L’histoire de Panzeri avec le Maroc en deux temps

Un hacker a réussi à extraire une correspondance interne dense entre la diplomatie marocaine et le ministre des Affaires étrangères de Rabat, afin de le tenir constamment informé de la “Mission du Royaume du Maroc” à Bruxelles, en lien avec la question stratégique du Sahara occidental : un territoire disputé avec le Front Polisario, mais extrêmement précieux pour le gouvernement marocain qui y exploite les phosphates (l’« or blanc »).

En 2015 :

Sous le titre de Maroc : Quand Panzeri succombe aux délices du cous-cous, le quotidien algérien L’Expression écrivait le 12 janvier 2015 :

Le président de la délégation Maghreb au Parlement européen, Pier Antonio Panzeri, s’illustre de nouveau par un parti pris flagrant pour la monarchie marocaine au détriment du peuple sahraoui privé de sa terre et de son droit à l’autodétermination. Après avoir étalé, en mars 2014, sa connivence avec le Makhzen, suite à un déplacement suspect à Dakhla, en territoire sahraoui occupé, sans être mandaté pour cela par le Parlement européen, Pier Antonio Panzeri récidive en essayant d’occulter, cette fois-ci, la situation critique des droits de l’homme dans les territoires sahraouis occupés, dans un rapport sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie dans le monde et la politique de l’Union européenne en la matière pour l’année 2013.

Déjà en 2011, selon ce que révèlent les documents officiels marocains confidentiels diffusés par le hacker Chris Coleman, l’ambassadeur du Maroc à Bruxelles avait demandé, dans un courrier «urgent et confidentiel» adressé au ministre des Affaires étrangères, que Pier Antonio Panzeri soit entouré de tous les égards compte tenu de la charge qu’il assume au sein du Parlement européen et des implications potentielles sur ce que le Makhzen qualifie de «cause nationale». En 2013 et 2014, Panzeri ne faisait même plus mystère de ses accointances avec le Makhzen. Son déplacement à Dakhla en mars 2014 lui a même valu un «wissam» que Mohammed VI a bien voulu lui consentir. En tentant de masquer la réalité des traitements dégradants, voire inhumains, que subissent les Sahraouis dans les territoires occupés, le président de la délégation Maghreb au Parlement européen reste fidèle à ses engagements avec le Maroc.



Cette fois, il innove en usant d’artifices et en s’arrangeant pour rédiger un rapport qui ignore les situations traditionnellement abordées. Un subterfuge que des eurodéputés ont dénoncé en décidant d’introduire de nombreux amendements en faveur du respect des droits de l’homme au Sahara occidental dans le cadre du projet de résolution du Parlement européen sur le rapport annuel 2013 de l’Union européenne sur la situation des droits de l’homme et de la démocratie dans le monde. Ils estiment que le président de la délégation Maghreb a choisi de rédiger le document selon une approche purement thématique, et ce, contrairement aux éditions des années précédentes, où était suivie une double approche, thématique et géographique, en citant les pays concernés par la politique européenne dans le domaine des droits de l’homme.

De ce fait, les députés européens, invités à proposer des amendements sur ce texte, sont revenus à la charge et ont demandé de citer quelques cas concrets. Ainsi, cinq propositions d’amendement concernant le Sahara Occidental ont été formulées, exprimant les préoccupations du Parlement européen quant à la situation des droits de l’homme dans les territoires occupés par le Maroc, et appelant au respect des droits fondamentaux du peuple sahraoui, y compris la liberté d’expression, d’association et de réunion.

Les eurodéputés demandent par ailleurs la libération des prisonniers politiques et l’autorisation d’accès aux territoires du Sahara Occidental pour les membres du Parlement, les observateurs indépendants, les ONG et la presse. Ils exhortent en outre les Nations unies à établir un mécanisme international de surveillance des droits de l’homme au Sahara occidental, dans le cadre de la Minurso, et expriment le soutien du Parlement européen à un règlement juste et durable du conflit sur la base du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui conformément aux résolutions de l’ONU. Ces amendements sur le Sahara occidental ont été déposés par quatre eurodéputés appartenant à différentes formations politiques au Parlement européen. Il s’agit de l’eurodéputée socialiste portugaise Ana Gomes, de deux eurodéputés espagnols du groupe de la Gauche unitaire européenne, Javier Couso Permuy et Paloma Lopez Bermejo, et d’une eurodéputée suédoise du groupe des Verts, Bodil Ceballos.

