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Introduction
Les péripéties de la question nationale au cours des trois dernières années soulignent lʼimportance pour le Maroc de revoir son jeu dʼalliance parmi les puissances déterminantes au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
La physionomie du Conseil de sécurité et la portée des débats en son sein reflètent un effritement de la mainmise des P3 Etats-Unis, de la France et du Royaume Uni sur la gestion du dossier du Sahara et un retour en force de la Russie et de la Chine.
Il importe donc pour le Royaume de renforcer son partenariat stratégique avec la Russie.
Ce renforcement ne doit pas être conçu comme une alternative aux relations fortes avec dʼautres membres permanents (France/ Etats Unis). Il sʼagit plutôt de compléter ces alliances traditionnelles et de diversifier les partenariats en tenant compte des réalités changeantes internationales et des intérêts supérieurs du Royaume.
Certes :
Le Maroc ne partage pas avec la Russie autant de valeurs quʼavec ses alliés traditionnels.
Sur un certain nombre de questions régionales et internationales, la position du Maroc est divergente avec celle de la Russie (Syrie, Iran etc.).
Toutefois :
La Russie est un acteur incontournable du Conseil de sécurité.
Elle a une perception de lʼaction de lʼONU proche de celle du Maroc.
Elle défend aujourdʼhui les principes défendus par le Maroc.
Cʼest dans ce contexte quʼil convient dʼanalyser la position Russe dans ce dossier, dʼidentifier les déterminants qui motivent cette position et dʼexplorer les voies à même de lʼoptimiser, notamment à travers le renforcement des mécanismes de partenariat qui lient le Royaume à la Russie.
La question du Sahara : Un élément du positionnement de la Russie sur la scène internationale
1. Pour la Russie, la question du Sahara a toujours fait partie du jeu géopolitique global sur la scène internationale. Elle a également constitué un levier pour la promotion des intérêts de ce pays aussi bien avec le Maroc quʼavec lʼAlgérie. Elle représente enfin un élément qui permet à Moscou dʼassoir son influence dans la région.
2. Si la Russie nʼa jamais été activement entreprenante sur ce dossier, il nʼen demeure pas moins quʼelle a toujours veillé à garder son influence sur cette question.
3. Ainsi, à lʼanalyse de lʼévolution chronologique de la position russe trois étapes peuvent être distinguées: de 1975 à 1998, de 2000 à 2006 et de 2007 à ce jour.
DE 1975 À 1998: APPUI IDÉOLOGIQUE À LʼAUTODÉTERMINATION
4. Les considérations géopolitiques liées à la guerre froide ont largement modelé la position de lʼUnion des Républiques Socialistes Soviétiques sur la question du Sahara durant les années 70. A cette époque, il sʼagissait tout simplement dʼune rivalité évidente entre les clans occidental et oriental.
LʼURSS soutenait inconditionnellement les pays de sa «sphère dʼinfluence».
De par leur choix politique socialiste, lʼAlgérie et la Libye, notamment, relevaient alors de cette sphère. Dʼun autre côté, lʼURSS sʼopposait de manière systématique à toute initiative américaine ou occidentale.
5. Dans ce contexte, la question du Sahara était alors perçue comme un « conflit satellitaire ». Le soutien politique à la position de lʼAlgérie était évident. Lʼéquipement militaire et lʼarmement étaient assurés, principalement, à travers la Libye de Kaddafi et la formation lʼétait par Cuba.
6. Lʼappui de lʼex-URSS à la thèse dʼautodétermination dans la question du Sahara, tant à lʼAssemblée Générale quʼau Conseil de sécurité, était le corollaire de son rôle de leader du mouvement dʼémancipation des peuples opprimés par la colonisation et qui trouvait du côté dʼAlger un relai en Afrique.
Toutefois, la politique de modération adoptée par le Maroc et sa recherche permanente dʼun équilibre dans ses relations étrangères, a conduit Moscou à atténuer ses positions sur le Sahara, et éviter un protagonisme excessif aux dépens de ses relations avec le Maroc.
