Les intentions de l’Algérie envers le Maroc (document CIA déclassifié, 1985)

Analyse de la CIA (1985) : Relations Algérie-Maroc, tensions au Sahara Occidental et pressions pour l'autonomie


Copie expurgée approuvée pour diffusion le 2010/12/28 : CIA-RDP85T01058R000506840001-3
SECRET

Agence Centrale de Renseignement
Washington. D.C. 20505
DIRECTION DU RENSEIGNEMENT

28 août 1985

Résumé

Les éléments disponibles n’indiquent pas que l’Algérie constitue la menace imminente récemment dépeinte aux responsables américains par le Premier ministre marocain. Leurs relations historiquement difficiles sont à un niveau bas en raison du conflit du Sahara occidental et de l’union politique du roi Hassan avec la Libye. Néanmoins, Alger, selon notre évaluation, ne souhaite pas que la situation se détériore au point que des hostilités militaires de grande envergure soient probables. En ce qui concerne le problème du Sahara occidental, de petites escarmouches se poursuivront probablement sans grand préavis le long du mur de défense marocain.

L’Algérie voudra maintenir la pression sur le roi Hassan pour le forcer à négocier un accord permettant une certaine autonomie du Sahara. Le plus grand danger est que ces affrontements mineurs puissent mener à une guerre non préméditée. Nous ne pensons cependant pas qu’Alger cherche activement le renversement de Hassan, ce qui pourrait engendrer un gouvernement plus hostile à Rabat. La volonté de Bendjedid de serrer la vis à Rabat pourrait également être contrainte par l’union de Hassan avec la Libye, et par le danger qu’Alger puisse soudainement faire face à des hostilités sur ses frontières est et ouest.

Ce mémorandum a été préparé par la branche Maghreb , Division arabo-israélienne, Bureau de l’analyse du Proche-Orient et de l’Asie du Sud. Il a été demandé par le bureau du vice-président. Les informations datant du 28 août 1985 ont été utilisées pour sa préparation. Les questions et commentaires doivent être adressés au chef, Division arabo-israélienne,

Dissidents marocains : un nouvel angle ?

L’incident le plus récent soulignant la rivalité entre le Maroc et l’Algérie sont les accusations de Rabat, catégoriquement démenties par Alger, selon lesquelles les Algériens tenteraient d’attiser l’instabilité politique au Maroc. La semaine dernière, le gouvernement marocain a mis en procès 17 dissidents qui, selon lui, ont été capturés en juillet après être entrés dans le pays depuis l’Algérie. Rabat affirme également que les dissidents ont été entraînés par des responsables de la sécurité algérienne.

Nous ne pouvons pas confirmer le lien algérien avec les dissidents, ni déterminer dans quelle mesure, le cas échéant, l’Algérie a apporté son soutien à d’autres dissidents marocains. Si le rôle allégué de l’Algérie est vrai, Alger pourrait en effet avoir décidé de faire pression sur le régime du roi Hassan en suscitant des troubles à l’intérieur du Maroc, plutôt qu’en essayant de faire quelque chose sur la question du Sahara occidental.

Le président Bendjedid subit la pression de ses officiers supérieurs de l’armée pour qu’il prenne des mesures plus énergiques contre le Maroc. Ils sont préoccupés par le refus de Bendjedid d’empêcher l’achèvement par Rabat d’un vaste réseau de murs de défense au Sahara occidental. Les officiers plus à gauche sont mécontents du flirt de Bendjedid avec les États-Unis et l’Occident, en particulier en raison du soutien militaire continu des États-Unis et de la France au Maroc. Ces officiers veulent donner plus d’armes aux guérilleros du Polisario et les faire poursuivre la guerre contre le Maroc avec encore plus de vigueur. Bendjedid pourrait avoir décidé de parrainer l’activité de dissidents marocains comme concession à ces officiers.

Un autre scénario est que les dissidents ont été autorisés à résider en Algérie, mais que leurs plans et activités n’ont pas été étroitement surveillés par le gouvernement. Des responsables supérieurs de la sécurité et de l’armée opposés à Bendjedid pourraient également avoir parrainé les infiltrations, s’attendant à ce qu’elles échouent, afin d’embarrasser Bendjedid en illustrant aux étrangers les contradictions de l’image de politique étrangère modérée qu’il a cherché à établir. Nous pensons que cela a peut-être été le cas avec le raid avorté prévu au printemps dernier contre la défense israélienne.

La visite d’État très attendue de Bendjedid à Washington. À notre avis, Bendjedid est trop intelligent pour avoir approuvé quelque chose voué à l’échec qui aurait eu un impact négatif sur son voyage aux États-Unis.

Héritage d’amertume

Les accusations de Rabat concernant le soutien algérien aux dissidents sont le dernier thème de la longue histoire d’antagonisme entre le Maroc et l’Algérie. Sous-jacentes au différend se trouvent des soupçons profonds fondés sur des facteurs politiques, géographiques, économiques et psychologiques. Les deux ont les populations les plus importantes et les ressources les plus abondantes du Maghreb, et chacun considère l’autre comme le principal obstacle à sa propre domination régionale. En outre, les systèmes politiques des deux pays – le socialisme révolutionnaire par opposition à une monarchie féodale – sont antithétiques.

