processus international légitimant un gouvernement stable et non hostile aux intérêts occidentaux. Étant donné l’alignement stratégique des États-Unis avec le Maroc, rival de l’Algérie, notamment sur la question du Sahara occidental, il serait dans l’intérêt américain de dissocier toute coopération avec Alger au Mali des autres enjeux régionaux.
Le récent retrait de la mission de maintien de la paix de l’ONU, la MINUSMA, à la demande du gouvernement malien, compromet la stabilité et la protection des civils dans la région. La Maison-Blanche a imputé cet échec à la Russie via le groupe Wagner, reconnaissant ainsi que le régime malien actuel est sous influence russe. Toutefois, si Washington et Alger parviennent à un accord où les priorités algériennes en matière de contre-terrorisme sont respectées et où les intérêts militaires américains ne sont pas menacés, une coopération en faveur d’un processus de paix au Mali reste envisageable. Une telle initiative conjointe aurait probablement plus de chances de succès que les tentatives précédentes.
Niger : l’Algérie et la CEDEAO
La situation au Niger est quelque peu différente. Le coup d’État militaire de juillet 2023 a suscité des tensions sur la manière d’y répondre. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a exigé la restauration du président renversé sous peine d’intervention militaire, tandis que les gouvernements du Mali et du Burkina Faso ont menacé de riposter militairement, risquant un conflit régional de grande ampleur.
Comme au Mali, l’Algérie est préoccupée par l’instabilité au Niger, avec lequel elle partage une frontière de 1 000 km. Si les groupes extrémistes y prospèrent, cela représente une menace directe pour sa sécurité nationale. Les États-Unis partagent cette inquiétude et maintiennent une présence militaire importante au Niger, avec plusieurs bases stratégiques. Washington considère cette présence comme essentielle pour contrer les menaces terroristes persistantes et l’influence grandissante de Wagner au Mali.
Dans ce contexte, une médiation algérienne pourrait être bénéfique aux deux parties. Toutefois, la volonté américaine de maintenir ses bases militaires au Niger pourrait entrer en conflit avec l’opposition algérienne à la présence militaire étrangère à ses frontières. Une question clé pour les décideurs américains sera donc de savoir si l’Algérie exigerait un retrait militaire américain du Niger en échange d’une coordination dans un effort de stabilisation.
En août, Alger a proposé une transition de six mois pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger avec l’adhésion de toutes les parties. Toutefois, cette initiative n’a pas abouti, soulevant la question de la légitimité de l’Algérie en tant que médiateur.
Un changement en Algérie ?
Depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika en 2019, l’Algérie a modifié sa Constitution, levant partiellement son principe de non-intervention militaire. Désormais, Alger peut, sous certaines conditions, participer à des opérations de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU, de l’Union africaine ou de la Ligue arabe.
Le Mali et le Niger représentent à la fois une menace et une opportunité pour les États-Unis et l’Algérie. Si les deux pays partagent des préoccupations sécuritaires au Mali, ils doivent trouver un terrain d’entente sur le rôle du groupe Wagner. Au Niger, il est essentiel que Washington, Alger et la CEDEAO alignent leurs objectifs. La question reste de savoir si la présence militaire américaine au Niger constituera un point de friction et si Washington et Alger parviendront à surmonter leurs différends sur le Sahara occidental.
Source : The United States Institute of Peace
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