DE 1998 À 2006 : APPUI AUX EFFORTS DE LʼON U POUR PARVEN I R À UN E SOLUTI ON POLI TI QUE, M UTUELLEM EN T ACCEPTABLE
7. Lʼeffondrement du mur de Berlin, conjugué à lʼéclatement de lʼURSS et à lʼéchec du model socialiste sʼest accompagné dʼun affaiblissement de la Russie.
8. La puissance idéologique et militaire soviétique faisait désormais partie dʼun passé révolu. La bipolarité qui avait caractérisé le monde après la seconde guerre mondiale, a laissé place à une suprématie idéologique, militaire et économique occidentale conduite par les Etats-Unis dʼAmérique.
9. Avec ses réalités économiques peu reluisantes exposées au grand jour, et confrontée à une période de transition politique et économique fragile, la Russie a vu son influence diminuer considérablement au sein des Nations Unies et, en particulier, au Conseil de sécurité et sʼest quasi-limitée à quelques questions quʼelle considérait comme ses intérêts supérieurs.
10. A lʼAssemblée Générale des Nations Unies et durant cette période, les Résolutions sur la question du Sahara ont été toujours adoptées sans vote, à lʼexception de celles en 2004 et en 2006 qui avaient été soumises au vote. En ces deux occasions, la Russie avait voté en faveur des deux résolutions, alors que le Maroc invitait les Etats membres des Nations Unies à sʼabstenir sur lesdits projets.
11. Au niveau du Conseil de sécurité, toutes les résolutions ont été votées par consensus, à lʼexception des résolutions 1282 (1999) et 1301 (2000), adoptées respectivement par 14 vois pour (dont la Russie), 1 contre (la Namibie) et par 12 vois pour (dont la Russie), 1 contre (la Namibie) et 2 abstentions (la Jamaïque et le Mali). Ces deux résolutions ont établi lʼinapplicabilité de la mise en œuvre du plan de règlement, en raison des divergences fondamentales entre les points de vue des parties.
12. Par occasions, la position russe avait même été favorable au Maroc. En effet, lors du vote de la Résolution 1541 en avril 2004, la Russie avait inclus le terme « solution optimale reposant sur un accord entre les deux parties1 » pour limiter la primauté du Plan Baker I I , laissant la voie ouverte à dʼautres solutions.
13. Le vote favorable de la Russie à toutes les résolutions adoptées durant cette période illustre, du moins en apparence, son soutien aux efforts entrepris par les Nations Unies en vue de parvenir à une solution politique, définitive et mutuellement acceptable au différend régional sur le Sahara.
DE 2007 À CE JOUR: NEUTRALITÉ POSITIVE ET SOUTIEN AU PROCESSUS POLITIQUE DE NÉGOCIATIONS
14. Lʼattitude de la Russie durant cette période pourrait être qualifiée de neutralité positive lors de lʼexamen de la question du Sahara par le Conseil de sécurité.
15. Ainsi, lors du vote de la résolution 1813 (2008) du Conseil, la Russie a joué un rôle crucial dans le maintien et la consolidation des paramètres dʼimplication des Nations Unies, à travers la MINURSO, dans le différend régional sur le Sahara, en sʼopposant à lʼinclusion de toute référence à la question des droits de lʼhomme dans la résolution, à tel enseigne quʼelle a été vivement critiquée par le Représentant de Costa Rica.
16. En effet, le Représentant du Costa Rica avait déclaré, le 30 avril 2008, que :
«A ujourdʼhui, à notre grande surprise, le représentant de la Fédération de Russie a menacé dʼexercer son veto technique à toute mention des droits de lʼhomme, alorsqueles deux parties selancent des accusations mutuelles sur la question des droits delʼhomme, et alors que cette question a été soulevée par plusieurs délégations pendant les consultations et quʼelle est mentionnée à denombreuses reprises dans les rapports du Secrétairegénéral».
1 Réaffirme son soutien au Plan de paix pour lʼautodétermination du peuple du Sahara occidental, qui constitue une solution politique optimale reposant sur un accord entre les deux parties;
17. Lors du vote sur la résolution 1871 (2009) du Conseil, le Représentant russe au Conseil a indiqué que «la position de la Russie sur la question du Sahara occidental demeure inchangée. «Nous sommes favorables à la recherche dʼun règlement juste, durable et mutuellement acceptable de cette question, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité et en vertu du principe selon lequel les parties doivent consentir à tout mécanisme proposé pour régler cette question».
