La France et l’Algérie se disputent violemment, attisées par une campagne de haine sur TikTok et un incident diplomatique autour d’un Algérien expulsé. La France accuse l’Algérie d’encourager des influenceurs à mener une propagande antifrançaise. L’escalade du conflit, exacerbée par la position de la France sur le Sahara occidental, pourrait mettre en péril l’accord migratoire de 1968.
Sept influenceurs déclenchent une guerre des nerfs entre Paris et Alger sur TikTok
Il y a longtemps que l’ancienne puissance coloniale, la France, et son ancienne colonie, l’Algérie, ne s’étaient pas disputées avec une telle acrimonie. Mais cette fois, l’enjeu est crucial.
Toute cette haine est sur TikTok. Ces dernières semaines, les autorités françaises ont arrêté sept soi-disant influenceurs qui, dans de courtes vidéos, prononçaient des diatribes enflammées contre la France et incitaient à la violence, voire au meurtre. Ce sont des Algériens ou des binationaux avec des dizaines de milliers de followers, des petites célébrités de la diaspora algérienne en France. Ils apparaissent sous des pseudonymes : « DJ Rafik », « Imad Tintin », « Zazou Youcef ». Leur point commun ? Ils sont soudainement devenus radicaux et politiquement actifs, alors qu’ils étaient auparavant relativement discrets.
Est-il possible, comme beaucoup le soupçonnent en France, que ces influenceurs aient été incités à cette campagne de haine dans le cadre d’une opération antifrançaise concertée – et orchestrée depuis Alger ?
Même le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, se pose la question. Il refuse de tolérer les agissements de ces Tiktokeurs, affirmant que ces individus « ne doivent rien voir passer ». L’un d’eux devait être expulsé vers l’Algérie. « Doualemn », de son vrai nom Boualem Naman, 59 ans, employé comme agent d’entretien dans une école à Montpellier, comptabilise 138 000 abonnés sur TikTok.
Rupture entre Paris et Alger
Retailleau a donc envoyé deux agents français pour l’escorter sur son vol. Mais l’Algérie a refusé de laisser entrer son ressortissant dès son arrivée sur le tarmac, sans fournir d’explication. « Doualemn » et les agents ont dû repartir à Paris avec le vol suivant.
Ce fut un spectaculaire incident diplomatique. Retailleau a dénoncé une tentative d’« humiliation ». Et en même temps, ce n’était qu’un épisode mineur dans un différend bien plus vaste et profond entre l’ancienne colonie et l’ancienne puissance coloniale.
Le temps semble suspendu entre Alger et Paris, même plus de six décennies après l’indépendance de l’Algérie. Comme toujours lorsque les deux pays se querellent, le débat devient passionné et fondamental, alimenté par des accusations globales et beaucoup de propagande. C’est un peu comme deux vieux parents qui ne peuvent ni vivre ensemble ni se passer l’un de l’autre. Trop d’événements ont marqué leur histoire commune, sombre et douloureuse, notamment une longue guerre meurtrière.
Une dispute nourrie par le Sahara occidental
Cette nouvelle querelle a commencé l’été dernier. Le président français Emmanuel Macron avait adressé une lettre contenant une concession historique au Maroc, le grand rival et voisin de l’Algérie au Maghreb. Il y déclarait que l’avenir de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental – revendiquée par les deux pays – serait marocain, avec une autonomie, certes, mais sous souveraineté marocaine. Pour l’Algérie, qui héberge depuis les années 1970 plus de 150 000 réfugiés sahraouis et des combattants du Front Polisario, cette déclaration était un sacrilège.
Un revirement sur le Sahara occidental vu comme une trahison éternelle
La prise de position officielle de la France dans ce conflit autour d’un territoire riche en ressources naturelles est perçue par Alger comme une trahison irréversible. À l’automne, Macron s’est rendu au Maroc avec une demi-douzaine de ministres et plusieurs chefs d’entreprises, où il a été accueilli en ami.
Les tensions passées, le froid entre Macron et le roi Mohammed VI – tout semblait oublié en un instant. Pour le Maroc, le Sahara occidental est une question existentielle, avant tout politique. À cette occasion, les Français ont aussi décroché d’importants contrats industriels dans l’un des marchés les plus dynamiques d’Afrique.
On peut se demander pourquoi Paris a pris le risque de froisser aussi gravement Alger en adoptant cette position tranchée sur le Sahara occidental, au point que l’Algérie a rappelé son ambassadeur de Paris. Selon l’analyse française, Macron a fini par perdre patience avec les Algériens. Lorsqu’il est devenu président en 2017, il était perçu comme un « ami de l’Algérie ». Aucun chef d’État français avant lui n’avait employé des mots aussi forts pour dénoncer la colonisation, qu’il avait décrite en campagne électorale comme un « crime contre l’humanité, une véritable barbarie ».
Mais ses initiatives pour une réconciliation et un travail de mémoire ont échoué, en partie parce qu’elles ne répondaient pas aux attentes algériennes. Mais auraient-elles jamais pu être suffisantes ?
L’ancienne élite au pouvoir en Algérie utilise toujours la France comme un punching-ball, notamment lorsqu’elle subit une pression intérieure, en l’accusant de tous les maux. C’est le cas aujourd’hui, alors qu’un nouveau mouvement citoyen prend de l’ampleur sous le hashtag « Nous sommes mécontents ». Alger (et les influenceurs sur TikTok) accusent à nouveau la France d’être derrière cette agitation, affirmant que ses services de renseignement s’ingèrent dans les affaires algériennes en s’appuyant sur des opposants célèbres. L’un d’eux, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, est détenu en Algérie depuis novembre pour « atteinte à la sécurité nationale ».
Sansal, âgé de 75 ans et malade, est parfois transféré dans une infirmerie de prison. Mais jusqu’à présent, tous les appels européens en faveur de sa libération sont restés vains. « L’Algérie perd son honneur », a déclaré Macron, un commentaire qui ne contribue pas à apaiser les tensions.
L’accord migratoire va-t-il être abrogé ?
La situation est désormais si tendue que le ministre de l’Intérieur, Retailleau, soutenu par toute la droite et l’extrême droite française, réclame une révision de l’accord migratoire historique de 1968. Celui-ci facilite actuellement l’entrée des Algériens en France pour le regroupement familial et la recherche d’emploi : ils n’ont pas besoin de visa pour des séjours de longue durée. Cet accord est-il sur le point d’être annulé ?
Retailleau ne cesse de marteler cette demande, sur laquelle il bâtit sa popularité grandissante. Mais un tel accord ne peut être modifié que si les deux parties en conviennent. Or, Alger n’en a aucune intention – et encore moins dans le climat actuel. Pourquoi le ferait-il ?
Source : Tagesanzeiger (Suisse)
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