Enracinée dans l’histoire, la relation entre l’Algérie et la Russie devrait poursuivre sa coopération robuste et évolutive.
Yahia Zoubir
L’Algérie entretient des liens solides avec la Russie depuis des décennies, forgeant une relation profondément ancrée dans le soutien historique de l’Union soviétique pendant la lutte de l’Algérie pour l’indépendance vis-à-vis de la France et la construction ultérieure de son État postcolonial et de ses forces armées. Les critiques occidentales, notamment concernant les achats d’armes de l’Algérie à la Russie, négligent souvent ce contexte historique et la politique de non-alignement de l’Algérie. Malgré la guerre en cours en Ukraine en 2022, l’Algérie et la Russie ont continué de renforcer et de diversifier leurs relations. Leur partenariat stratégique renforcé de juin 2023, signé lors de la première visite officielle du président Abdelmadjid Tebboune en Russie, comprend de nouveaux domaines de coopération tels que l’agriculture, l’énergie et le commerce, c’est-à-dire une coopération allant au-delà de la coopération militaire exceptionnellement forte.
La visite de Tebboune en Russie, malgré les critiques européennes et américaines, a souligné l’engagement de l’Algérie envers une politique étrangère indépendante. Cette visite a mis en évidence l’importance des relations Algérie-Russie et l’offre de Tebboune de servir de médiateur entre la Russie et l’Ukraine, que le président Vladimir Poutine a saluée. L’Algérie est reconnue pour sa médiation efficace entre les parties en conflit, mais il n’y a aucune preuve qu’elle s’engage dans une médiation entre la Russie et l’Ukraine.
La relation contemporaine de l’Algérie avec la Russie remonte au XIXe siècle, lorsque l’émir Abdelkader, figure clé de la lutte anticoloniale algérienne et souvent considéré comme le fondateur de l’État algérien, a établi des contacts avec la Russie pendant son exil en Syrie. Pendant la guerre d’indépendance de l’Algérie (1954-1962), l’Union soviétique a soutenu le Front de libération nationale (FLN) et son Armée de libération nationale (ALN). L’Algérie post-indépendance s’est naturellement rapprochée de l’Union soviétique, principalement en raison du soutien américain au Maroc pendant la « guerre des Sables » algéro-marocaine de 1963 et du refus des États-Unis et de la France de vendre des armes avancées à l’Algérie. Ce partenariat avec la Russie a été encore consolidé par une méfiance mutuelle à l’égard des États-Unis et de la France, conduisant à une relation politique, militaire, énergétique et, plus récemment, économique, prudente mais étroite avec Moscou.
Les années 1990 ont vu un renouveau des relations Algérie-Russie après que les deux nations ont été confrontées à d’importants défis intérieurs. L’Algérie a enduré de violentes luttes civiles et des troubles économiques, tandis que la Russie a fait face à la dissolution de l’Union soviétique et à des changements politiques et économiques majeurs. Le renouvellement des liens avec l’Algérie a permis à la Russie de rétablir une présence au Maghreb, d’accroître son influence en Méditerranée et d’obtenir des points d’ancrage économiques et politiques en Afrique. En 2001, l’Algérie est devenue le premier pays arabe et africain à signer un « Accord de partenariat stratégique » avec la Russie, visant à renforcer les liens politiques, économiques et militaires.
Coopération militaire
La coopération militaire a été la pierre angulaire de la relation Algérie-Russie, l’Algérie dépendant fortement de l’équipement et de l’expertise militaires russes. Cette coopération a permis à l’Algérie d’accéder à des armements et à une formation avancés, renforçant ainsi ses capacités de défense. Les exercices militaires conjoints et l’échange d’expériences en matière de contre-terrorisme ont encore renforcé les liens militaires entre les deux pays. Entre 2018 et 2022, l’Algérie a acheté 73 % de son équipement militaire à la Russie. De 2016 à 2020, les achats d’armes de l’Algérie, d’un montant de 4,2 milliards de dollars, ont représenté 14,9 % des ventes d’armes de la Russie, faisant de l’Algérie le troisième client d’armes de la Russie après l’Inde et la Chine. Cette forte dépendance à l’égard des fournitures militaires russes nécessite des relations bilatérales solides, le personnel russe assurant la maintenance et la formation des forces algériennes.
La Russie propose à l’Algérie des armes modernes à des coûts inférieurs et sans les conditions généralement attachées aux ventes d’armes occidentales. L’Algérie a acquis des armes avancées telles que les chasseurs furtifs Su-57 et le système S-400, bien qu’il n’y ait aucune preuve avérée qu’elle ait reçu des livraisons de ce système en provenance de Russie. Malgré l’augmentation des équipements militaires de haute technologie en provenance de Russie depuis 2021, l’Algérie n’a pas obtenu d’autorisations de fabrication locale ni de transferts de technologie de la Russie, contrairement à d’autres fournisseurs comme l’Allemagne, la Chine et l’Italie. L’Algérie et la Russie ont également mené des exercices militaires conjoints, en commençant par un exercice de contre-terrorisme en Ossétie du Nord en 2021, suivi d’exercices navals en Méditerranée et d’une participation aux exercices militaires stratégiques russes « Vostok-2022 ».
La neutralité de l’Algérie dans le conflit ukrainien est motivée par ses liens historiques avec l’Ukraine et sa dépendance à l’égard de la Russie pour la défense nationale. Bien que l’Algérie ait implicitement condamné l’intervention de la Russie, en soulignant la nécessité de respecter la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale, elle s’est opposée aux sanctions unilatérales contre la Russie. La guerre russo-ukrainienne a mis à l’épreuve les principes de souveraineté et de non-intervention de l’Algérie, mais l’Algérie continue d’entretenir des relations étroites avec Moscou tout en rassurant ses partenaires européens de son engagement à accroître la production de gaz naturel.