18. Lors de lʼexamen de la question du Sahara en 2013 par le Conseil de sécurité, le Représentant de la Russie a souligné que son pays encourage une solution politique mutuellement acceptable basée sur les résolutions du Conseil de sécurité et le respect de la Charte de lʼONU.
19. Il a ajouté que la Russie reconnaît la difficulté de la négociation, tout en soulignant quʼil nʼy a pas dʼautres voies. Dʼoù la nécessité de chercher un compromis. Il a insisté sur le respect des dispositifs du Chapitre VI en vertu duquel est traitée la question du Sahara.
20. Il est inacceptable de tenter dʼimposer des recettes de lʼétranger aussi agréables quʼelles puissent paraître.
21. Lors de lʼexamen de la question du Sahara en 2014 par le Conseil de sécurité, le Représentant de la Russie a signalé que la position de la Russie est inchangée, en précisant que Moscou regrette que la situation nʼait pas évolué. Il a affirmé que son pays refuse le statut quo ainsi que tout acte portant atteinte à la solution politique.
22. Il a déclaré que la Russie encourage une solution politique mutuellement acceptable, basée sur les résolutions du Conseil de sécurité. De même, il a indiqué que la MINURSO doit respecter son mandat et quʼil est inacceptable de politiser la question des droits de lʼhomme.
23. La position pondérée et constructive de la Russie sʼest manifestée, en particulier, lors du vote sur la résolution 1920 (2010) du Conseil, au moment où les adversaires de lʼintégrité territoriale du Maroc poussaient fortement en faveur dʼun élargissement du mandat de la MINURSO, pour y inclure une composante «droits de lʼhomme».
24. Ainsi, le représentant russe a mis en exergue ce qui suit : «La Fédération de Russie a participé à lʼélaboration de cette résolution et, de ce fait, a pris conscience de la nécessité dʼélaborer une décision du Conseil de sécurité qui garantirait la réalisation de progrès dans le processus de négociations et qui pourrait sʼavérer utile pour lʼEnvoyé personnel du Secrétaire général, M. Christopher Ross, dont nous appuyons les efforts».
25. Il a précisé que « la décision prise par le Conseil de sécurité répond à ce besoin. La résolution respecte un bon équilibre entre les intérêts des deux parties et leur permettra de préserver et, nous lʼespérons, de consolider les progrès en vue de trouver une solution juste, durable et mutuellement bénéfique au problème du Sahara occidental. Nous sommes convaincus que cette résolution répond aux critères dʼimpartialité et dʼobjectivité et, dans la mesurela plus largepossible, tient compte des vues des parties.
Nous pensons que la résolution adoptée aujourdʼhui permettra, avec lʼappui de lʼONU, de réaliser plus facilement des progrès dans le processus de règlement de la situation concernant leSahara occidental.»
ELEMENTS DETERMINANTS DE LA POSITION RUSSE
26. Si les considérations géopolitiques issues de la guerre froide ont largement imprimé la position soviétique et, plus tard, russe durant la première étape (1975-1998), elles nʼont pas, pour autant, totalement disparu durant les deux étapes ultérieures.
27. Toutefois, la question du Sahara a continué à intéresser Moscou et ce pour différentes raisons.
ÉQUILIBRE ENTRE LE MAROC ET LʼALGÉRIE
28. Lʼabandon du modèle socialiste et lʼadoption de lʼéconomie de marché a poussé la Russie à diversifier ses partenaires économiques et ses débouchés commerciaux.
29. Un rapprochement sʼest opéré entre le Maroc et la Fédération de Russie, illustré par la visite de Sa Majesté le Roi à Moscou en octobre 2002 et la signature dʼune déclaration sur le Partenariat stratégique. Le Président Poutine a également effectué une visite officielle au Maroc en septembre 2006. Les relations ont connu un développement quantitatif et qualitatif. Aujourdʼhui, le Maroc est le plus grand partenaire commercial de la Russie2 en Afrique et dans le monde arabe. Et pour cause, les tissus économiques des deux pays sont différents et permettent une complémentarité avec un potentiel important et une balance commerciale largement favorable à la Russie. Ceci est moins évident avec son partenaire traditionnel, lʼAlgérie.