En 2022 :

L’histoire réssurgit avec l’explosion du scandale Qatargate qui, en réalité, s’est avéré un Marocgate. Le complicité de Panzeri avec Rabat est commenté par le journal italien Il Messagero dans un article paru le 17 décembre 2022. Voici son texte :

Antonio Panzeri, les pressions du Maroc : « Convainquez les socialistes ». Les voyages pour brouiller les pistes : « Cela semblera plus crédible »“Mission à Bruxelles” : les documents secrets de la diplomatie marocaine révélés par un hacker

La publication sur Internet des “Maroc-leaks”, une série de documents confidentiels du gouvernement de Rabat, met en lumière le substrat de l’enquête menée par la magistrature belge sur le réseau de corruption ayant infiltré le Parlement européen, sapant ainsi la crédibilité des institutions communautaires. Un hacker a réussi à extraire une correspondance interne dense entre la diplomatie marocaine et le ministre des Affaires étrangères de Rabat, afin de le tenir constamment informé de la “Mission du Royaume du Maroc” à Bruxelles, en lien avec la question stratégique du Sahara occidental : un territoire disputé avec le Front Polisario, mais extrêmement précieux pour le gouvernement marocain qui y exploite les phosphates (l’« or blanc »).

L’objectif de cette “Mission” était de faire pression sur le Parlement européen, en particulier sur les travaux de la commission mixte UE-Maroc, présidée en 2011 par Pier Antonio Panzeri (l’ex-eurodéputé socialiste arrêté), en 2017 par Abderrahim Atmoun (actuel ambassadeur du Maroc en Pologne) et, plus récemment, par l’eurodéputé du PD Andrea Cozzolino (suspendu depuis son implication dans l’enquête).

La médiation

Ces documents révèlent comment s’est formée la relation de plus de dix ans entre l’État du Maghreb et Panzeri, un intermédiaire qui aurait été utilisé pour “influencer” les autres eurodéputés socialistes, notoirement plus sensibles à la situation des réfugiés sahraouis.

Une lettre “urgente” fait le point sur les positions des groupes parlementaires en vue du vote de la commission du commerce international sur l’accord agricole UE-Maroc. « Il existe une forte pression au sein du groupe S&D contre l’accord, en raison de l’impact présumé sur l’agriculture européenne, mais aussi en ce qui concerne la question du Sahara, exploitée de manière opportuniste. Le groupe a discuté de la question lors de réunions qualifiées de “houleuses” par plusieurs contacts de cette Mission ».

Un « courant fort au sein du S&D », dirigé par Panzeri, « pousse pour une séparation entre l’accord agricole et la question du Sahara, tout en promettant un débat sur ce dernier sujet dans les organes compétents du Parlement européen, et en particulier au sein de la commission des Affaires étrangères ».

« Un allié de poids »

Lorsque la position de Panzeri commence à sembler trop partisane, la diplomatie marocaine élabore immédiatement une contre-stratégie et organise, le 7 novembre 2011, un voyage à Tindouf (en Algérie, à la frontière des camps de réfugiés sahraouis) afin de reconstruire son image d’impartialité aux yeux du Parlement européen.

« La visite à Tindouf est indispensable pour renforcer la crédibilité de M. Panzeri auprès de l’Algérie et du Front Polisario, après que ce dernier l’a accusé d’être pro-marocain. Il n’est pas dans l’intérêt du Maroc que Panzeri soit perçu comme tel », peut-on lire dans une communication confidentielle envoyée par l’ambassadeur auprès de l’UE au ministre des Affaires étrangères de Rabat de l’époque.

« La question du Sahara suscite une forte attention au Parlement européen, où elle est régulièrement soulevée par les eurodéputés et fortement exploitée par les pro-Polisario, qui exercent une grande pression (notamment sur les sociaux-démocrates). La meilleure manière de gérer cette pression est de la circonscrire dans le cadre de la commission des Affaires étrangères et de la canaliser via Panzeri, qui peut être un interlocuteur crédible. »

Par la suite, l’ambassadeur Menouar Alem (aujourd’hui décédé) loue les qualités de l’ex-eurodéputé socialiste arrêté, parlant de son « ambiguïté constructive », de son agenda politique mené « parfois de manière risquée, mais toujours avec tact et maîtrise », et de sa « capacité de perturbation ». Tout cela démontre comment il peut « être un allié de poids ou un adversaire redoutable ».

« Il est conscient de la délicatesse de sa visite dans les camps de Tindouf (précédée par un séjour de quatre jours à Rabat, ndlr) et fait un effort considérable pour ne pas compromettre définitivement ses “entrées” avec le Maroc », conclut la note.

La nomination de Mogherini et la réaction marocaine

La diplomatie marocaine s’alarme lorsque Federica Mogherini (Parti démocrate) est nommée Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et élabore aussitôt une “contre-offensive”.

« À l’origine de la motion contre le Maroc au Parlement italien, Mogherini a adopté des positions favorables aux thèses des séparatistes sur la question du Sahara. Par conséquent, il est nécessaire d’agir avec les amis du Maroc (hauts fonctionnaires européens et membres du parti S&D, notamment Gilles Pargneaux et Antonio Panzeri) pour sensibiliser à ce sujet », peut-on lire dans une note confidentielle datée du 11 septembre 2014.

Les années passent, mais Panzeri continue d’exercer son « influence » sur la question du Sahara : en 2019, il vote – avec 414 autres eurodéputés – l’accord sur la pêche qui incluait explicitement le Sahara occidental. Cet accord sera annulé en 2021 par la Cour de justice européenne, précisément parce qu’il avait été élaboré sans le consentement de la population sahraouie.

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