Le revirement du Ghana envers le peuple sahraoui mine la solidarité continentale

La décision de suspendre les relations avec la RASD présentée comme une mesure visant à « supprimer tout obstacle » au règlement du différend du Sahara occidental sous les auspices des Nations unies, a été comparée à une controverse similaire au Kenya il y a deux ans, à la suite de l'investiture du président William Ruto.

La suspension des relations diplomatiques du Ghana avec la République arabe sahraouie démocratique suscite de vives critiques.

par Nicholas Mwangi

Juste avant que John Dramani Mahama ne prête serment le 7 janvier 2025, marquant le début de sa présidence, une décision diplomatique de l’administration sortante de Nana Akufo-Addo a surpris beaucoup au Ghana et au-delà. Un communiqué publié par le ministère des Affaires étrangères à la veille de l’investiture a annoncé la suspension des relations diplomatiques du Ghana avec la République arabe sahraouie démocratique (RASD).

Le communiqué stipule : « Le ministère des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale de la République du Ghana présente ses compliments à l’ambassade de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en référence aux efforts visant à trouver une solution acceptable au différend du Sahara occidental sous les auspices des Nations unies, y compris la suppression de tout obstacle pouvant nuire au règlement final du différend, tient à informer que la République du Ghana a décidé de suspendre ses relations diplomatiques avec la RASD. »

Cette décision, présentée comme une mesure visant à « supprimer tout obstacle » au règlement du différend du Sahara occidental sous les auspices des Nations unies, a été comparée à une controverse similaire au Kenya il y a deux ans, à la suite de l’investiture du président William Ruto. Le lendemain de l’entrée en fonction de Ruto, le Kenya a annoncé qu’il rompait ses liens avec la RASD, une décision qui a rapidement suscité un tollé général et qui a ensuite été annulée par le ministère des Affaires étrangères. Le gouvernement kényan a précisé que sa position restait conforme à la Charte de l’Union africaine (UA), qui reconnaît le droit à l’autodétermination de tous les peuples. Néanmoins, la décision du Kenya d’ouvrir une ambassade au Maroc en 2024 témoigne d’un réchauffement des relations avec Rabat. L’étrange coïncidence de calendrier et d’actions entre les deux pays soulève des questions quant à la stratégie diplomatique du Maroc.

La revendication du Maroc sur le Sahara occidental est contestée depuis longtemps, le territoire étant reconnu par les Nations unies comme un territoire non autonome en attente de décolonisation. La RASD, proclamée en 1976 par le Front Polisario, affirme sa souveraineté sur le Sahara occidental et est reconnue par l’Union africaine (UA) et de nombreux pays dans le monde. Pourtant, le Maroc a systématiquement cherché à saper la légitimité de la RASD, en tirant parti de partenariats économiques et d’accords bilatéraux pour rallier des nations à sa cause.

Le départ du Ghana de la solidarité panafricaine

Pour le Ghana, cette décision est particulièrement choquante, compte tenu de son héritage historique de panafricanisme et de solidarité avec les pays africains dans leur lutte pour l’indépendance. Sous Kwame Nkrumah, le Ghana a défendu les causes de l’anticolonialisme et de l’autodétermination, en apportant son soutien aux mouvements en Afrique et au-delà. La reconnaissance de la RASD en 1979 était la continuation de cet héritage, réaffirmant l’engagement du Ghana en faveur de la justice et de la décolonisation.

Le Mouvement socialiste du Ghana (MSG) a dénoncé cette décision comme une trahison du peuple de la République arabe sahraouie démocratique et de l’Afrique, accusant l’administration Akufo-Addo de faire avancer les intérêts des puissances impérialistes occidentales, au détriment des aspirations du peuple sahraoui. Il note également que cette décision perturbe la solidarité nationale, régionale et continentale de longue date avec la RASD dans ses luttes anticoloniales, la décrivant comme un « coup de départ ignoble » visant à aider le Maroc dans son emprise coloniale sur le Sahara occidental.

Le communiqué publié par le MSG a également contextualisé la manière dont l’occupation coloniale du Maroc a commencé en 1976 après le retrait espagnol du Sahara occidental. Cette occupation a été marquée par la répression, le déplacement de la population sahraouie dans des camps de concentration désertiques et le refus d’organiser un référendum promis de longue date sur le statut du territoire, comme le prévoient de nombreuses résolutions de l’ONU. Le communiqué a également condamné le rôle de la France dans le soutien aux revendications du Maroc, accusant le président Macron de manœuvrer sous le couvert de la souveraineté marocaine tout en limitant l’autonomie et les protections des droits de l’homme pour le peuple sahraoui.

Kamal Fadel, représentant de la RASD auprès de l’Australie et du Pacifique, a exprimé sa profonde déception face à la décision du Ghana, déclarant à Peoples Dispatch : « Je suis profondément surpris par cette décision, qui n’est pas conforme à la politique étrangère de longue date et de principe du Ghana. Depuis 1979, le Ghana a formellement reconnu la RASD, et cette reconnaissance est fondée sur l’engagement de la République du Ghana en faveur de la décolonisation, de l’autodétermination et du respect du droit international. Aucun développement significatif n’est survenu dans le conflit du Sahara occidental pour justifier un tel changement inattendu dans la position du Ghana. »

Fadel a également souligné les liens historiques du Ghana avec les mouvements de libération, notamment sa reconnaissance précoce du Congrès national africain (ANC) et de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (SWAPO) comme représentants légitimes de leurs peuples pendant l’apartheid et le régime colonial. Il a souligné que la suspension des relations diplomatiques avec un membre de l’Union africaine (UA) sape ces valeurs communes et crée un dangereux précédent pour la solidarité intra-africaine.

« J’espère que le gouvernement du Ghana reconsidérera cette décision à la lumière de son rôle historique de champion de la justice, de l’autodétermination et de l’unité africaine », a poursuivi M. Fadel. « Le peuple du Sahara occidental, qui a enduré des décennies d’occupation et d’injustice, continue de se tourner vers le Ghana et la communauté internationale pour obtenir solidarité et soutien dans sa quête de liberté. »

Le rôle du Ghana dans la défense de l’autodétermination

La volonté du Maroc d’obtenir une « autonomie limitée » pour le Sahara occidental sous sa souveraineté, par opposition à une indépendance totale, peut s’aligner sur les intérêts des impérialistes, comme la France, mais constitue une violation directe du droit international. Ce plan a été rejeté par le Front Polisario, qui réclame l’indépendance totale. La Cour internationale de justice (CIJ) a explicitement déclaré qu’il n’existe aucun fondement juridique à la revendication du Maroc sur ce territoire. Les Nations unies ont également affirmé le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination par le biais de plusieurs résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’ONU.

La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) a été créée en 1991 pour superviser la paix et organiser un référendum d’autodétermination afin de déterminer l’avenir de la RASD. Cependant, le rejet persistant du référendum par le Maroc a freiné sa progression pendant des décennies.

L’avenir des relations diplomatiques du Ghana avec la RASD dépend désormais du président Mahama, qui doit définir la position de son administration. Le monde observe attentivement pour voir s’il choisira d’annuler la suspension. Le rétablissement des liens réaffirmerait l’engagement historique du Ghana et son adhésion aux principes de l’UA.

La cause sahraouie reste un symbole puissant de résistance contre le colonialisme et l’impérialisme pour une grande partie du continent africain.

Nicholas Mwangi est membre de la bibliothèque Ukombozi au Kenya.

Source : Peoples Dispatch, 16 janvier 2025

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