30. En effet, si Moscou veille à maintenir un équilibre dans ses relations avec Rabat et Alger3, la Russie et lʼAlgérie sont plutôt concurrentes dans leur produit phare; les hydrocarbures. Ainsi, à lʼexception des équipements militaires où lʼAlgérie demeure un client stratégique4 pour la Russie, le potentiel commercial bilatéral demeure limité.
31. Toutefois, consciente de lʼimportance que revêt la question du Sahara aussi bien pour le Maroc que pour lʼAlgérie, Moscou nʼhésite pas à en tirer un profit économique auprès des deux partenaires.
32. Cette situation conforte la thèse quʼun gel du différend sur le Sahara sert en fait les intérêts de la Russie.
LES NATIONS UNIES : CADRE PRIVILÉGIÉ POUR LA RÉSOLUTION DES QUESTIONS INTERNATIONALES
33. Avec la perte de lʼinfluence que lʼempire soviétique détenait à travers le monde, la Russie nʼa plus que son droit de véto et de son siège permanent au Conseil de sécurité comme seuls garants dʼun positionnement dans le monde. Cet organe onusien lui permet de protéger ses intérêts et de sʼopposer à toute menace.
2 En 2012, la Russie a été le 6ème fournisseur du Maroc avec plus de 20 milliards dhs et 19ème client avec à peine 2 milliards.
3 Lors dʼune visite à Moscou du président Bouteflika, le 14 avril 2001, les pays ont signé une déclaration de partenariat stratégique
4 L’Algérie est le deuxième plus grand importateur d’armes russes avec 1,9 milliard de dollars en 2013
34. Ainsi, Moscou tient à ce que la question du Sahara soit gérée au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies et loin de toute médiation où elle a tout à perdre face à dʼautres partenaires comme les Etats Unis, la France ou le Royaume Uni.
35. Par ailleurs, la gestion de ce dossier au sein du Conseil de Sécurité permet à la Russie dʼavoir une présence physique sur le territoire à travers une participation active au sein de la MINURSO.
36. Cette participation a été constante depuis 1993 sous forme dʼobservateurs militaires dont le nombre a toujours oscillé entre 17 et 25 personnes, ce qui fait de la Russie un des premiers contributeurs en personnel de la MINURSO.
37. En insistant sur le traitement de la question dans le cadre du Chapitre 6 et en conditionnant toute solution par lʼadhésion de lʼensemble des parties5, la Russie offre ainsi la possibilité au polisario et à lʼAlgérie de sʼobstiner indéfiniment sur leur position obsolète et maintenir le statu quo.
38. Si le rejet par la Russie de lʼélargissement du mandat de la MINURSO aux droits de lʼHomme, donne lʼimpression quʼil sert les intérêts du Maroc, il conforte en fait la position russe qui sʼoppose à lʼutilisation des droits de lʼHomme pour des fins politiques.
COMMENT OPTIMISER LA POSITION RUSSE
39. Pour atteindre cet objectif, le Maroc doit :
a. Renouveler, enrichir et diversifier son partenariat stratégique avec la Russie, lʼobjectif étant de créer des intérêts importants et structurants dans tous les domaines de coopération (paix et sécurité, relations économiques et investissements, armement etc.)
b. Impliquer la Russie dans des actions au Sahara à lʼinstar de ce qui existe déjà dans le domaine de la pêche. La prospection pétrolière, les phosphates, lʼénergie, le développement touristique sont, entre autres, de secteurs qui pourraient être concernés dans ce sens ;
c. Renforcer la concertation avec Moscou sur les dossiers concernant lʼAfrique et le monde arabe ; Renforcer la coopération sur la sécurité spirituelle qui constitue un défi important pour la Russie au Caucase.
40. En contrepartie, la Russie pourrait garantir un gel du dossier du Sahara au sein de lʼONU, le temps pour le Royaume de mener des actions fortes avec des faits irréversibles de la marocanité du Sahara.
Source :
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