Diversification économique et perspectives d’avenir
La dimension économique de la relation Algérie-Russie a également connu des développements importants, les deux pays explorant de nouveaux domaines de coopération. Le partenariat stratégique renforcé témoigne d’un intérêt mutuel à diversifier leurs liens économiques au-delà de l’accent traditionnel mis sur la coopération militaire. L’agriculture, l’éducation, la technologie spatiale, la technologie nucléaire civile et le commerce sont apparus comme de nouveaux domaines de collaboration, offrant des possibilités aux deux pays de tirer profit des forces de l’autre. Le volume des échanges bilatéraux a augmenté de près de 70 % en 2022. Le rôle de l’Algérie en tant que fournisseur de gaz à l’Europe a également pris de l’importance, notamment dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne. Bien que l’Algérie ne puisse pas remplacer entièrement les approvisionnements de gaz russe à l’Europe, son augmentation de production a contribué à atténuer certaines des perturbations causées par le conflit. Au cours des vingt dernières années, l’Algérie et la Russie se sont engagées dans une collaboration importante au sein de l’industrie des hydrocarbures, mais elles se retrouvent également en tant que rivales sur le marché de l’exportation de gaz naturel. L’Algérie a démontré son intention de préserver son autonomie en tant que fournisseur d’énergie important. La Russie n’a pas exprimé d’opposition aux efforts de l’Algérie pour s’imposer comme un fournisseur alternatif de gaz à l’Europe, dont les importations en provenance de Russie ont considérablement diminué, considérant que cette question relève strictement du commerce. Mais Moscou est conscient que l’Algérie ne peut pas à elle seule répondre à la demande de l’Europe.
L’approche pragmatique de l’Algérie à l’égard du conflit ukrainien souligne son engagement à maintenir une politique étrangère indépendante, exempte d’alliances avec quelque puissance que ce soit. En équilibrant ses relations avec la Russie et ses partenaires européens, l’Algérie a réussi à naviguer dans un paysage géopolitique complexe. Cette approche est conforme à sa politique de non-alignement de longue date, qui lui a permis de s’engager avec de multiples puissances mondiales sans être liée à un seul bloc. L’offre de médiation entre la Russie et l’Ukraine témoigne de la volonté de l’Algérie de jouer un rôle constructif dans la diplomatie internationale, malgré les défis et les critiques auxquels elle est confrontée.
L’avenir des relations Algérie-Russie semble favorable, les deux pays faisant preuve d’une volonté d’étendre leur coopération à de nouveaux domaines. La convergence de vues sur des questions internationales clés, telles que le conflit israélo-palestinien, constitue une base solide pour une collaboration continue. Le mandat de deux ans de l’Algérie au Conseil de sécurité des Nations unies et sa participation au groupe des pays exportateurs d’énergie de l’OPEP+ offrent des plateformes supplémentaires de coopération. L’engagement commun en faveur d’un ordre mondial multipolaire aligne davantage les intérêts de l’Algérie et de la Russie, renforçant leur partenariat dans un environnement mondial en rapide évolution. Cependant, indépendamment des relations étroites, les Algériens sont opposés à ce qu’ils appellent les « mercenaires de Wagner » en Libye et au Sahel, notamment au Mali. La présence de mercenaires est inacceptable pour l’Algérie et complique des relations algéro-maliennes déjà difficiles. Du point de vue de l’Algérie, l’approche tout-sécuritaire de la crise dans le nord du Mali entrave les perspectives de réconciliation nationale entre les différentes parties, tout en créant davantage d’instabilité à la frontière algérienne, ce que les Algériens considèrent comme une grave menace pour la sécurité nationale. L’Algérie a très probablement soulevé cette question avec Moscou.
Équilibrer les liens historiques avec la Russie face aux pressions mondiales
La politique de non-alignement de longue date de l’Algérie lui permet de maintenir et d’étendre ses relations avec la Russie tout en s’engageant avec d’autres puissances mondiales comme les États-Unis, la Chine et l’Union européenne. L’amitié historique entre l’Algérie et la Russie, associée à leurs vues communes sur un ordre mondial multipolaire et sur le conflit israélo-palestinien, suggère que leurs liens bilatéraux continueront de se développer. La convergence de vues sur la question palestinienne, un aspect clé de la politique étrangère de l’Algérie, renforcera également cette coopération. Malgré les risques, l’Algérie reste attachée à sa politique étrangère indépendante et à ses liens durables avec la Russie. Cependant, cette politique indépendante pourrait évoluer en raison du soutien que les États-Unis, l’Espagne et, plus récemment, la France ont apporté à l’occupation du Sahara occidental par le Maroc et à la reconnaissance de sa souveraineté, nonobstant les résolutions des Nations unies sur la question. Cet alignement occidental sur le Maroc est perçu par Alger comme une menace pour sa sécurité nationale et un mépris total de ses intérêts fondamentaux. Cela poussera inévitablement l’Algérie à se couvrir auprès de la Russie et de la Chine et à renforcer ses relations avec le Sud global. Les changements dans le système international et les pressions sur l’Algérie n’affecteront pas le partenariat durable du pays avec la Russie. Au contraire. Lors de sa visite à Moscou, Tebboune a souligné que l’indépendance de l’Algérie avait été renforcée par la « forte [assistance] » de la Russie, notre armement et la défense de notre liberté dans des circonstances régionales très difficiles ». Ainsi, l’Algérie et la Russie continueront certainement à s’appuyer sur leur histoire commune et leurs intérêts communs, renforçant leurs liens dans les années à venir.
Source : ISPI (Istituto per gli Studi di Politica Internazionale), 4 Sep 2024
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