La principale source de tension entre l’Algérie et le Maroc au cours de la dernière décennie a été la revendication de Rabat sur le Sahara occidental. Les dirigeants algériens estiment que leur assistance au Polisario est nécessaire à la fois pour contrer ce qu’ils considèrent comme l’expansionnisme marocain et pour démontrer l’engagement du pays envers les groupes étrangers qui mènent des guerres de libération nationale. Bien que l’Algérie ait remporté la bataille politique jusqu’à présent au sein de l’OUA et du mouvement des non-alignés en obtenant une large reconnaissance diplomatique de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), ses perspectives sur le champ de bataille – où l’issue sera réellement déterminée – sont sombres. L’engagement par le Maroc de 80.000 hommes et la construction du périmètre de défense au cours des deux dernières années se sont révélés efficaces pour défendre le territoire contre les attaques des 3.500 Polisarios. De plus, l’union politique du roi Hassan avec la Libye a créé une menace potentiellement nouvelle à la frontière orientale de l’Algérie, et l’Algérie devra désormais envisager une éventuelle action hostile de la Libye si elle devait être impliquée dans une crise avec le Maroc.

Alger a essayé différentes stratégies, souvent contradictoires, dans sa lutte pour contrer ces revers diplomatiques et militaires. Le président Bendjedid, plus tôt cette année, a mis l’accent sur la recherche d’une solution politique, réalisant très certainement que la campagne de bermes marocaines exclut toute semblance de victoire militaire du Polisario. Le rejet par Hassan des plans de paix algériens semble cependant avoir encouragé Alger à adopter une politique plus conflictuelle à l’égard du Maroc. Par exemple, les contacts entre les deux pays ont été réduits, et nous constatons des efforts algériens plus intensifs parmi les pays non alignés pour obtenir une plus large reconnaissance diplomatique pour le Polisario (le Libéria a récemment reconnu la RASD et certains reportages de presse suggèrent que l’Inde pourrait suivre).

La stratégie algérienne : plus de la même chose

À notre avis, cependant, le soutien continu d’Alger au Polisario et ses querelles diplomatiques avec Rabat sont les principaux éléments du programme de Bendjedid visant à harceler Hassan pour son intransigeance sur le problème du Sahara occidental. Les Algériens pensent probablement qu’ils peuvent rendre le conflit du Sahara occidental si coûteux que Hassan acceptera à un moment donné une certaine autonomie du Sahara. L’Algérie peut également prévoir que son soutien au Polisario dissuadera Hassan d’un projet plus ambitieux visant à faire revivre l’idée d’un Grand Maroc, qui inclut non seulement le Sahara occidental, mais aussi la Mauritanie et des parties du sud-ouest de l’Algérie.

Nous pensons que le gouvernement Bendjedid ne souhaite pas un conflit militaire majeur avec le Maroc. Même si l’Algérie bénéficie d’un avantage militaire écrasant le long de la frontière, ses dirigeants se rendent presque certainement compte que le terrain accidenté le long de la frontière limiterait l’action militaire à des frappes transfrontalières de l’Algérie qui pourraient conduire à une guerre d’usure prolongée. Alger peut également se rendre compte que le Maroc a un net avantage le long de la partie sud de la frontière et pourrait envahir Tindouf, le seul établissement algérien important du sud-ouest et le quartier général politique et militaire du Polisario. Rabat pourrait également lancer des frappes aériennes contre les installations stratégiques de pétrole et de gaz naturel de l’Algérie.

Scénarios alternatifs

Un certain nombre de développements pourraient contraindre l’Algérie à réévaluer sa position à l’égard du Maroc et à encourager ses dirigeants à adopter une politique encore plus dure. Une décision du roi Hassan de se livrer à une poursuite à chaud des guérilleros du Polisario en Algérie, ou éventuellement dans le nord de la Mauritanie, pourrait amener les Algériens à s’impliquer plus directement dans les combats et à utiliser son armée pour harceler les Marocains le long de la frontière nord. Cela pourrait conduire à un conflit non prémédité entre les deux pays.

Il existe d’autres scénarios moins probables qui, à notre avis, pourraient aboutir à une posture anti-Hassan plus agressive. L’achat par le Maroc de systèmes d’armes très sophistiqués, par exemple, pourrait amener Bendjedid à se sentir plus menacé et à envisager une frappe militaire préventive. Le gouvernement Bendjedid réagirait probablement militairement s’il estimait que le Maroc et la Libye planifiaient une agression contre lui, ou en représailles à un acte hostile, tel que le terrorisme. Bendjedid pourrait même envisager l’option militaire si lui et ses conseillers percevaient une implication maroco-libyenne dans une opération clandestine visant à subvertir son gouvernement.

DISTRIBUTION
: EXTERNE

1 – Donald Gregg (Bureau du vice-président)
2 – Ron Lorton (État)
1 – David Zweifel (État)
INTERNE

1 – DDI
1 – NIO/NESA
1 – C/PES
1 – Personnel du PDB
4 – CPAS/IMD/CB
1 – CPAS/ILS
1 – D/NESA
1 – DD/NESA
1 – c/pps
2 – NESA/PPS
1 – NESA/AI
2 – NESA/AI/M
DDI/NESA/AI/M/ ds/6119 (28Août85)

Source :



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